Les Ă©motions obscurcissent souvent l’esprit des clients en dĂ©tresse et cela peut poser quelques problèmes. D’abord, ces clients ont-ils la capacitĂ© de donner des instructions valides? Ensuite, ont-ils une comprĂ©hension suffisante de ce qui se passe?
L’abc de l’empathie
Pouvez-vous apprendre Ă mieux percevoir et comprendre l’Ă©motion d’un client? Raymond David, un psychologue montrĂ©alais qui instruit des avocats en matière d’intelligence Ă©motionnelle, propose les exercices suivants :
- Si vous vous apercevez que vous prĂ©parez vos rĂ©ponses dans votre tĂŞte au lieu d’Ă©couter, souvenez-vous qu’il n’est pas nĂ©cessaire d’ĂŞtre d’accord avec votre client – contentez-vous d’Ă©couter ce qu’il a Ă dire.
- Faites des exercices d’Ă©coute. Écoutez une personne pour cinq minutes, puis paraphrasez ce qu’elle a dit.
- Partagez ainsi votre temps : deux tiers d’Ă©coute, un tiers de parole.
- Soyez attentif Ă votre client – regardez-le dans les yeux, notez le langage corporel et les expressions faciales. Si votre client exprime son accord avec un commentaire, mais croise ses bras sur sa poitrine (ce qui signifie souvent une opposition), vous pourriez rĂ©pondre : « Vous exprimez votre accord par politesse, mais j’ai impression que ma suggestion vous met mal Ă l’aise. Ai-je raison? ».
- Aidez les autres Ă apprendre l’empathie. Habituellement, on finit par apprendre soi-mĂŞme en enseignant aux autres.
Selon le psychologue montrĂ©alais Raymond David, qui tĂ©moigne frĂ©quemment comme expert devant les tribunaux, c’est l’Ă©motion qui incite le client Ă demander l’aide d’un avocat. Bien comprendre cette motivation vous aidera Ă mieux le conseiller.
Ă€ la base, si vous n’Ă©coutez pas ce que vous dit votre client, il est plus difficile de le reprĂ©senter efficacement.
Votre rĂ´le principal est juridique, mais en prĂ©sence d’un client secouĂ© par l’Ă©motion, la compassion et l’empathie sont Ă©galement essentielles. Notez bien : l’empathie ne signifie pas la sympathie. « L’empathie est la capacitĂ© de ressentir, de comprendre et d’apprĂ©cier les Ă©motions des autres. » Cela implique une Ă©coute du client, sur les plans intellectuel et Ă©motionnel, ainsi qu’un intĂ©rĂŞt pour sa situation.
La perception de l’Ă©quitĂ© des règles et procĂ©dures importe beaucoup au client. Simplement l’Ă©couter peut l’aider Ă se sentir mieux, affirme Jean Sternlight, directrice du Saltman Centre for Conflict Resolution Ă l’UniversitĂ© du Nevada. Elle a Ă©tudiĂ© la façon dont la connaissance de la psychologie peut aider les avocats Ă interviewer et conseiller plus efficacement.
Posez des questions à réponse libre
Poser des questions Ă rĂ©ponse libre permet au client de raconter son histoire comme il la comprend. Alors, mĂŞme s’il ne la raconte pas de façon linĂ©aire ou chronologique, Ă©vitez de demander des prĂ©cisions. Attendez un peu, conseille Mme Sternlight. L’entrevue durera plus longtemps, mais vous obtiendrez des renseignements plus dĂ©taillĂ©s.
Dites-lui que vous comprenez ses sentiments
Quand il s’agit des Ă©motions de votre client, ne faites pas de dĂ©tour. C’est plus rapide Ă la longue, et vous en tirerez plus d’information. Vous pouvez reconnaĂ®tre les sentiments de votre client en lui disant simplement quelque chose comme : « Je peux voir que cette affaire vous bouleverse. »
Quand faut-il intervenir?
Si les souvenirs d’Ă©vĂ©nements factuels sont obscurcis par les Ă©motions, tentez d’amener graduellement votre client Ă mettre l’accent sur les faits. Un encouragement gĂ©nĂ©ral Ă se rappeler des faits avec plus de prĂ©cision n’est habituellement pas très utile. Cela peut mĂŞme nuire Ă la prĂ©cision, note Mme Sternlight. Si, par exemple, il s’agit d’une situation de congĂ©diement injustifiĂ©, ne posez pas de questions gĂ©nĂ©rales, du genre : « Pouvez-vous vous rappeler autre chose au sujet de vos conversations avec votre employeur? » Essayez plutĂ´t des questions prĂ©cises, comme : « Qui Ă©tait prĂ©sent Ă la rencontre de congĂ©diement? » et « OĂą la rĂ©union a-t-elle eu lieu? ».
Clients en détresse affective : les risques auxquels vous êtes confrontés
Les avocats qui ont Ĺ“uvrĂ© auprès de clients en dĂ©tresse affective en connaissent les risques. Parce que les Ă©motions obscurcissent leur esprit, vous pouvez ne pas ĂŞtre en mesure d’apprĂ©cier la nature des problèmes de ces clients, et ceux-ci peuvent ne pas comprendre vos conseils. Vous risquez aussi de faire l’objet d’une plainte professionnelle.
Ainsi que l’Ă©crit John Wade, directeur du centre de règlement des diffĂ©rends de la FacultĂ© de droit de l’UniversitĂ© Bond, en Australie, les cicatrices de ces expĂ©riences ont des effets : une proportion constante de clients « Ă©motifs » et de leurs sympathisants finissent par s’en prendre Ă leurs avocats.
Cela prend diffĂ©rentes formes : commĂ©rage dommageable, refus de payer les factures, poursuites en justice et rapports aux barreaux. De plus, la prĂ©sence constante de clients en dĂ©tresse affective peut avoir des consĂ©quences nĂ©fastes sur votre propre santĂ© affective sous forme d’Ă©puisement, de stress, de dĂ©pendance Ă l’alcool ou Ă la drogue, et d’usure de compassion.
Protégez-vous
Documentez absolument tout Pour vous protĂ©ger contre les plaintes au barreau et les accusations de nĂ©gligence professionnelle, « documentez votre dossier et conservez tout par Ă©crit », recommande Dana Schindelka, associĂ© au cabinet Davis s.r.l. Ă Calgary. « Confirmez par courriel et par la poste toutes les instructions. Documentez toutes les conversations. Expliquez les affaires en dĂ©tail. Et si une rencontre risque d’ĂŞtre volatile, faites-vous accompagner d’un collègue ou de votre secrĂ©taire. »
Parlez Ă d’autres collègues
Dans le cadre de leur formation, les travailleurs sociaux, les psychologues et les psychiatres doivent parler de leurs sentiments. Au contraire, note Peter Jaffe, psychologue et directeur des Ă©tudes du Centre for Research on Violence Against Women & Children de l’UniversitĂ© de Western Ontario, la culture de la profession juridique n’encourage pas les avocats Ă parler de leurs expĂ©riences personnelles. Et pourtant, comme dans le cas d’usure de compassion, parler des effets de votre travail sur vous peut vous aider Ă prĂ©server votre santĂ© mentale. Sans violer le secret professionnel, vous pouvez parler de vos clients Ă d’autres avocats de votre cabinet. Vous pouvez aussi partager vos moments difficiles avec des collègues Ă des rĂ©unions.
« Si vous croyez ĂŞtre sur le point d’un Ă©puisement psychologique, consultez un psychologue. Chercher de l’aide ne sous-tend pas une faiblesse de caractère, » affirme M. Jaffe.
Gardez vos distances
Entre vous et vos clients, un certain recul est nĂ©cessaire pour rester objectif et efficace. Ne dĂ©passez pas certaines limites. « Je ne donne jamais mon numĂ©ro de cellulaire, et mon numĂ©ro Ă la maison n’est pas dans l’annuaire », dĂ©clare Me Boyd. Il ne prendra pas un cafĂ© avec ses clients en droit de la famille avant que la cause ne soit terminĂ©e. Les clients devraient aussi ĂŞtre encouragĂ©s Ă s’aider eux-mĂŞmes autant que possible. Évitez d’intervenir trop rapidement quand un client peut accomplir une tâche lui-mĂŞme, telle la recherche de vieux dossiers.
Changez d’air
Finalement, sachez reconnaĂ®tre que vous avez peut-ĂŞtre besoin de changer d’air et de vous Ă©loigner de votre champ de droit, note Me Schindelka, qui est Ă©galement directeur de l’Alberta Lawyers’ Assistance Society et de l’organisme Lawyers Concerned for Lawyers, en Saskatchewan. Après trois annĂ©es et demie de litiges rĂ©sultant d’agressions sexuelles (le droit de la famille au plus extrĂŞme), il a jugĂ© qu’il valait mieux, pour sa santĂ© mentale, s’occuper de diffĂ©rends gĂ©nĂ©raux, excluant le droit de la famille et le droit pĂ©nal.
Comment aborder la psychologie de l’Ă©chec
Les Ă©motions peuvent aussi obscurcir l’esprit de clients d’affaires en situation de dĂ©tresse financière.
« Bien comprendre la psychologie de l’Ă©chec, notamment quand on a affaire Ă l’Ă©chec d’une entreprise Ă laquelle sont associĂ©s des individus avec un passĂ© de rĂ©ussites, est au moins aussi important que de trouver des solutions Ă leurs problèmes financiers », estime Steven Silton, un avocat en droit des faillites Ă Minneapolis et codirecteur de la Clinique de faillites de la FacultĂ© de droit de l’UniversitĂ© St. Thomas. La Clinique travaille, en collaboration avec la FacultĂ© de psychologie et de travail social de l’UniversitĂ©, Ă la comprĂ©hension et au traitement des problèmes psychologiques de clients en situation de dĂ©tresse financière.
Les clients d’affaires sont habituĂ©s Ă foncer d’une affaire Ă une autre dans une course contre la montre. Étant donnĂ© que la patience est souvent essentielle au règlement des problèmes financiers, vous devrez rĂ©sister aux tentatives de clients qui voudraient imposer Ă la hâte une solution dĂ©savantageuse.
Priez votre client de cibler deux objectifs : en premier, trouver les solutions Ă la crise financière; et deuxièmement, penser Ă leur avenir et Ă leur prochain « succès ».
Enfin, « mettre l’accent sur le travail, plutĂ´t que sur la richesse, donnera un Ă©lan psychologique Ă votre client, dĂ©clare M. Silton. La richesse peut avoir dĂ©fini leur vie dans un passĂ© immĂ©diat; toutefois, jadis, pour amasser leur richesse, ils ont Ă©tĂ© motivĂ©s par le travail. Retrouver cet esprit est un Ă©lĂ©ment important du redressement de la situation financière de votre client. »
Comprendre l’Ă©tat Ă©motionnel de votre client
Dans presque tous les champs de droit, qu’il s’agisse du droit de la famille, du litige civil, du droit de l’emploi ou autre, les avocats rencontrent des clients en dĂ©tresse. Comprendre l’Ă©tat Ă©motionnel de votre client vous aidera Ă mieux communiquer avec lui et Ă rĂ©gler plus efficacement ses problèmes juridiques.
L’intensitĂ© de la perte qui accompagne un divorce ressemble Ă une forme d’aliĂ©nation mentale, remarque John Wade, directeur du centre de règlement des diffĂ©rends de la FacultĂ© de droit de l’UniversitĂ© Bond, en Australie, et professeur invitĂ© Ă la FacultĂ© de droit de l’UniversitĂ© de la Colombie-Britannique. « Le divorce n’est pas seulement la fin du mariage, dit-il. C’est aussi la fin de vos espoirs et de vos rĂŞves, ainsi que ceux que vous aviez pour votre famille et vos enfants. »
Il est utile pour les avocats en droit de la famille de comprendre le modèle KĂĽbler-Ross de la perte et du deuil, suggère John-Paul Boyd, un avocat en droit familial au cabinet Aaron Gordon Daykin Nordlinger, Ă Vancouver. (DĂ©ni : « Non, il est impossible que ça m’arrive. » /Colère/Ressentiment : « Pourquoi cela m’arrive-t-il? Qui en est responsable? »/NĂ©gociation : « Éloignez de moi cette Ă©preuve, et je ferai telle chose en retour. »/DĂ©pression : « C’est vraiment arrivĂ©; je suis trop triste pour rĂ©agir. »/Acceptation : « Tout va pour le mieux; j’accepte ce qui est arrivĂ©. »
Supposons que vous avez une cause oĂą l’autre conjoint a rĂ©ussi Ă prendre un recul mental par rapport Ă la relation et chemine bien sur le sentier KĂĽbler-Ross. Votre client, toujours en Ă©tat de dĂ©ni et de choc, adopte une approche accusatoire puisqu’il ne peut croire que son conjoint semble si froid et sans cĹ“ur. Vous pouvez expliquer que son conjoint n’est pas sans cĹ“ur. Il est tout simplement Ă une diffĂ©rente Ă©tape du processus de deuil. « Cela peut aider Ă dĂ©samorcer les Ă©motions et Ă Ă©viter les points sensibles qui dĂ©clenchent des litiges », dĂ©clare M. Boyd.
Vous finirez sans doute par jouer le psychologue de salon, commente M. Boyd. « J’essaie d’amener les clients Ă recadrer les enjeux pour qu’ils soient moins intimidants, pour en retirer l’Ă©lĂ©ment de peur. »
« Mais je n’entreprends jamais de counselling thĂ©rapeutique, note-t-il. J’essaie d’amener le client Ă comprendre les enjeux juridiques, le processus et la façon dont la loi traite ces enjeux. »
Oui, les clients devraient avoir la chance d’exprimer leurs sentiments. Mais Ă un certain point, ils peuvent avoir avantage Ă parler Ă un tiers. Les avocats devraient connaĂ®tre les ressources communautaires utiles Ă leurs champs de pratique (thĂ©rapeutes, abris, groupes d’entraide, clergĂ©, professionnels de la santĂ© mentale, etc.) et ĂŞtre prĂŞts Ă faire les recommandations appropriĂ©es.