Il existe deux façons de considĂ©rer un modèle Ă©conomique : vous pouvez compter vos revenus et calculer une structure de coĂ»ts qui vous permette de rĂ©aliser un profit, ou vous pouvez Ă©tudier vos coĂ»ts et dĂ©terminer les revenus requis pour les couvrir et rĂ©aliser un profit. Dans l’un ou l’autre modèle, la question reste la mĂŞme : « Puis-je gagner suffisamment d’argent pour couvrir tous les coĂ»ts et rĂ©aliser un surplus? » Cette question va au cĹ“ur du « commerce » du droit.
Premier modèle : réduire les coûts pour augmenter les revenus
Commençons avec le modèle Ă©conomique numĂ©ro un, qui passe des coĂ»ts aux revenus. ConsidĂ©rez un cabinet juridique recevant 40 000 $ d’un client donnĂ©, alors que les coĂ»ts de desservir ce client en rĂ©munĂ©ration d’avocats et de personnel atteint 48 000 $.
Un cabinet, c’est un peu comme un athlète qui s’entraĂ®ne durant une canicule. Tant pour ses performances que pour sa santĂ©, l’athlète doit absolument maintenir son niveau d’hydratation. Malheureusement, la capacitĂ© de dĂ©tection de la dĂ©shydratation est lente. Il y a un dĂ©lai entre la dĂ©shydratation et l’apparition du besoin d’Ă©tancher sa soif.
Les cabinets juridiques rĂ©agissent souvent de la mĂŞme façon. Les avocats ne voient que l’arrivage – l’hydratation du revenu – et ne se rendent pas compte de la dĂ©shydratation qui dissipe l’argent plus rapidement qu’elle n’entre.
Ă€ ce moment critique, il faut prendre une dĂ©cision. Les choix ne sont pas faciles, mais tous doivent ĂŞtre considĂ©rĂ©s. Les voici, dans l’ordre.
- Mettre fin Ă la relation avec ce client et renoncer Ă ces revenus. C’est le choix le plus difficile. Il met en Ă©vidence les problèmes de liquiditĂ©, mais aussi des enjeux d’ordre Ă©thique (les avocats ne peuvent soudainement cesser de reprĂ©senter un client et mettre en pĂ©ril ses intĂ©rĂŞts, par exemple avant une comparution au tribunal, sans lui donner un prĂ©avis suffisant).
- ConsidĂ©rer l’achat d’une technologie qui pourrait rĂ©duire la quantitĂ© de temps consacrĂ© au client. Paradoxalement, quand un cabinet investit dans la technologie, ses frais d’exploitation augmentent Ă cause des coĂ»ts d’achat de l’Ă©quipement et du temps requis pour la formation. Il faut s’engager dans cette voie Ă pas feutrĂ©s, sinon la technologie additionnelle entraĂ®nera plus d’insatisfaction que d’efficacitĂ©.
- Évaluer s’il est possible d’affecter la mĂŞme charge de travail Ă moins de gens. Soyez cependant conscient que des mandats additionnels peuvent provoquer un Ă©puisement et ainsi rĂ©duire le niveau de services. La seule façon rĂ©aliste d’y arriver serait peut-ĂŞtre de retirer certains services prĂ©sentement offerts au client.
- Ajuster la dotation et le ratio de levier financier. Il s’agit ici d’un outil important qui mĂ©rite une attention spĂ©ciale.
Dotation et levier
Les niveaux de dotation reprĂ©sentent une composante critique de l’analyse des coĂ»ts du service Ă la clientèle. Avez-vous vraiment besoin de deux avocats seniors, avec leurs tarifs horaires Ă©levĂ©s et leurs adjoints personnels, pour le volume de travail? Pouvez-vous utiliser un avocat salariĂ© ou mĂŞme un technicien juridique, et vous en tirer avec seulement un associĂ© principal? Avez-vous-mĂŞme besoin d’un associĂ© principal dans telle ou telle cause? Si le travail est essentiellement routinier, deux avocats salariĂ©s ou une Ă©quipe d’associĂ©s et de techniciens juridiques peuvent-ils remplir le mandat sous surveillance d’un associĂ©?
Les enjeux ici portent directement sur la question du levier – l’embauche et l’utilisation efficace d’avocats salariĂ©s pour accomplir des mandats facturables dans le cadre d’une Ă©quipe tout en augmentant la rentabilitĂ© du cabinet.
De plus en plus, des cabinets juridiques laissent partir des associĂ©s plus âgĂ©s, ayant des tarifs horaires plus Ă©levĂ©s mais recrutant moins de clients, afin de renforcer l’effet de levier et protĂ©ger la profitabilitĂ© par associĂ©. C’est une stratĂ©gie de dĂ©-pĂ©rĂ©quation et, quoique souvent critiquĂ©e, elle dĂ©montre une gestion financière astucieuse.
En n’utilisant pas l’effet de levier, les frais d’exploitation augmentent. Il n’est pas surprenant qu’un cabinet malheureux de son rendement financier dĂ©cide d’ajuster un des principaux facteurs Ă©conomiques en Ă©vinçant certains de ses associĂ©s. InstantanĂ©ment, l’effet de levier est rĂ©tabli. D’autres considĂ©rations non Ă©conomiques peuvent aussi ĂŞtre incluses dans cette analyse.
L’effet de levier s’applique aussi aux avocats salariĂ©s, qui ne peuvent conserver leur emploi Ă moins d’ĂŞtre rentables pour le cabinet. Les nouveaux salariĂ©s ne rapportent pas au dĂ©but, mais Ă un certain moment cette situation doit changer. De fait, les associĂ©s directeurs de grands cabinets s’accordent pour dire qu’en moyenne, il faut de trois Ă cinq ans pour atteindre le seuil de rentabilitĂ© avec un nouvel avocat.
Voici une autre Ă©nigme. L’objectif de six heures facturables par jour peut sembler Ă©levĂ©, et pourtant cinq heures par jour pendant 50 semaines ne donne que 1500 heures par annĂ©e – bien en-deçà de la cible fixĂ©e pour les avocats par la plupart des cabinets. En portant l’objectif Ă huit heures facturables par jour, on obtient 2000 heures par annĂ©e, un rĂ©sultat beaucoup plus satisfaisant. Combien d’avocats salariĂ©s peuvent-ils facturer autant d’heures et en mĂŞme temps apprendre leur mĂ©tier, inclure des mandats pro bono, suivre des formations et aller dĂ©jeuner? La rĂ©ponse permet d’identifier les salariĂ©s qui conserveront leur emploi, et l’importance de l’effet de levier qu’ils apportent.
Deuxième modèle : la détermination des revenus pour couvrir les coûts
Il est donc Ă©vident qu’il n’y a pas de moyen facile d’ajuster les coĂ»ts aux revenus. Cela peut se faire, mais les stratĂ©gies ont toutes des inconvĂ©nients difficiles Ă surmonter. Cela nous amène au second modèle Ă©conomique : dĂ©terminer la quantitĂ© de revenus dont on a besoin pour couvrir ses coĂ»ts.
Dans un cabinet juridique, le revenu constitue un apport hautement personnalisĂ© parce qu’il est le produit de l’effort individuel de chaque personne. Les taux de facturation et les tarifs apparentĂ©s permettent de mesurer cet effort : pour augmenter les revenus, il faut peut-ĂŞtre mettre l’accent sur une augmentation des taux. Et parce que les taux de facturation dĂ©terminent la rĂ©munĂ©ration d’un associĂ©, les revenus sont insĂ©parables du moyen employĂ© pour dĂ©terminer la rĂ©munĂ©ration.
Augmentation des taux
L’augmentation des taux est toujours dĂ©licate, et ses chances de succès dĂ©pendent de deux facteurs :
- Les considĂ©rations qualitatives d’une augmentation des taux soulèvent gĂ©nĂ©ralement des questions Ă©thiques. L’augmentation est-elle raisonnable et proportionnelle Ă la valeur des services rendus? L’avocat a-t-il les compĂ©tences et l’expĂ©rience requises pour justifier ce taux? Le client comprend-il la somme et la nature des honoraires et y consent-il? Une rĂ©ponse nĂ©gative Ă l’une de ces questions signifie que la hausse n’est pas justifiĂ©e.
- Les facteurs quantitatifs se rĂ©duisent ordinairement Ă des considĂ©rations de marketing. Votre nouveau taux doit ĂŞtre concurrentiel dans votre rĂ©gion gĂ©ographique et votre champ de droit. Vous devez connaĂ®tre les conditions de marchĂ© et les pressions de la concurrence sur les honoraires professionnels des avocats. Chaque marchĂ© local a ses propres caractĂ©ristiques. Les tendances nationales sont intĂ©ressantes, mais elles n’exercent aucun contrĂ´le sur votre situation.
Il est important de dĂ©terminer le taux bonifiĂ© dans le contexte des services de main-d’Ĺ“uvre consacrĂ©s Ă ce client, y compris les heures des techniciens juridiques et du personnel de bureau. Il n’y a jamais de moment idĂ©al pour augmenter les taux. Les clients qui refuseront de les payer chercheront un autre avocat. Ceux et celles qui croient en la valeur de vos services accepteront de payer davantage et resteront vos clients. Assurez-vous d’avoir des arguments tangibles Ă l’appui de votre cause, et que le client comprenne bien la somme et les motifs de l’augmentation des honoraires, et qu’il y consent.
Rémunération des associés
La part des heures facturĂ©es versĂ©e aux associĂ©s sera dĂ©terminĂ©e en fonction de l’image de soi du cabinet et la façon dont les mandats des clients sont exĂ©cutĂ©s, en mettant l’accent sur :
- Le pourcentage des nouveaux mandats provenant de l’associĂ©
- Le nombre total d’heures travaillĂ©es
- Les heures assignĂ©es Ă d’autres avocats du cabinet (la marque traditionnelle des grands gourous)
- Une rĂ©munĂ©ration de base pour tous les associĂ©s avec une prime rĂ©sultant de diffĂ©rents facteurs, tels la contribution Ă la gouvernance du cabinet, la profitabilitĂ© des mandats obtenus, et le nombre d’heures facturables payĂ©es.
Le problème avec les primes, c’est qu’elles sont trop souvent subjectives, et ont peu d’effet sur le flot de revenus. La meilleure approche consiste Ă crĂ©er un fonds commun qui reflète les Ă©tats financiers de fin d’annĂ©e du cabinet. Une autre approche consiste Ă identifier le profit net après les dĂ©penses et le paiement de tous les avocats, puis Ă assigner un pourcentage fixe ou variable de ce fonds commun. Encore une autre approche est fondĂ©e sur les revenus; il s’agit d’affecter les augmentations de revenus au fonds commun et payer des pourcentages en prime par la suite. L’avantage de cette mĂ©thode, c’est que la plupart des gens comprennent le concept du revenu et ne croient pas qu’il puisse ĂŞtre manipulĂ© comme le profit.
Le cabinet pourrait aussi renoncer Ă une formule spĂ©cifique pour comparer la performance Ă une moyenne multi-annĂ©e mobile et rĂ©compenser les efforts individuels au moyen de primes variables. Les indices de succès doivent ĂŞtre clairement dĂ©finis – profits par associĂ©, croissance des revenus et nombre de clients, entre autres – et il faut identifier clairement les contributions qui sont rĂ©compensĂ©es.
DĂ©termination de la mĂ©thode d’analyse des revenus et de la rĂ©munĂ©ration
Tout le monde doit savoir comment le système fonctionne, et tous, toutes doivent considĂ©rer le système Ă©quitable. Les membres d’un cabinet accepteront de ne pas recevoir la rĂ©munĂ©ration la plus Ă©levĂ©e Ă condition de reconnaĂ®tre les critères employĂ©s. Le cabinet doit ĂŞtre vu comme Ă©tant le bĂ©nĂ©ficiaire. Les gourous peuvent ĂŞtre compensĂ©s tant que tous en retirent des bĂ©nĂ©fices.
C’est lĂ le meilleur argument en faveur d’un lien explicite entre la rĂ©munĂ©ration individuelle et le revenu global du cabinet. Les cabinets qui sont en mesure d’affecter des Ă©quipes au service de grands clients peuvent identifier et fournir une expertise spĂ©cialisĂ©e qui couvre la gamme complète des enjeux du client. L’avocat facturant coordonne la prestation de services en conformitĂ© avec un plan stratĂ©gique, et peut assurer au client un ensemble de services complet et continu. Le client a accès Ă un « guichet unique » de services provenant d’un groupe d’avocats sĂ©lectionnĂ© en fonction de besoins spĂ©cifiques, tant pour les spĂ©cialitĂ©s de droit que les taux de facturation.
Les Ă©quipes coopèrent pour augmenter les revenus du cabinet. Cela exige un modèle de rĂ©munĂ©ration qui dĂ©pende du succès de l’organisation et qui y contribue. La rĂ©munĂ©ration de base doit ĂŞtre liĂ©e Ă l’utilitĂ© d’inclure d’autres avocats au sein de l’Ă©quipe qui dispense des services juridiques aux clients. La rĂ©munĂ©ration est fondĂ©e sur les revenus produits pour l’organisation – et non pour un seul individu, parce que les revenus de l’organisation sont optimisĂ©s, ainsi que les profits essentiels Ă sa survie. En affaires comme dans la vie, la marĂ©e montante soulève tous les bateaux.
Edward Poll (edpoll@lawbiz.com) est CMC et mentor de procureurs et de cabinets juridiques Ă Los Angeles pour les aider Ă devenir plus rentables. Il est l’auteur de Attorney and Law Firm Guide to the Business of Law : Planning and Operating for Survival and Growth, 2nd ed. (ABA, 2002), Collecting Your Fee: Getting Paid from Intake to Invoice (ABA, 2003) et, plus rĂ©cemment, de Selling Your Law Practice: The Profitable Exit Strategy (LawBiz, 2005).