La signification du principe de fĂ©dĂ©ralisme coopĂ©ratif a fait couler bien de l’encre, Ă commencer par la question de savoir s’il s’agit mĂŞme d’une doctrine reconnue sur laquelle on peut s’appuyer pour trancher les diffĂ©rends qui portent sur la rĂ©partition des pouvoirs lĂ©gislatifs Ă©tablie par la Loi constitutionnelle de 1867. Bien que cela puisse sembler la question la plus thĂ©orique de toutes les questions thĂ©oriques, la rĂ©partition des pouvoirs n’est pas exactement l’aspect le plus attrayant du droit constitutionnel canadien. D’ailleurs, un simple coup d’Ĺ“il sur le rĂ´le de la Cour suprĂŞme cette annĂ©e nous rappelle que le fĂ©dĂ©ralisme coopĂ©ratif demeure un concept liminaire pouvant ĂŞtre utilisĂ© par tous, quel que soit le dĂ©bat du moins qu’il porte quelque peu sur l’opposition entre la compĂ©tence dĂ©volue aux provinces et celle qui Ă©choit au palier fĂ©dĂ©ral.
Dans l’affaire Comeau qui a rĂ©cemment Ă©tĂ© plaidĂ©e, les parties s’opposaient quant aux consĂ©quences de l’interprĂ©tation de l’article 121 de la Loi constitutionnelle de 1867 sur la possibilitĂ© d’efforts de coopĂ©ration lĂ©gislative entre les pouvoirs provinciaux et fĂ©dĂ©raux. Parallèlement, cet hiver, dans l’affaire Orphan Wells et le deuxième dossier Renvoi relatif Ă la Loi sur les valeurs mobilières (Securities Reference) entendu au QuĂ©bec, la Cour devra se prononcer sur la façon dont la notion de fĂ©dĂ©ralisme coopĂ©ratif interagit avec des doctrines Ă©tablies telles que celles du caractère vĂ©ritable et de la prĂ©pondĂ©rance. Bref, ce principe insaisissable acquiert une popularitĂ© croissante tant auprès des tribunaux que des parties au litige.
Afin d’Ă©tudier ce que le fĂ©dĂ©ralisme coopĂ©ratif pourrait vĂ©ritablement signifier et les consĂ©quences que cela pourrait avoir pour notre jurisprudence sur la rĂ©partition des pouvoirs, le 16 novembre 2017, les sections du droit administratif et du droit constitutionnel de la Division du QuĂ©bec de l’ABC se sont alliĂ©es pour prĂ©senter une confĂ©rence portant sur les origines historiques et thĂ©oriques de ce principe, ainsi que sur diverses façons de considĂ©rer son utilitĂ© et ses consĂ©quences.
Après un rĂ©capitulatif historique de l’Ă©volution du fĂ©dĂ©ralisme coopĂ©ratif dans la jurisprudence prĂ©sentĂ© par l’honorable ClĂ©ment Gascon de la Cour suprĂŞme du Canada, Alexander Pless, du ministère de la Justice, et Noura Karazivan, professeure de droit constitutionnel Ă l’UniversitĂ© de MontrĂ©al, ont prĂ©sentĂ© une analyse dĂ©taillĂ©e des incidences et possibles interprĂ©tations de ce principe.
Selon Me Pless, le fait de se fonder sur la notion de fĂ©dĂ©ralisme coopĂ©ratif tend Ă susciter des attitudes d’opposition plutĂ´t que de coopĂ©ration. MalgrĂ© une appellation qui suggère une prĂ©fĂ©rence pour une collaboration entre diffĂ©rents ordres de gouvernements pour atteindre des objectifs communs, dans les faits, les tribunaux ont invoquĂ© ce principe pour justifier un rĂ©sultat tout Ă fait opposĂ©. Le rĂ©cent arrĂŞt Alberta (Procureur gĂ©nĂ©ral) c. Moloney, est l’un des nombreux exemples illustrant ce propos. La majoritĂ© de la Cour suprĂŞme a fait Ă©tat du fĂ©dĂ©ralisme coopĂ©ratif comme principe favorisant une application retenue de la doctrine de la prĂ©pondĂ©ranceNote de bas de page1. Fondamentalement, l’appel Ă la coopĂ©ration peut ĂŞtre utilisĂ©, en rĂ©alitĂ©, pour militer en faveur de la mise en Ĺ“uvre simultanĂ©e des lois fĂ©dĂ©rales et provinciales. Cela se traduit par le fait que les deux ordres de gouvernement peuvent agir indĂ©pendamment l’un de l’autre plutĂ´t qu’en se concertant.
Noura Karazivan, quant Ă elle, pense que le fĂ©dĂ©ralisme coopĂ©ratif pourrait ĂŞtre considĂ©rĂ© plus correctement comme un moyen de promouvoir les mĂ©canismes du pouvoir exĂ©cutif qui exigent un certain degrĂ© d’interaction entre les provinces et le gouvernement fĂ©dĂ©ral. Lorsqu’une structure de rĂ©glementation comporte la participation des deux ordres de gouvernement, chacun agissant dans les limites de ses propres compĂ©tences, l’accord de partage des coĂ»ts entre le palier fĂ©dĂ©ral et le palier provincial en cause dans l’affaire Renvoi relatif au RĂ©gime d'assistance publique du Canada (C.-B.) en Ă©tant un des nombreux exemplesNote de bas de page2, Me Karazivan souligne que les tribunaux hĂ©siteront Ă s’ingĂ©rer dans le fonctionnement de ce mĂ©canisme et des dĂ©cisions du pouvoir exĂ©cutif qui le sous-tendent.
Naturellement, comme le fait remarquer Me Karazivan, les accords entre gouvernements dans lesquels chacun agit dans les limites de sa propre compĂ©tence ne sont pas, Ă strictement parler, juridiquement exĂ©cutoires. Les consĂ©quences du refus d’un ordre de gouvernement de satisfaire Ă ses obligations particulières peuvent ĂŞtre de nature politique. Cela a Ă©tĂ© jusqu’ici l’approche adoptĂ©e par la Cour suprĂŞme Ă l’Ă©gard de ce genre d’accords mĂŞme si les motifs dissidents du Renvoi sur les armes Ă feuNote de bas de page3 semblent ouvrir une porte Ă une utilisation mieux assise du fĂ©dĂ©ralisme coopĂ©ratif pour annuler les mesures « contraires Ă la coopĂ©ration ». Reste Ă voir la façon dont cette cour traitera l’accord fĂ©dĂ©ral-provincial dans le Renvoi sur les valeurs mobilières qu’elle doit bientĂ´t trancher.
Ceci Ă©tant dit, une approche jurisprudentielle qui impose des consĂ©quences juridiques pour une mesure unilatĂ©rale dans le contexte d’accords entre gouvernements serait du jamais vu et pourrait constituer une ingĂ©rence dans la souverainetĂ© du pouvoir lĂ©gislatif. Qui plus est, cela pourrait contredire le fait que les tribunaux se fondent, Ă l’occasion, sur le fĂ©dĂ©ralisme coopĂ©ratif pour prĂ©server la mesure unilatĂ©rale, comme cela est sous-entendu dans l’arrĂŞt Moloney ou dans les motifs concordants du juge Gascon dans l’affaire Rogers Communications Inc. c. Châteauguay (Ville)Note de bas de page4. D’ailleurs, il n’est pas clair s’il est possible de rĂ©concilier ces visions et utilisations opposĂ©es du principe.
En fin de compte, c’est peut-ĂŞtre Me Karazivan qui l’a exprimĂ© de la façon la plus Ă©loquente lorsqu’elle a dĂ©crit le fĂ©dĂ©ralisme coopĂ©ratif comme un concept dont la teneur et l’importance sont adaptĂ©es pour rĂ©pondre aux besoins gĂ©nĂ©rĂ©s par la situation de la partie qui s’en prĂ©vaut. En l’absence d’une matĂ©rialisation jurisprudentielle du principe, il demeure suffisamment souple pour que tous y trouvent leur bonheur. Reste Ă savoir si les affaires de fĂ©dĂ©ralisme traitĂ©es par la Cour suprĂŞme cette annĂ©e vont changer cela.
Olga Redko est avocate dans le cabinet IMK LLP.