L’auteur fournit un survol du rĂšglement municipal sur la modification d’un site en Ontario et aborde les limites de son pouvoir sur la rĂ©glementation des sols de dĂ©blai. Alors qu’entre en vigueur le rĂšglement Gestion des sols sur les lieux et des sols de dĂ©blai de l’Ontario (« RĂšgl. de l’Ont. 406/19 »)1, certaines municipalitĂ©s sont contraintes de revoir leur rĂšglement sur la modification d’un site et d’Ă©tablir un cadre sur la meilleure façon de gĂ©rer et de rĂ©glementer les sols de dĂ©blai des chantiers de construction se trouvant Ă l’intĂ©rieur de leurs frontiĂšres.
Les municipalitĂ©s Ă palier unique et celles de palier infĂ©rieur peuvent toutes deux interdire et rĂ©glementer les activitĂ©s de modification d’un site par le biais d’un rĂšglement2. Ce pouvoir permet aussi Ă ces municipalitĂ©s d’Ă©tablir un rĂ©gime de dĂ©livrance de permis pour les activitĂ©s ci-dessus et d’imposer diverses conditions3.
La province a reconnu l’importance du pouvoir municipal dans le cadre rĂ©glementaire des sols de dĂ©blai. Le rĂšglement de l’Ontario 406/19 prĂ©voit diverses exigences en ce qui a trait Ă la qualitĂ© et Ă la quantitĂ© des sols de dĂ©blai destinĂ©s Ă un site de rĂ©utilisation. Si un « acte municipal4 » traite d’exigences en matiĂšre de « qualitĂ© », alors la rĂ©glementation Ă©tablit la rigueur de l’acte par rapport aux normes provinciales, comme les normes de qualitĂ© des sols de dĂ©blai (« normes des sols de dĂ©blai »5), puis impose les conditions suivantes au sol6 :
Rigueur
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Condition
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L’acte impose une exigence Ă©quivalente ou plus rigoureuse que la norme de qualitĂ© des sols de dĂ©blai.
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La qualitĂ© des sols de dĂ©blai applicable est Ă©tablie conformĂ©ment aux normes sur les sols de dĂ©blai, et non Ă l’acte municipal7.
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L’acte impose une exigence moins rigoureuse.
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L’exigence Ă©noncĂ©e dans l’acte doit ĂȘtre respectĂ©e.
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Une analyse semblable est menĂ©e pour Ă©tablir la quantitĂ© de sols permise au site de rĂ©utilisation. Si l’acte municipal ne prĂ©cise pas une quantitĂ© maximale de sols pouvant ĂȘtre importĂ©s, mais indique la « fin bĂ©nĂ©fique » pour laquelle les sols doivent ĂȘtre utilisĂ©s, alors la quantitĂ© ne doit pas surpasser la quantitĂ© requise pour cette fin bĂ©nĂ©fique. Cependant, si l’acte traite de la quantitĂ© de sols de dĂ©blai qui sont importĂ©s, la quantitĂ© maximale dĂ©crite dans l’acte doit ĂȘtre respectĂ©e8.
Limites des rĂšglements municipaux sur la modification d’un site
Bien que le pouvoir municipal sur la modification d’un site soit large, il n’est pas illimitĂ©. En particulier, un rĂšglement municipal sur la modification d’un site ne peut s’appliquer Ă plusieurs activitĂ©s Ă©numĂ©rĂ©es en vertu de la Loi de 2001 sur les municipalitĂ©s9, qui comprend notamment la modification d’un site comme une condition Ă l’approbation d’un plan d’implantation, d’un plan de lotissement ou d’une autorisation, ou comme exigence d’une convention de plan d’implantation ou d’une convention de lotissement. Ă ce titre, de nombreux lotissements de plus grande envergure pourraient ĂȘtre exemptĂ©s du rĂšglement municipal sur la modification d’un site.
D’autres exemptions statutaires peuvent aussi limiter la portĂ©e de rĂšglements municipaux sur la modification d’un site. Par exemple, la Loi de 1998 sur la protection de l’agriculture et de la production alimentaire stipule qu’un rĂšglement municipal n’a pas pour effet de limiter une pratique agricole normale exĂ©cutĂ©e dans le cadre d’une exploitation agricole10. Si une personne cherche Ă mener une « pratique agricole normale », par exemple en modifiant un site dans le but de remettre en Ă©tat des terres agricoles, elle peut soumettre Ă la Commission de protection des pratiques agricoles normales une dĂ©claration selon laquelle une activitĂ© constitue une pratique agricole normale et qu’un rĂšglement municipal limite cette pratique11.
En outre, sous le rĂ©gime de la Loi de 2001 sur les municipalitĂ©s, les rĂ©sidents d’une municipalitĂ© conservent un pouvoir discrĂ©tionnaire rĂ©siduel en vertu duquel la Cour supĂ©rieure de justice peut annuler tout ou partie d’un rĂšglement municipal pour cause d’illĂ©galitĂ©12.
La Loi de 2001 sur les municipalitĂ©s est plutĂŽt discrĂšte en ce qui concerne la signification du terme « illĂ©galitĂ© », hormis la restriction expresse Ă l’encontre d’une contestation par suite de caractĂšre abusif mentionnĂ© ci-dessus. Toutefois, des tribunaux canadiens ont dĂ©veloppĂ© une large comprĂ©hension de l’illĂ©galitĂ© en se fondant sur des principes bien Ă©laborĂ©s du droit administratif et du droit constitutionnel. Deux questions frĂ©quentes Ă©manent lorsqu’un rĂšglement municipal sur la modification d’un site permet Ă des employĂ©s municipaux d’exercer le pouvoir discrĂ©tionnaire : (1) l’imprĂ©cision et (2) la rĂšgle contre la sous-dĂ©lĂ©gation.
En tant que principe fondamental de la primautĂ© du droit, la thĂ©orie de l’imprĂ©cision inconstitutionnelle tente de veiller Ă ce que le droit fournisse une orientation suffisante pour que tout citoyen ou citoyenne raisonnablement intelligent ou intelligente puisse se conformer Ă la loi13. Un rĂšglement municipal peut ĂȘtre invalide pour cause d’imprĂ©cision lorsqu’il n’est pas « suffisamment intelligible » pour fournir la base adĂ©quate Ă la tenue d’un dĂ©bat ou Ă la rĂ©alisation d’une analyse Ă©clairĂ©e, lorsqu’il ne permet pas l’Ă©tablissement d’une sphĂšre de risque ou lorsqu’il n’offre Ă un tribunal aucune issue lui permettant d’exercer ses compĂ©tences en interprĂ©tation14. Compte tenu de la volontĂ© des tribunaux Ă accorder aux municipalitĂ©s de la latitude pour l’application de leurs rĂšglements, l’imprĂ©cision inconstitutionnelle doit ĂȘtre prouvĂ©e Ă l’aide d’une norme stricte15.
L’exercice du pouvoir discrĂ©tionnaire peut favoriser des allĂ©gations voulant qu’un rĂšglement municipal soit inopportunĂ©ment imprĂ©cis. Si un rĂšglement municipal habilite un fonctionnaire Ă exĂ©cuter une rĂšgle sans indication claire par rapport Ă une norme applicable, ce fonctionnaire est contraint d’exercer son jugement personnel plutĂŽt que suivre une rĂšgle objective. En consĂ©quence, ce pouvoir discrĂ©tionnaire peut entraĂźner l’application du rĂšglement Ă une personne d’une certaine maniĂšre et Ă une autre d’une façon diffĂ©rente, sans que cette distinction s’appuie sur un principe intelligible. Ce type de comportement constitue un manquement Ă la primautĂ© du droit et peut rendre nul un rĂšglement.
Bien que l’imprĂ©cision inconstitutionnelle s’applique aux rĂšglements municipaux de modification d’un site de la mĂȘme maniĂšre de tout autre rĂšglement, les normes et les conditions relatives Ă la modification du site sont souvent mentionnĂ©es de façon claire et prĂ©cise. Cependant, cela ne revient pas Ă dire qu’il est impossible de contester un rĂšglement de modification de site pour cause d’imprĂ©cision. « Ce qui fait plus problĂšme, ce ne sont pas tant des termes gĂ©nĂ©raux confĂ©rant un large pouvoir discrĂ©tionnaire, que des termes qui ne donnent pas, quant au mode d’exercice de ce pouvoir, d’indications permettant de le contrĂŽler16. »
La rĂšgle allant Ă l’encontre de la sous-dĂ©lĂ©gation est intimement liĂ©e Ă l’imprĂ©cision inconstitutionnelle; il est interdit aux municipalitĂ©s de dĂ©lĂ©guer illicitement des pouvoirs lĂ©gislatifs et judiciaires sans autorisation lĂ©gislative expresse. Cela n’interdit pas aux municipalitĂ©s de sous-dĂ©lĂ©guer des tĂąches administratives Ă des employĂ©s, y compris la capacitĂ© de dĂ©livrer des licences ou d’imposer des conditions. NĂ©anmoins, des pouvoirs administratifs peuvent ĂȘtre « convertis » en pouvoirs lĂ©gislatifs si le personnel jouit d’une grande libertĂ© dans l’exercice de son pouvoir discrĂ©tionnair17. Ă cette fin, les municipalitĂ©s devraient envisager l’Ă©tablissement de normes pour orienter les employĂ©s dans l’exercice de leur pouvoir discrĂ©tionnaire. Autrement, la dĂ©lĂ©gation d’un tel pouvoir Ă un fonctionnaire lui permettrait d’exercer cette autoritĂ© en toute libertĂ© ou d’Ă©tablir les normes Ă appliquer pour chaque cas de modification de site18.
Conclusion
Bien que la modification d’un site soit une question de plus en plus rĂ©gionale, cette question doit ĂȘtre abordĂ©e en tenant compte des circonstances uniques de chaque municipalitĂ©. Ces tensions rĂ©vĂšlent le dĂ©fi continu de trouver l’Ă©quilibre entre les intĂ©rĂȘts provinciaux souvent contradictoires de la promotion de la croissance et de la densification par rapport au besoin de protĂ©ger l’environnement et la collectivitĂ© contre des effets nĂ©fastes.
L’article a dĂ©jĂ Ă©tĂ© publiĂ© sur le site Web de la Section du droit municipal de l’ABO.
Matthew Lakatos-Hayward est avocat chez Goodmans.
NOTES DE FIN
1 RĂšglement de l’Ontario 406/19
2 Loi de 2001 sur les municipalités, L.O. 2001, chap. 25, par. 142(1); consultez aussi les paragraphes 10, 11, 128, 129 [Loi de 2001 sur les municipalités].
3 Loi de 2001 sur les municipalitĂ©s, L.O. 2001, chap. 25, par. 142(2); le paragraphe 142(3) permet Ă©galement Ă toute municipalitĂ© de palier infĂ©rieur de dĂ©lĂ©guer son autoritĂ© Ă une municipalitĂ© de palier supĂ©rieur par le biais d’un accord; consultez aussi la Loi de 2006 sur la citĂ© de Toronto, L.O. 2006, chap. 11, annexe A, par. 105(1) [Loi de 2006 sur la citĂ© de Toronto].
4 Le rĂšglement de l’Ontario 406/19, par. 3(2)â4, prĂ©cise que les actes municipaux doivent inclure un permis dĂ©livrĂ© aux termes d’un rĂšglement sur la modification d’un site, un permis dĂ©livrĂ© en vertu d’un rĂšglement de modification d’un site, une approbation prĂ©vue par la Loi sur l’amĂ©nagement du territoire, un permis ou une licence dĂ©livrĂ©s en vertu de la Loi sur les ressources en agrĂ©gats et d’autres actes s’appliquant Ă des sites en particulier.
5 Voir RÚgles sur la gestion des sols et normes de qualité des sols de déblai (2020), disponible en ligne.
6 RĂšglement de l’Ontario 406/19, par. 4(2).
7 RĂšglement de l’Ontario 406/19, par. 5(1).
9 Loi de 2001 sur les municipalités, par. 142(5); consultez aussi la Loi de 2006 sur la cité de Toronto, par. 105(2).
10 Loi de 1998 sur la protection de l’agriculture et de la production alimentaire, L.O. 1998, chap. 1, par. 6(1).
11 Consultez, pour un exemple, Snieg c. Corporation of the Town of New Tecumseth, 2016 CanLII 66268 (CPPAN ON).
12 Loi de 2001 sur les municipalités, par. 273(1); consultez aussi la note 2 ci-dessus sur la Loi de 2006 sur la cité de Toronto, par. 214(1).
13 Multani c. Marguerite-Bourgeoys (Commission scolaire), 2006 SCC 6 au par. 117, [2006] 1 R.C.S. 256; Neighbourhoods of Windfields Ltd Partnership c. Death (2007), 49 MPLR (4e) 169, 2007 CarswellOnt 9504 au par. 18 [Death].
14 Wainfleet Wind Energy Inc c. Wainfleet (Township), 2013 ONSC 2194 au par. 31, 115 OR (3d) 64 [Wainfleet]; Adult Entertainment Association of Canada c. Ville d’Ottawa, 2007 ONCA 389 au par. 53, 283 DLR (4e) 704 [Adult Entertainment]; Death, citant Canada c. Pharmaceutical Society (Nova Scotia), [1992] 2 R.C.S. 606 Ă 639 [Nova Scotia Pharma].
15 Nova Scotia Pharma, consultez aussi la note ci-dessus Ă 639; Death, note ci-dessus au par. 26; voyez aussi Adult Entertainment Association of Canada au par. 53 : « Cependant, la langue n’est pas un outil exact et on ne peut attendre du droit qu’il prĂ©dise les consĂ©quences juridiques de tout comportement potentiel » (traduction libre).
16 Nova Scotia Pharma, Ă 612; la Cour d’appel de l’Ontario a mis en application le raisonnement du juge Gonthier par rapport Ă un rĂšglement municipal permettant Ă la ville d’Ottawa de rĂ©glementer certains aspects des clubs de divertissement pour adultes dans l’affaire Adult Entertainment Association of Canada, idem.
17 Restaurant Vic inc. c. Ville de Montréal, [1959] R.C.S. 58 à 64, 17 DLR (2d) 81 [Vic Restaurant].
18 Consultez Forst; Vic Restaurant; Stewart c. Cité de Victoria (1992), 38 ACWS (3d) 172, [1993] BCWLD 671; Kirkpatrick c. Maple Ridge (1980), 14 MPLR 19, 119 DLR (3d) 598, examiné pour autres motifs, 49 BCLR 134 (BCCA), conf. [1986] 2 R.C.S. 124.