L’honorable Kathleen Linton

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QUEL CHEMINEMENT VOUS A MENÉ AU MONDE DU DROIT ET À LA MAGISTRATURE?

Mon cheminement vers le monde du droit n’a rien d’extraordinaire. Titulaire d’un baccalaurĂ©at spĂ©cialisĂ© en psychologie, j’avais Ă©tĂ© admise au programme de maĂźtrise Ă  Berkeley (UniversitĂ© de Californie du Sud). Mais des difficultĂ©s sont arrivĂ©es dans ma vie, donc j’ai mis ce projet d’Ă©tude en suspens et je suis entrĂ©e Ă  la facultĂ© de droit de l’UniversitĂ© de l’Alberta. Pendant les trois ans du programme, j’ai conservĂ© une excellente moyenne. À l'Ă©poque, en bonne Ă©tudiante naĂŻve de 21 ans, je pensais que la suite de mon parcours serait aisĂ©e : je ferais mon stage dans un cabinet comme celui mis en scĂšne dans la sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e populaire de l’Ă©poque, La Loi de Los Angeles. La rĂ©alitĂ© m’a vite rattrapĂ©e, et durement : j’ai eu des entrevues dans une foule de cabinets, moyens et grands, en 1986 et 1987, mais personne ne m’a embauchĂ©e. J’ai entrepris une « formation » pour maĂźtriser les entrevues individuelles et de groupe; toujours rien. Je me suis peu Ă  peu rendu compte que le milieu du droit en Alberta ne savait pas trop quoi faire d’une femme noire. J’avais beau ĂȘtre dĂ©terminĂ©e et avoir fait de brillantes Ă©tudes, j’Ă©tais « une anomalie ».

Trois mois avant la fin de ma troisiĂšme annĂ©e de droit, je figurais parmi les 15 Ă©tudiants sans stage confirmĂ©. J’Ă©tais prĂȘte Ă  reprendre mon rĂȘve d’Ă©tudier en psychologie. Une fois de plus, la rĂ©alitĂ© m’a rattrapĂ©e. Trois professeurs m’ont invitĂ©e Ă  dĂźner pour discuter de ma situation. Ensemble, ils avaient planifiĂ© pour moi une entrevue dans un petit cabinet spĂ©cialisĂ© d’une agglomĂ©ration des environs d’Edmonton. L’entrevue Ă©tait une formalitĂ©; mon stage commencerait en juillet, juste aprĂšs les examens. AprĂšs mon stage, j’ai obtenu ma certification et fait mes dĂ©buts comme juriste autonome. Fermement rĂ©solue, j’ai dĂ©cidĂ© de me donner cinq ans pour voir si cette profession me permettrait de gagner assez bien ma vie. Je m’en suis remise Ă  mes amis Ă©tudiants en droit, Ă  l’aide juridique, aux voisins; bref, Ă  n’importe quelle personne disposĂ©e Ă  me procurer du travail. J’ai naviguĂ© Ă  l’instinct. Je me suis mise au dĂ©fi en faisant face aux situations angoissantes : j’affrontais ma peur, j’en faisais l’expĂ©rience, mais je m’attelais Ă  la tĂąche avec gratitude et respect pour ces occasions qui m’Ă©taient donnĂ©es. Parfois, ça m’a aidĂ©e, mais pas toujours. Je me suis engagĂ©e Ă  me perfectionner en droit tout en poursuivant ma maĂźtrise en psychologie clinique.

J’ai assistĂ© Ă  des confĂ©rences, et je suis devenue membre d’associations de barreaux et de juristes nationales et internationales pour y trouver de nouveaux appuis. Souvent, je remarquais que j’Ă©tais la seule personne de couleur dans la salle, mais j’ai vite fait taire ces convictions qui limitaient mes horizons. J’Ă©tais dĂ©terminĂ©e Ă  fournir Ă  mes clients les meilleurs services qui soient. J’ai conservĂ© une cloison Ă©tanche entre vie personnelle et vie professionnelle. Les annĂ©es passant, je me suis bĂąti une excellente rĂ©putation. Dans les deux derniĂšres dĂ©cennies de ma pratique ou presque, je me suis spĂ©cialisĂ©e en reprĂ©sentation d’enfants, un travail extrĂȘmement gratifiant.

Je mentirais si je disais que l’idĂ©e de devenir juge ne m’a pas effleurĂ© l’esprit quelques fois, mais je n’y ai guĂšre songĂ© avant mes huit derniĂšres annĂ©es de pratique. J’exerçais la profession Ă  temps plein. Ma vie de famille Ă©tait aussi heureuse que satisfaisante. J’amorçais la transition vers la retraite. C’est un juge qui m’a convaincue de postuler. J’en ai d’abord discutĂ© avec ma famille et mes amis proches. Une fois de plus, je me suis tournĂ©e vers ma communautĂ©, et j’ai soumis ma candidature. Le processus se dĂ©roulant Ă  huis clos, je ne peux commenter que mon expĂ©rience personnelle. N’ayant pas d’allĂ©geance politique, j’ai dĂ©cidĂ© de croire que ma nomination Ă©tait fondĂ©e sur le mĂ©rite et les compĂ©tences. De plus, les choses avaient changĂ© pour les minoritĂ©s visibles en Alberta depuis le dĂ©but de mes 34 ans de carriĂšre. J’Ă©tais donc disposĂ©e Ă  croire que la couleur de ma peau y serait aussi pour quelque chose.

S’il y a une chose que mon expĂ©rience m’a apprise, c’est d’ĂȘtre fidĂšle Ă  soi-mĂȘme; on ne peut pas ĂȘtre quelqu’un d’autre. Ne faites jamais de concession sur votre identitĂ©, sous aucune considĂ©ration. Marchez la tĂȘte haute; prĂȘtez l’oreille aux conseils, appliquez des solutions crĂ©atives et soyez engagĂ© dans votre communautĂ©, quelle que soit votre façon de la dĂ©finir.

QUE SOUHAITEZ-VOUS QUE LE PUBLIC SACHE AU SUJET DU SYSTÈME DE JUSTICE?

Excellente question! Beaucoup de membres de ma parentĂ©, bien qu’ils me connaissent depuis trĂšs longtemps, ont une vision dĂ©passĂ©e du systĂšme de justice. À mon avis, la question pour bien des gens n’est pas l’accĂšs sur le plan pragmatique, comme l’Ă©ducation ou l’aspect pĂ©cuniaire. Ils ne croient pas que le systĂšme de justice soit digne de confiance quand vient le temps d’appliquer Ă©quitablement le droit sans Ă©gard Ă  la race, Ă  la situation financiĂšre et au milieu social. Je tiens Ă  ce que le public sache que nous travaillons au mieux de nos capacitĂ©s lorsqu’on nous soumet un dossier ou lors des comparutions devant nous, et que nous Ă©coutons et rendons justice avec Ă©quitĂ© et impartialitĂ© au vu de la situation. Personne n’est laissĂ© pour compte, et nul ne bĂ©nĂ©ficie d’un passe-droit. Quels que soient le jour et l’heure, nous revĂȘtons la toge de la magistrature et nous acquittons de nos fonctions de façon impartiale.