Revue de 2020 : une année remplie pour la C.A.I.

  • 03 mars 2021
  • Justine Brien

Revue de  2020 : une annĂ©e remplie pour la  C.A.I.

La Commission d’accès Ă  l’information (« CAI ») a eu un agenda chargĂ© en 2020. En plus de publier de nouveaux guides sur les donnĂ©es biomĂ©triques1 et la rĂ©alisation d’une Ă©valuation des facteurs relatifs Ă  la vie privĂ©e2, tant la section juridictionnelle que la section de surveillance ont traitĂ© un nombre important de dossiers. Dans un domaine aussi Ă©volutif que celui de la protection des renseignements personnels et de l’accès Ă  l’information, il importe de se tenir Ă  jour sur les nouvelles dĂ©cisions significatives des organismes de rĂ©glementation. Le prĂ©sent article offre un survol des dĂ©cisions pertinentes rendues par la CAI au cours de la dernière annĂ©e.

Biométrie

La CAI a rendu sa première dĂ©cision importante en matière de biomĂ©trie, dans l’affaire Les 3 Piliers Inc. – dossier 1018507-S. La CAI s’est prononcĂ©e sur la lĂ©galitĂ© du projet de l’entreprise de constituer une banque de caractĂ©ristiques biomĂ©triques, par lequel l’empreinte digitale du client serait reliĂ©e Ă  son dossier pour permettre la facturation par prĂ©lèvement automatique3.

La CAI confirme d’emblĂ©e que le code dĂ©rivĂ© mathĂ©matiquement des images ou des empreintes biomĂ©triques constitue un renseignement personnel assujetti Ă  la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privĂ© (« LPRPSP »). L’entreprise devait ainsi dĂ©montrer (i) qu’il Ă©tait nĂ©cessaire de recueillir les empreintes pour rĂ©pondre aux objectifs poursuivis par son système, et la lĂ©gitimitĂ© de tels objectifs, (ii) que l’atteinte au droit Ă  la vie privĂ©e que cette collecte entraĂ®nait Ă©tait proportionnelle Ă  ces objectifs, et que les avantages reliĂ©s Ă  ce système surpassaient une telle atteinte.

En l’espèce, l’entreprise avait comme objectif avouĂ© de rĂ©duire son empreinte Ă©cologique, amĂ©liorer son expĂ©rience client et diminuer le temps de passage aux caisses. Relativement au premier objectif, la CAI note que l’entreprise a fait dĂ©faut de prĂ©senter les gains environnementaux rĂ©els reliĂ©s Ă  l’implantation de son système. Le mĂŞme constat est Ă©mis quant aux deux autres objectifs, alors que l’entreprise n’avait pas dĂ©montrĂ© que la fraude ou l’attente lors du paiement constituaient des problĂ©matiques rĂ©elles. La CAI conclut donc que l’entreprise n’a pas dĂ©montrĂ© la nĂ©cessitĂ© d’implantation de son système, et la prĂ©sence d’objectifs lĂ©gitimes, importants et rĂ©els.

Quant Ă  la proportionnalitĂ© de l’atteinte, la CAI conclut Ă©galement que cette condition n’est pas remplie. Ă€ cet Ă©gard, la CAI note que les empreintes digitales sont des caractĂ©ristiques particulièrement sensibles, et que leur collecte emporte une atteinte importante Ă  la vie privĂ©e. Ainsi, une telle collecte, en lumière des objectifs poursuivis, est disproportionnĂ©e selon la CAI. Cette dernière a donc interdit Ă  l’entreprise de mettre en service sa banque de caractĂ©ristiques biomĂ©triques.

Collecte de renseignements personnels

La CAI s’est Ă©galement penchĂ©e sur la collecte des renseignements personnels, et elle a eu l’opportunitĂ© de rappeler l’importance du principe de la minimisation de la collecte.

Ainsi, la section de surveillance s’est penchĂ©e sur la question de la collecte des numĂ©ros de permis de conduire ou d’assurance sociale Ă  des fins d’identification dans l’affaire impliquant la sociĂ©tĂ© Bell MobilitĂ©4. Plus prĂ©cisĂ©ment, la CAI devait dĂ©terminer si ces identifiants pouvaient ĂŞtre recueillis par l’entreprise afin de prĂ©venir la fraude, le vol d’identitĂ©, ou s’assurer de la solvabilitĂ© des individus. La CAI conclut que bien que cette collecte soit nĂ©cessaire pour permettre la prĂ©vention de la fraude et du vol d’identitĂ©, l’entreprise doit trouver un moyen alternatif Ă  cette collecte compte tenu des risques d’atteinte que celle-ci entraĂ®ne (risques de malversations ou autres incidents de sĂ©curitĂ©).

Dans un mĂŞme ordre d’idĂ©es, dans le cadre d’une enquĂŞte portant sur l’Ă©mission d’une carte de membre par le Barreau du QuĂ©bec, la CAI a conclu que le Barreau ne pouvait recueillir des copies de pièces d’identitĂ© Ă  cette fin. La communication de photos, oĂą un rĂ©pondant attestait sous serment qu’il connaĂ®t le demandeur de la carte photo, est jugĂ©e suffisante par la CAI.

Privilège relatif au règlement

La CAI s’est Ă©galement prononcĂ©e sur la question du privilège relatif au règlement, et son impact dans le contexte de demandes d’accès Ă  l’information.

Dans la dĂ©cision Belzile c. Ministère de la SĂ©curitĂ© publique (SĂ»retĂ© du QuĂ©bec)5, la CAI devait dĂ©terminer si ce privilège pouvait constituer un obstacle Ă  une demande d’accès. Le demandeur s’Ă©tait vu refuser l’accès Ă  certains documents du Ministère de la SĂ©curitĂ© publique relatifs Ă  des ententes conclues entre certains policiers et le Ministère suite Ă  un processus d’enquĂŞte, et le dĂ©pĂ´t de griefs reliĂ© aux mesures prises contre certains policiers dans le cadre de cette investigation. Le Ministère invoquait notamment comme motif de refus que ces documents Ă©taient protĂ©gĂ©s par le privilège relatif aux règlements, puisqu’ils s’inscrivaient dans le processus de règlement des griefs. La CAI observe que le privilège n’empĂŞche pas l’exercice du droit d’accès, et que cette règle d’exclusion de la preuve n’a pas prĂ©sĂ©ance sur ce dernier. La CAI conclut donc que le motif de refus basĂ© sur le privilège relatif au litige n’est pas recevable en l’instance. La dĂ©cision fait prĂ©sentement l’objet d’un appel devant la Cour du QuĂ©bec6.

Il convient de noter que plusieurs dĂ©cisions rĂ©centes de la CAI portant sur l’application du privilège relatif au règlement font prĂ©sentement l’objet d’appels devant la Cour du QuĂ©bec7. Par exemple, dans l’affaire Tilmant-Rousseau c. Office quĂ©bĂ©cois de la langue française8, le demandeur avait soumis une demande d’accès afin d’obtenir notamment une copie d’une entente conclue entre l’Association canadienne du logiciel de divertissement et l’Office quĂ©bĂ©cois de la langue française. Cette entente prĂ©voyait la francisation progressive du contenu de jeux vidĂ©o vendus par les membres de l’Association au QuĂ©bec, et la mise en place de mesures visant Ă  renforcer la prĂ©sence du français dans les emballages et documentation relative aux produits. L’Association invoquait le privilège relatif aux règlements pour s’opposer Ă  la communication de l’entente. La CAI a rejetĂ© cette prĂ©tention, en concluant que ce privilège constituait une règle d’exclusion de la preuve, qui n’a pas prĂ©sĂ©ance sur l’exercice du droit d’accès. Il sera donc pertinent de suivre l’Ă©volution de cette jurisprudence quant Ă  la question de l’impact du privilège relatif au règlement dans le contexte d’accès Ă  l’information.

Application de la loi québécoise à une entreprise de juridiction fédérale

La CAI s’est Ă©galement prononcĂ©e sur sa juridiction et l’application de la LPRPSP Ă  une entreprise exerçant des activitĂ©s de juridiction fĂ©dĂ©rale. Dans l’affaire D’Allaire c. Transport Robert (QuĂ©bec) 1973 LtĂ©e9, une entreprise de transport routier interprovincial arguait que la CAI n’avait pas juridiction pour examiner une demande d’examen de mĂ©sentente au motif que ses activitĂ©s Ă©taient de juridiction fĂ©dĂ©rale et que les demandes d’accès touchaient directement sa spĂ©cificitĂ© fĂ©dĂ©rale, soit l’encadrement et la gestion de ses dossiers d’employĂ©s. Elle soumettait Ă  cet Ă©gard que les enjeux de relations et conditions de travail Ă©taient sujets Ă  la juridiction fĂ©dĂ©rale exclusive.

La CAI observe que l’entreprise, de par ses opĂ©rations interprovinciales, est effectivement de juridiction fĂ©dĂ©rale. Cependant, le dĂ©cideur estime que l’application de la LPRPSP ne vise pas un Ă©lĂ©ment essentiel et vital de l’entreprise, au point d’entraver la compĂ©tence fĂ©dĂ©rale en matière de transport ou de relations de travail. La CAI note que la LPRPSP est une loi d’application gĂ©nĂ©rale, visant indistinctement toutes les entreprises faisant affaires au QuĂ©bec, et qu’elle n’a pas pour objet de rĂ©gir ou de s’immiscer dans la gĂ©rance et les conditions de travail des employĂ©s. La doctrine de l’exclusivitĂ© des compĂ©tences10 ne peut donc pas s’appliquer dans le dossier selon la CAI. Finalement, l’entreprise soulevait que la LPRPSP entrait en conflit avec la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents Ă©lectroniques11, Ă©manant du lĂ©gislateur fĂ©dĂ©ral, Ă  laquelle elle Ă©tait assujettie. De ce fait, en vertu de la doctrine de la prĂ©pondĂ©rance fĂ©dĂ©rale12, le droit d’accès de la demanderesse ne pouvait dĂ©couler de la LPRPSP. En l’espèce, la CAI soumet que l’entreprise n’avait apportĂ© aucune preuve quant Ă  une potentielle incompatibilitĂ© entre les deux lois. La CAI rejette donc le moyen prĂ©liminaire visant la question de sa compĂ©tence.

Incident relatif à la confidentialité des données

Enfin, la CAI a terminĂ© l’annĂ©e 2020 en rendant une dĂ©cision fort attendue dans l’affaire impliquant l’incident de confidentialitĂ© survenu au sein de la FĂ©dĂ©ration des caisses Desjardins13. Suite Ă  l’enquĂŞte menĂ©e par la direction de surveillance de la CAI, celle-ci a conclu que l’entreprise n’avait pas respectĂ© plusieurs dispositions de la LPRPSP en ce qui a trait aux mesures de sĂ©curitĂ©, Ă  l’accessibilitĂ© des renseignements personnels, et Ă  l’utilisation faite de ceux-ci.

Conclusion

En juin 2020, le lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois a dĂ©posĂ© le projet de loi 64, qui vise Ă  moderniser le rĂ©gime juridique de la province en matière de protection des renseignements personnels. Le projet de loi envisage plusieurs changements importants, notamment quant Ă  la mise en place de politiques et pratiques, la crĂ©ation de nouveaux droits pour les individus et l’inclusion d’un processus de notification obligatoire en matière d’incident Ă  la confidentialitĂ© des donnĂ©es. La CAI disposera Ă©galement de nouveaux pouvoirs, notamment celui d’imposer des sanctions administratives. Ce tribunal administratif gĂ©nĂ©rera donc au cours des prochaines annĂ©es de la jurisprudence sur des sujets nouveaux. Plus que jamais, il sera important de suivre l’Ă©volution de ces dĂ©cisions.


Justine Brien pratique au sein du groupe de litige civil et commercial au bureau de Langlois Avocats Ă  MontrĂ©al. Ă€ ce titre, elle reprĂ©sente et conseille des organisations et des entreprises dans le cadre de litiges variĂ©s qui touchent notamment le droit bancaire, la responsabilitĂ© du fabricant, le droit de la consommation, et l’accès Ă  l’information. Elle conseille Ă©galement ses clients en matière de protection des renseignements personnels et protection de la vie privĂ©e.

Notes de page

1 BiomĂ©trie : principes Ă  respecter et obligations lĂ©gales des organisations – Guide d’accompagnement pour les organismes publics et les entreprises, disponible en ligne.

2 Guide d’accompagnement – RĂ©aliser une Ă©valuation des facteurs relatifs Ă  la vie privĂ©e, disponible en ligne.

3 Dossier 1018507-S – para. 2.

4 Dossier 1005977-S.

5 2020 QCCAI 115.

6 Procureur gĂ©nĂ©ral du QuĂ©bec c, Belzile, dossier de Cour 500-80-040621-204.

7 2019 QCCAI 166, Appel 500-80-038920-196 ; 2019 QCCAI 175, Appel 700-80-010972-195.

8 2019 QCCAI 288, Appel 200-80-009621-192.

9 2020 QCCAI 152.

10 En vertu de laquelle le contenu essentiel des chefs de compĂ©tence exclusive prĂ©vus dans la Loi constitutionnelle de 1867 peut ĂŞtre protĂ©gĂ© contre les effets d’une loi de l’autre ordre de gouvernement. En pareille circonstance, les dispositions contestĂ©es demeurent valides, mais sont inapplicables aux matières relevant du contenu essentiel de la compĂ©tence exclusive ; Transport DesgagnĂ©s Inc. c. Wärtsilä Canada Inc., 2019 CSC 58, au para. 90. 

11 L.C. 2000, ch. 5.

12 L’application de cette doctrine nĂ©cessite la preuve d’un conflit d’application ou d’intention entre la loi fĂ©dĂ©rale et la loi provinciale. La preuve d’une telle incompatibilitĂ© entraĂ®ne que la loi provinciale est dĂ©clarĂ©e inopĂ©rante dans la mesure du conflit ; Transport DesgagnĂ©s Inc. c. Wärtsilä Canada Inc., 2019 CSC 58, au para. 99.

13 Dossier 1020846-S.