Fédéralisme coopératif – est-ce une répartition des pouvoirs qui convient à tous?

02 janvier 2018

La signification du principe de fédéralisme coopératif a fait couler bien de l’encre, à commencer par la question de savoir s’il s’agit même d’une doctrine reconnue sur laquelle on peut s’appuyer pour trancher les différends qui portent sur la répartition des pouvoirs législatifs établie par la Loi constitutionnelle de 1867. Bien que cela puisse sembler la question la plus théorique de toutes les questions théoriques, la répartition des pouvoirs n’est pas exactement l’aspect le plus attrayant du droit constitutionnel canadien. D’ailleurs, un simple coup d’œil sur le rôle de la Cour suprême cette année nous rappelle que le fédéralisme coopératif demeure un concept liminaire pouvant être utilisé par tous, quel que soit le débat du moins qu’il porte quelque peu sur l’opposition entre la compétence dévolue aux provinces et celle qui échoit au palier fédéral.

Dans l’affaire Comeau qui a récemment été plaidée, les parties s’opposaient quant aux conséquences de l’interprétation de l’article 121 de la Loi constitutionnelle de 1867 sur la possibilité d’efforts de coopération législative entre les pouvoirs provinciaux et fédéraux. Parallèlement, cet hiver, dans l’affaire Orphan Wells et le deuxième dossier Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières (Securities Reference) entendu au Québec, la Cour devra se prononcer sur la façon dont la notion de fédéralisme coopératif interagit avec des doctrines établies telles que celles du caractère véritable et de la prépondérance. Bref, ce principe insaisissable acquiert une popularité croissante tant auprès des tribunaux que des parties au litige. 

Afin d’étudier ce que le fédéralisme coopératif pourrait véritablement signifier et les conséquences que cela pourrait avoir pour notre jurisprudence sur la répartition des pouvoirs, le 16 novembre 2017, les sections du droit administratif et du droit constitutionnel de la Division du Québec de l’ABC se sont alliées pour présenter une conférence portant sur les origines historiques et théoriques de ce principe, ainsi que sur diverses façons de considérer son utilité et ses conséquences.

Après un récapitulatif historique de l’évolution du fédéralisme coopératif dans la jurisprudence présenté par l’honorable Clément Gascon de la Cour suprême du Canada, Alexander Pless, du ministère de la Justice, et Noura Karazivan, professeure de droit constitutionnel à l’Université de Montréal, ont présenté une analyse détaillée des incidences et possibles interprétations de ce principe.

Selon Me Pless, le fait de se fonder sur la notion de fédéralisme coopératif tend à susciter des attitudes d’opposition plutôt que de coopération. Malgré une appellation qui suggère une préférence pour une collaboration entre différents ordres de gouvernements pour atteindre des objectifs communs, dans les faits, les tribunaux ont invoqué ce principe pour justifier un résultat tout à fait opposé. Le récent arrêt Alberta (Procureur général) c. Moloney, est l’un des nombreux exemples illustrant ce propos. La majorité de la Cour suprême a fait état du fédéralisme coopératif comme principe favorisant une application retenue de la doctrine de la prépondéranceNote de bas de page1. Fondamentalement, l’appel à la coopération peut être utilisé, en réalité, pour militer en faveur de la mise en œuvre simultanée des lois fédérales et provinciales. Cela se traduit par le fait que les deux ordres de gouvernement peuvent agir indépendamment l’un de l’autre plutôt qu’en se concertant.

Noura Karazivan, quant à elle, pense que le fédéralisme coopératif pourrait être considéré plus correctement comme un moyen de promouvoir les mécanismes du pouvoir exécutif qui exigent un certain degré d’interaction entre les provinces et le gouvernement fédéral. Lorsqu’une structure de réglementation comporte la participation des deux ordres de gouvernement, chacun agissant dans les limites de ses propres compétences, l’accord de partage des coûts entre le palier fédéral et le palier provincial en cause dans l’affaire Renvoi relatif au Régime d'assistance publique du Canada (C.-B.) en étant un des nombreux exemplesNote de bas de page2, Me Karazivan souligne que les tribunaux hésiteront à s’ingérer dans le fonctionnement de ce mécanisme et des décisions du pouvoir exécutif qui le sous-tendent.

Naturellement, comme le fait remarquer Me Karazivan, les accords entre gouvernements dans lesquels chacun agit dans les limites de sa propre compétence ne sont pas, à strictement parler, juridiquement exécutoires. Les conséquences du refus d’un ordre de gouvernement de satisfaire à ses obligations particulières peuvent être de nature politique. Cela a été jusqu’ici l’approche adoptée par la Cour suprême à l’égard de ce genre d’accords même si les motifs dissidents du Renvoi sur les armes à feuNote de bas de page3 semblent ouvrir une porte à une utilisation mieux assise du fédéralisme coopératif pour annuler les mesures « contraires à la coopération ». Reste à voir la façon dont cette cour traitera l’accord fédéral-provincial dans le Renvoi sur les valeurs mobilières qu’elle doit bientôt trancher.

Ceci étant dit, une approche jurisprudentielle qui impose des conséquences juridiques pour une mesure unilatérale dans le contexte d’accords entre gouvernements serait du jamais vu et pourrait constituer une ingérence dans la souveraineté du pouvoir législatif. Qui plus est, cela pourrait contredire le fait que les tribunaux se fondent, à l’occasion, sur le fédéralisme coopératif pour préserver la mesure unilatérale, comme cela est sous-entendu dans l’arrêt Moloney ou dans les motifs concordants du juge Gascon dans l’affaire Rogers Communications Inc. c. Châteauguay (Ville)Note de bas de page4. D’ailleurs, il n’est pas clair s’il est possible de réconcilier ces visions et utilisations opposées du principe.

En fin de compte, c’est peut-être Me Karazivan qui l’a exprimé de la façon la plus éloquente lorsqu’elle a décrit le fédéralisme coopératif comme un concept dont la teneur et l’importance sont adaptées pour répondre aux besoins générés par la situation de la partie qui s’en prévaut. En l’absence d’une matérialisation jurisprudentielle du principe, il demeure suffisamment souple pour que tous y trouvent leur bonheur. Reste à savoir si les affaires de fédéralisme traitées par la Cour suprême cette année vont changer cela.

Olga Redko  est avocate dans le cabinet IMK LLP.