Les avocats comme intervenants psychologiques

09 août 2009 | Janice Mucalov

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Les émotions obscurcissent souvent l’esprit des clients en détresse et cela peut poser quelques problèmes. D’abord, ces clients ont-ils la capacité de donner des instructions valides? Ensuite, ont-ils une compréhension suffisante de ce qui se passe?

L’abc de l’empathie

Pouvez-vous apprendre à mieux percevoir et comprendre l’émotion d’un client? Raymond David, un psychologue montréalais qui instruit des avocats en matière d’intelligence émotionnelle, propose les exercices suivants :

  1. Si vous vous apercevez que vous préparez vos réponses dans votre tête au lieu d’écouter, souvenez-vous qu’il n’est pas nécessaire d’être d’accord avec votre client – contentez-vous d’écouter ce qu’il a à dire.
  2. Faites des exercices d’écoute. Écoutez une personne pour cinq minutes, puis paraphrasez ce qu’elle a dit.
  3. Partagez ainsi votre temps : deux tiers d’écoute, un tiers de parole.
  4. Soyez attentif à votre client – regardez-le dans les yeux, notez le langage corporel et les expressions faciales. Si votre client exprime son accord avec un commentaire, mais croise ses bras sur sa poitrine (ce qui signifie souvent une opposition), vous pourriez répondre : « Vous exprimez votre accord par politesse, mais j’ai impression que ma suggestion vous met mal à l’aise. Ai-je raison? ».
  5. Aidez les autres à apprendre l’empathie. Habituellement, on finit par apprendre soi-même en enseignant aux autres.

Selon le psychologue montréalais Raymond David, qui témoigne fréquemment comme expert devant les tribunaux, c’est l’émotion qui incite le client à demander l’aide d’un avocat. Bien comprendre cette motivation vous aidera à mieux le conseiller.

À la base, si vous n’écoutez pas ce que vous dit votre client, il est plus difficile de le représenter efficacement.

Votre rôle principal est juridique, mais en présence d’un client secoué par l’émotion, la compassion et l’empathie sont également essentielles. Notez bien : l’empathie ne signifie pas la sympathie. « L’empathie est la capacité de ressentir, de comprendre et d’apprécier les émotions des autres. » Cela implique une écoute du client, sur les plans intellectuel et émotionnel, ainsi qu’un intérêt pour sa situation.

La perception de l’équité des règles et procédures importe beaucoup au client. Simplement l’écouter peut l’aider à se sentir mieux, affirme Jean Sternlight, directrice du Saltman Centre for Conflict Resolution à l’Université du Nevada. Elle a étudié la façon dont la connaissance de la psychologie peut aider les avocats à interviewer et conseiller plus efficacement.

Posez des questions à réponse libre

Poser des questions à réponse libre permet au client de raconter son histoire comme il la comprend. Alors, même s’il ne la raconte pas de façon linéaire ou chronologique, évitez de demander des précisions. Attendez un peu, conseille Mme Sternlight. L’entrevue durera plus longtemps, mais vous obtiendrez des renseignements plus détaillés.

Dites-lui que vous comprenez ses sentiments

Quand il s’agit des émotions de votre client, ne faites pas de détour. C’est plus rapide à la longue, et vous en tirerez plus d’information. Vous pouvez reconnaître les sentiments de votre client en lui disant simplement quelque chose comme : « Je peux voir que cette affaire vous bouleverse. »

Quand faut-il intervenir?

Si les souvenirs d’événements factuels sont obscurcis par les émotions, tentez d’amener graduellement votre client à mettre l’accent sur les faits. Un encouragement général à se rappeler des faits avec plus de précision n’est habituellement pas très utile. Cela peut même nuire à la précision, note Mme Sternlight. Si, par exemple, il s’agit d’une situation de congédiement injustifié, ne posez pas de questions générales, du genre : « Pouvez-vous vous rappeler autre chose au sujet de vos conversations avec votre employeur? » Essayez plutôt des questions précises, comme : « Qui était présent à la rencontre de congédiement? » et « Où la réunion a-t-elle eu lieu? ».

Clients en détresse affective : les risques auxquels vous êtes confrontés

Les avocats qui ont œuvré auprès de clients en détresse affective en connaissent les risques. Parce que les émotions obscurcissent leur esprit, vous pouvez ne pas être en mesure d’apprécier la nature des problèmes de ces clients, et ceux-ci peuvent ne pas comprendre vos conseils. Vous risquez aussi de faire l’objet d’une plainte professionnelle.

Ainsi que l’écrit John Wade, directeur du centre de règlement des différends de la Faculté de droit de l’Université Bond, en Australie, les cicatrices de ces expériences ont des effets : une proportion constante de clients « émotifs » et de leurs sympathisants finissent par s’en prendre à leurs avocats.

Cela prend différentes formes : commérage dommageable, refus de payer les factures, poursuites en justice et rapports aux barreaux. De plus, la présence constante de clients en détresse affective peut avoir des conséquences néfastes sur votre propre santé affective sous forme d’épuisement, de stress, de dépendance à l’alcool ou à la drogue, et d’usure de compassion.

Protégez-vous

Documentez absolument tout Pour vous protéger contre les plaintes au barreau et les accusations de négligence professionnelle, « documentez votre dossier et conservez tout par écrit », recommande Dana Schindelka, associé au cabinet Davis s.r.l. à Calgary. «  Confirmez par courriel et par la poste toutes les instructions. Documentez toutes les conversations. Expliquez les affaires en détail. Et si une rencontre risque d’être volatile, faites-vous accompagner d’un collègue ou de votre secrétaire. »

Parlez à d’autres collègues

Dans le cadre de leur formation, les travailleurs sociaux, les psychologues et les psychiatres doivent parler de leurs sentiments. Au contraire, note Peter Jaffe, psychologue et directeur des études du Centre for Research on Violence Against Women & Children de l’Université de Western Ontario, la culture de la profession juridique n’encourage pas les avocats à parler de leurs expériences personnelles. Et pourtant, comme dans le cas d’usure de compassion, parler des effets de votre travail sur vous peut vous aider à préserver votre santé mentale. Sans violer le secret professionnel, vous pouvez parler de vos clients à d’autres avocats de votre cabinet. Vous pouvez aussi partager vos moments difficiles avec des collègues à des réunions.

« Si vous croyez être sur le point d’un épuisement psychologique, consultez un psychologue. Chercher de l’aide ne sous-tend pas une faiblesse de caractère, » affirme M. Jaffe.

Gardez vos distances

Entre vous et vos clients, un certain recul est nécessaire pour rester objectif et efficace. Ne dépassez pas certaines limites. « Je ne donne jamais mon numéro de cellulaire, et mon numéro à la maison n’est pas dans l’annuaire », déclare Me Boyd. Il ne prendra pas un café avec ses clients en droit de la famille avant que la cause ne soit terminée. Les clients devraient aussi être encouragés à s’aider eux-mêmes autant que possible. Évitez d’intervenir trop rapidement quand un client peut accomplir une tâche lui-même, telle la recherche de vieux dossiers.

Changez d’air 

Finalement, sachez reconnaître que vous avez peut-être besoin de changer d’air et de vous éloigner de votre champ de droit, note Me Schindelka, qui est également directeur de l’Alberta Lawyers’ Assistance Society et de l’organisme Lawyers Concerned for Lawyers, en Saskatchewan. Après trois années et demie de litiges résultant d’agressions sexuelles (le droit de la famille au plus extrême), il a jugé qu’il valait mieux, pour sa santé mentale, s’occuper de différends généraux, excluant le droit de la famille et le droit pénal.

Comment aborder la psychologie de l’échec

Les émotions peuvent aussi obscurcir l’esprit de clients d’affaires en situation de détresse financière.

« Bien comprendre la psychologie de l’échec, notamment quand on a affaire à l’échec d’une entreprise à laquelle sont associés des individus avec un passé de réussites, est au moins aussi important que de trouver des solutions à leurs problèmes financiers », estime Steven Silton, un avocat en droit des faillites à Minneapolis et codirecteur de la Clinique de faillites de la Faculté de droit de l’Université St. Thomas. La Clinique travaille, en collaboration avec la Faculté de psychologie et de travail social de l’Université, à la compréhension et au traitement des problèmes psychologiques de clients en situation de détresse financière.

Les clients d’affaires sont habitués à foncer d’une affaire à une autre dans une course contre la montre. Étant donné que la patience est souvent essentielle au règlement des problèmes financiers, vous devrez résister aux tentatives de clients qui voudraient imposer à la hâte une solution désavantageuse.

Priez votre client de cibler deux objectifs : en premier, trouver les solutions à la crise financière; et deuxièmement, penser à leur avenir et à leur prochain « succès ».

Enfin, « mettre l’accent sur le travail, plutôt que sur la richesse, donnera un élan psychologique à votre client, déclare M. Silton. La richesse peut avoir défini leur vie dans un passé immédiat; toutefois, jadis, pour amasser leur richesse, ils ont été motivés par le travail. Retrouver cet esprit est un élément important du redressement de la situation financière de votre client. »

Comprendre l’état émotionnel de votre client

Dans presque tous les champs de droit, qu’il s’agisse du droit de la famille, du litige civil, du droit de l’emploi ou autre, les avocats rencontrent des clients en détresse. Comprendre l’état émotionnel de votre client vous aidera à mieux communiquer avec lui et à régler plus efficacement ses problèmes juridiques.

L’intensité de la perte qui accompagne un divorce ressemble à une forme d’aliénation mentale, remarque John Wade, directeur du centre de règlement des différends de la Faculté de droit de l’Université Bond, en Australie, et professeur invité à la Faculté de droit de l’Université de la Colombie-Britannique. « Le divorce n’est pas seulement la fin du mariage, dit-il. C’est aussi la fin de vos espoirs et de vos rêves, ainsi que ceux que vous aviez pour votre famille et vos enfants. »

Il est utile pour les avocats en droit de la famille de comprendre le modèle Kübler-Ross de la perte et du deuil, suggère John-Paul Boyd, un avocat en droit familial au cabinet Aaron Gordon Daykin Nordlinger, à Vancouver. (Déni : « Non, il est impossible que ça m’arrive. » /Colère/Ressentiment : « Pourquoi cela m’arrive-t-il? Qui en est responsable? »/Négociation : « Éloignez de moi cette épreuve, et je ferai telle chose en retour. »/Dépression « C’est vraiment arrivé; je suis trop triste pour réagir. »/Acceptation : « Tout va pour le mieux; j’accepte ce qui est arrivé. »

Supposons que vous avez une cause où l’autre conjoint a réussi à prendre un recul mental par rapport à la relation et chemine bien sur le sentier Kübler-Ross. Votre client, toujours en état de déni et de choc, adopte une approche accusatoire puisqu’il ne peut croire que son conjoint semble si froid et sans cœur. Vous pouvez expliquer que son conjoint n’est pas sans cœur. Il est tout simplement à une différente étape du processus de deuil. « Cela peut aider à désamorcer les émotions et à éviter les points sensibles qui déclenchent des litiges », déclare M. Boyd.

Vous finirez sans doute par jouer le psychologue de salon, commente M. Boyd. « J’essaie d’amener les clients à recadrer les enjeux pour qu’ils soient moins intimidants, pour en retirer l’élément de peur. »

« Mais je n’entreprends jamais de counselling thérapeutique, note-t-il. J’essaie d’amener le client à comprendre les enjeux juridiques, le processus et la façon dont la loi traite ces enjeux. »

Oui, les clients devraient avoir la chance d’exprimer leurs sentiments. Mais à un certain point, ils peuvent avoir avantage à parler à un tiers. Les avocats devraient connaître les ressources communautaires utiles à leurs champs de pratique (thérapeutes, abris, groupes d’entraide, clergé, professionnels de la santé mentale, etc.) et être prêts à faire les recommandations appropriées.