L’énigme du comptant et de la rémunération des avocats

16 octobre 2014 | Edward Poll

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Il existe deux façons de considérer un modèle économique : vous pouvez compter vos revenus et calculer une structure de coûts qui vous permette de réaliser un profit, ou vous pouvez étudier vos coûts et déterminer les revenus requis pour les couvrir et réaliser un profit. Dans l’un ou l’autre modèle, la question reste la même : « Puis-je gagner suffisamment d’argent pour couvrir tous les coûts et réaliser un surplus? » Cette question va au cœur du « commerce » du droit.

Premier modèle : réduire les coûts pour augmenter les revenus

Commençons avec le modèle économique numéro un, qui passe des coûts aux revenus. Considérez un cabinet juridique recevant 40 000 $ d’un client donné, alors que les coûts de desservir ce client en rémunération d’avocats et de personnel atteint 48 000 $.

Un cabinet, c’est un peu comme un athlète qui s’entraîne durant une canicule. Tant pour ses performances que pour sa santé, l’athlète doit absolument maintenir son niveau d’hydratation. Malheureusement, la capacité de détection de la déshydratation est lente. Il y a un délai entre la déshydratation et l’apparition du besoin d’étancher sa soif.

Les cabinets juridiques réagissent souvent de la même façon. Les avocats ne voient que l’arrivage – l’hydratation du revenu – et ne se rendent pas compte de la déshydratation qui dissipe l’argent plus rapidement qu’elle n’entre.

À ce moment critique, il faut prendre une décision. Les choix ne sont pas faciles, mais tous doivent être considérés. Les voici, dans l’ordre.

  • Mettre fin à la relation avec ce client et renoncer à ces revenus. C’est le choix le plus difficile. Il met en évidence les problèmes de liquidité, mais aussi des enjeux d’ordre éthique (les avocats ne peuvent soudainement cesser de représenter un client et mettre en péril ses intérêts, par exemple avant une comparution au tribunal, sans lui donner un préavis suffisant).
  • Considérer l’achat d’une technologie qui pourrait réduire la quantité de temps consacré au client. Paradoxalement, quand un cabinet investit dans la technologie, ses frais d’exploitation augmentent à cause des coûts d’achat de l’équipement et du temps requis pour la formation. Il faut s’engager dans cette voie à pas feutrés, sinon la technologie additionnelle entraînera plus d’insatisfaction que d’efficacité.
  • Évaluer s’il est possible d’affecter la même charge de travail à moins de gens. Soyez cependant conscient que des mandats additionnels peuvent provoquer un épuisement et ainsi réduire le niveau de services. La seule façon réaliste d’y arriver serait peut-être de retirer certains services présentement offerts au client.
  • Ajuster la dotation et le ratio de levier financier. Il s’agit ici d’un outil important qui mérite une attention spéciale.

Dotation et levier

Les niveaux de dotation représentent une composante critique de l’analyse des coûts du service à la clientèle. Avez-vous vraiment besoin de deux avocats seniors, avec leurs tarifs horaires élevés et leurs adjoints personnels, pour le volume de travail? Pouvez-vous utiliser un avocat salarié ou même un technicien juridique, et vous en tirer avec seulement un associé principal? Avez-vous-même besoin d’un associé principal dans telle ou telle cause? Si le travail est essentiellement routinier, deux avocats salariés ou une équipe d’associés et de techniciens juridiques peuvent-ils remplir le mandat sous surveillance d’un associé?

Les enjeux ici portent directement sur la question du levier – l’embauche et l’utilisation efficace d’avocats salariés pour accomplir des mandats facturables dans le cadre d’une équipe tout en augmentant la rentabilité du cabinet.

De plus en plus, des cabinets juridiques laissent partir des associés plus âgés, ayant des tarifs horaires plus élevés mais recrutant moins de clients, afin de renforcer l’effet de levier et protéger la profitabilité par associé. C’est une stratégie de dé-péréquation et, quoique souvent critiquée, elle démontre une gestion financière astucieuse.

En n’utilisant pas l’effet de levier, les frais d’exploitation augmentent. Il n’est pas surprenant qu’un cabinet malheureux de son rendement financier décide d’ajuster un des principaux facteurs économiques en évinçant certains de ses associés. Instantanément, l’effet de levier est rétabli. D’autres considérations non économiques peuvent aussi être incluses dans cette analyse.

L’effet de levier s’applique aussi aux avocats salariés, qui ne peuvent conserver leur emploi à moins d’être rentables pour le cabinet. Les nouveaux salariés ne rapportent pas au début, mais à un certain moment cette situation doit changer. De fait, les associés directeurs de grands cabinets s’accordent pour dire qu’en moyenne, il faut de trois à cinq ans pour atteindre le seuil de rentabilité avec un nouvel avocat.

Voici une autre énigme. L’objectif de six heures facturables par jour peut sembler élevé, et pourtant cinq heures par jour pendant 50 semaines ne donne que 1500 heures par année – bien en-deçà de la cible fixée pour les avocats par la plupart des cabinets. En portant l’objectif à huit heures facturables par jour, on obtient 2000 heures par année, un résultat beaucoup plus satisfaisant. Combien d’avocats salariés peuvent-ils facturer autant d’heures et en même temps apprendre leur métier, inclure des mandats pro bono, suivre des formations et aller déjeuner? La réponse permet d’identifier les salariés qui conserveront leur emploi, et l’importance de l’effet de levier qu’ils apportent.

Deuxième modèle : la détermination des revenus pour couvrir les coûts

Il est donc évident qu’il n’y a pas de moyen facile d’ajuster les coûts aux revenus. Cela peut se faire, mais les stratégies ont toutes des inconvénients difficiles à surmonter. Cela nous amène au second modèle économique : déterminer la quantité de revenus dont on a besoin pour couvrir ses coûts.

Dans un cabinet juridique, le revenu constitue un apport hautement personnalisé parce qu’il est le produit de l’effort individuel de chaque personne. Les taux de facturation et les tarifs apparentés permettent de mesurer cet effort : pour augmenter les revenus, il faut peut-être mettre l’accent sur une augmentation des taux. Et parce que les taux de facturation déterminent la rémunération d’un associé, les revenus sont inséparables du moyen employé pour déterminer la rémunération.

Augmentation des taux

L’augmentation des taux est toujours délicate, et ses chances de succès dépendent de deux facteurs :

  • Les considérations qualitatives d’une augmentation des taux soulèvent généralement des questions éthiques. L’augmentation est-elle raisonnable et proportionnelle à la valeur des services rendus? L’avocat a-t-il les compétences et l’expérience requises pour justifier ce taux? Le client comprend-il la somme et la nature des honoraires et y consent-il? Une réponse négative à l’une de ces questions signifie que la hausse n’est pas justifiée.
  • Les facteurs quantitatifs se réduisent ordinairement à des considérations de marketing. Votre nouveau taux doit être concurrentiel dans votre région géographique et votre champ de droit. Vous devez connaître les conditions de marché et les pressions de la concurrence sur les honoraires professionnels des avocats. Chaque marché local a ses propres caractéristiques. Les tendances nationales sont intéressantes, mais elles n’exercent aucun contrôle sur votre situation.

Il est important de déterminer le taux bonifié dans le contexte des services de main-d’œuvre consacrés à ce client, y compris les heures des techniciens juridiques et du personnel de bureau. Il n’y a jamais de moment idéal pour augmenter les taux. Les clients qui refuseront de les payer chercheront un autre avocat. Ceux et celles qui croient en la valeur de vos services accepteront de payer davantage et resteront vos clients. Assurez-vous d’avoir des arguments tangibles à l’appui de votre cause, et que le client comprenne bien la somme et les motifs de l’augmentation des honoraires, et qu’il y consent.

Rémunération des associés

La part des heures facturées versée aux associés sera déterminée en fonction de l’image de soi du cabinet et la façon dont les mandats des clients sont exécutés, en mettant l’accent sur :

  • Le pourcentage des nouveaux mandats provenant de l’associé
  • Le nombre total d’heures travaillées
  • Les heures assignées à d’autres avocats du cabinet (la marque traditionnelle des grands gourous)
  • Une rémunération de base pour tous les associés avec une prime résultant de différents facteurs, tels la contribution à la gouvernance du cabinet, la profitabilité des mandats obtenus, et le nombre d’heures facturables payées.

Le problème avec les primes, c’est qu’elles sont trop souvent subjectives, et ont peu d’effet sur le flot de revenus. La meilleure approche consiste à créer un fonds commun qui reflète les états financiers de fin d’année du cabinet. Une autre approche consiste à identifier le profit net après les dépenses et le paiement de tous les avocats, puis à assigner un pourcentage fixe ou variable de ce fonds commun. Encore une autre approche est fondée sur les revenus; il s’agit d’affecter les augmentations de revenus au fonds commun et payer des pourcentages en prime par la suite. L’avantage de cette méthode, c’est que la plupart des gens comprennent le concept du revenu et ne croient pas qu’il puisse être manipulé comme le profit.

Le cabinet pourrait aussi renoncer à une formule spécifique pour comparer la performance à une moyenne multi-année mobile et récompenser les efforts individuels au moyen de primes variables. Les indices de succès doivent être clairement définis – profits par associé, croissance des revenus et nombre de clients, entre autres – et il faut identifier clairement les contributions qui sont récompensées.

Détermination de la méthode d’analyse des revenus et de la rémunération

Tout le monde doit savoir comment le système fonctionne, et tous, toutes doivent considérer le système équitable. Les membres d’un cabinet accepteront de ne pas recevoir la rémunération la plus élevée à condition de reconnaître les critères employés. Le cabinet doit être vu comme étant le bénéficiaire. Les gourous peuvent être compensés tant que tous en retirent des bénéfices.

C’est là le meilleur argument en faveur d’un lien explicite entre la rémunération individuelle et le revenu global du cabinet. Les cabinets qui sont en mesure d’affecter des équipes au service de grands clients peuvent identifier et fournir une expertise spécialisée qui couvre la gamme complète des enjeux du client. L’avocat facturant coordonne la prestation de services en conformité avec un plan stratégique, et peut assurer au client un ensemble de services complet et continu. Le client a accès à un « guichet unique » de services provenant d’un groupe d’avocats sélectionné en fonction de besoins spécifiques, tant pour les spécialités de droit que les taux de facturation.

Les équipes coopèrent pour augmenter les revenus du cabinet. Cela exige un modèle de rémunération qui dépende du succès de l’organisation et qui y contribue. La rémunération de base doit être liée à l’utilité d’inclure d’autres avocats au sein de l’équipe qui dispense des services juridiques aux clients. La rémunération est fondée sur les revenus produits pour l’organisation – et non pour un seul individu, parce que les revenus de l’organisation sont optimisés, ainsi que les profits essentiels à sa survie. En affaires comme dans la vie, la marée montante soulève tous les bateaux.

Edward Poll (edpoll@lawbiz.com) est CMC et mentor de procureurs et de cabinets juridiques à Los Angeles pour les aider à devenir plus rentables. Il est l’auteur de Attorney and Law Firm Guide to the Business of Law : Planning and Operating for Survival and Growth, 2nd ed. (ABA, 2002), Collecting Your Fee: Getting Paid from Intake to Invoice (ABA, 2003) et, plus récemment, de Selling Your Law Practice: The Profitable Exit Strategy (LawBiz, 2005).