CommencĂ©e avec pour toile de fond l’engagement du tout nouveau premier ministre Justin Trudeau selon lequel il faut « renouveler la relation de nation Ă nation avec les peuples autochtones », 2016 a Ă©tĂ© une annĂ©e de grandes attentes pour le droit canadien des Autochtones, et plus particulièrement dans les domaines extrĂŞmement dynamiques des obligations de consultation de la Couronne et du droit des traitĂ©s.
10. L’ONE et les Ă©valuations environnementales
En aoĂ»t et en novembre, le gouvernement fĂ©dĂ©ral a Ă©tabli deux groupes d’experts chargĂ©s respectivement d’examiner les processus d’Ă©valuation environnementale du Canada et d’Ă©laborer des recommandations pour « moderniser » l’Office national de l'Ă©nergie (ONE). Ces examens ont chacun reflĂ©tĂ© une importance accrue accordĂ©e Ă la participation des Autochtones aux processus de rĂ©glementation.
Le rapport du groupe d’experts chargĂ© d’examiner les processus d’Ă©valuation environnementale a Ă©tĂ© publiĂ© le 5 avril 2017, et celui du groupe d’experts sur l’ONE devrait paraĂ®tre d’ici le 15 mai 2017.
9. Courtoreille c. Canada
Une dĂ©cision rendue en dĂ©cembre dans l’affaire Courtoreille c. Canada (2016 CAF 311) est la plus rĂ©cente au sujet de la question de savoir si le processus lĂ©gislatif lui-mĂŞme, et non la seule prise de dĂ©cisions gouvernementales en vertu de la lĂ©gislation, est limitĂ© par l’obligation constitutionnelle de la Couronne de consulter les groupes autochtones. Dans sa dĂ©cision de 2016, la Cour d’appel fĂ©dĂ©rale a rĂ©pondu Ă cette question par la nĂ©gative.
Dans cette dĂ©cision, la Première Nation Crie Mikisew allègue la violation de cette obligation dans le cadre du processus connexe au projet de loi C-38 de 2012; projet de loi qui simplifiait la rĂ©glementation environnementale du Canada. Les juges de Montigny et Webb ont conclu que la forme des consultations prĂ´nĂ©e par la Première Nation irait Ă l’encontre de la sĂ©paration des pouvoirs et du principe du privilège parlementaire. Le Chef Courtoreille a dĂ©posĂ© une demande d’autorisation de pourvoi devant la Cour suprĂŞme en fĂ©vrier 2017.
8. Le traitĂ© Tla’amin
Le 5 avril, le quatrième traitĂ© moderne signĂ© par la Colombie-Britannique, l’Accord dĂ©finitif des Tla’amins, est entrĂ© en vigueur au terme de vingt ans de nĂ©gociations dans le cadre du processus dirigĂ© par la commission des traitĂ©s de la C.-B. (B.C. Treaty Commission).
Le traitĂ© accorde Ă la Nation Tla’amin un transfert de capital de 33,9 millions de dollars, un fonds de dĂ©veloppement Ă©conomique de 7,9 millions de dollars et une enveloppe foncière de 8 323 hectares.
7. Ktunaxa Nation
Le 1er dĂ©cembre, la Cour suprĂŞme du Canada a entendu un appel de la dĂ©cision Ktunaxa Nation c. British Columbia (Minister of Forests). Dans ce pourvoi, la Première Nation allĂ©guait que la crĂ©ation d’une station de ski allait causer des dommages irrĂ©parables Ă sa relation avec l’Esprit de l’ours Grizzli (Qat’muk), nonobstant le fait que ses cĂ©rĂ©monies religieuses avaient lieu ailleurs.
La Cour n’a jamais tranchĂ© sur la relation entre les droits ancestraux et les droits Ă la libertĂ© de culte garantis par le paragraphe 2(a) de la Charte. Sa dĂ©cision pourrait avoir de vastes rĂ©percussions sur l’amĂ©nagement foncier, particulièrement s’agissant des terres de la Couronne et avoisinantes en Colombie-Britannique.
6. Négociations de traités avec les Algonquins et les Inuits
Le 18 octobre, au terme de 24 ans de nĂ©gociations, les gouvernements canadien et ontarien ont signĂ© un accord de principe avec les 10 communautĂ©s de l’Est de l’Ontario qui constituent les Algonquins de l’Ontario. Cela pourrait dĂ©boucher sur le premier traitĂ© moderne de l’Ontario qui accorderait aux Algonquins quelque 117 500 acres de terres publiques fĂ©dĂ©rales allant d’Ottawa Ă North Bay, ainsi qu’environ 300 millions de dollars ou plus de fonds gouvernementaux.
Au cours de l’annĂ©e, les nĂ©gociations dĂ©coulant d’un accord de principe de 2004 avec les communautĂ©s innues du QuĂ©bec ont Ă©galement progressĂ©. Les nĂ©gociations avec trois de ces communautĂ©s (Mashteuiatsh, Essipit et Nutashkuan) pourraient dĂ©boucher sur un traitĂ© dĂ©finitif en 2017 ou 2018 couvrant de larges portions des rĂ©gions du Saguenay-Lac-St-Jean et de la CĂ´te-Nord de la province.
5. Premières Nations favorables Ă l’exploitation pĂ©trolière
Une confĂ©rence qui a eu lieu en octobre Ă Calgary, intitulĂ©e « Pipeline Gridlock: A Nation-to-Nation Gathering on Strategy and Solutions », a soulignĂ© les points de vue de nombreuses Premières Nations qui soutiennent et profitent des projets canadiens en matière de ressources. En septembre, des groupes autochtones amĂ©ricains et canadiens s’exprimant sous la bannière Treaty Alliance Against Tar Sands Expansion s’Ă©taient engagĂ©s Ă « interdire » toutes les propositions visant des pipelines majeurs au Canada.
Le 29 novembre, le gouvernement Trudeau a refusĂ© son accord au projet Enbridge Northern Gateway (dĂ©tails ci-dessous). En rĂ©ponse, les 31 membres du groupe Aboriginal Equity Partners qui appuient le projet ont appelĂ© Ă des consultations Ă©galitaires et exhortĂ© les [traduction] « gouvernements Ă mettre un terme Ă la politisation des projets sis sur nos terres, particulièrement ceux qui sont la propriĂ©tĂ© des Peuples Autochtones ».
4. Les décisions visant les pipelines
Le 29 novembre, le premier ministre Trudeau a annoncĂ© les dĂ©cisions de son cabinet Ă l’Ă©gard de trois projets majeurs visant des pipelines, soit les projets Trans Mountain Expansion de Kinder Morgan (approuvĂ©), Northern Gateway d’Enbridge (rejetĂ©) et Line 3 Replacement d’Enbridge (approuvĂ©).
Chacun des projets a divisĂ© les groupes autochtones en factions pour et contre. Plusieurs dĂ©putĂ©s du propre parti de M. Trudeau ont exprimĂ© leur dĂ©sapprobation. Dans son annonce des dĂ©cisions, le premier ministre s’est appuyĂ© sur la nĂ©cessitĂ© d’Ă©quilibrer les objectifs environnementaux et l’essor Ă©conomique, ajoutant « aucun pays dans le monde qui trouverait des milliards de barils de pĂ©trole ne les laisserait enfouis dans le sol alors qu’il existe un marchĂ© pour eux ». Les dĂ©cisions concernant les projets Trans Mountain et Line 3 sont toutes deux remises en cause devant la Cour d’appel fĂ©dĂ©rale.
3. Daniels c. Canada
En avril, la Cour suprĂŞme du Canada a publiĂ© sa dĂ©cision la plus importante en droit des Autochtones rendue en 2016 : Daniels c. Canada (2016 CSC 12). L’affaire Daniels soulevait la question de savoir si la compĂ©tence lĂ©gislative accordĂ©e au gouvernement fĂ©dĂ©ral par le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, qui confère au Parlement le pouvoir de lĂ©gifĂ©rer les « Indiens et les terres rĂ©servĂ©es pour les Indiens » est applicable aux MĂ©tis et autres Indiens « non inscrits ».
En dĂ©clarant que le terme « Indiens » recouvre tous les Peuples Autochtones, madame la juge Abella a dit des MĂ©tis et des Indiens « non inscrits » qu’ils se trouvent dans le « dĂ©sert juridique sur le plan de la compĂ©tence » existant entre les gouvernements des provinces et celui du Canada, crĂ©Ă© par le refus de chacun de se reconnaĂ®tre compĂ©tent pour lĂ©gifĂ©rer.
2. Chippewas et Clyde River
Le 30 novembre, la Cour suprĂŞme du Canada a entendu les affaires Première nation des Chippawas de la Thames c. Enbridge Pipelines Inc. et Hamlet of Clyde River c. TGS-NOPEC Geophysical Company ASA (TGS), chacune portant sur des allĂ©gations de consultations inadĂ©quates des Autochtones concernant une dĂ©cision de l’ONE.
Dans l’affaire Chippewas, une Première Nation de l’Ontario rĂ©gie par un traitĂ© ancien a interjetĂ© appel de la dĂ©cision portant sur le projet d’inversion de la canalisation 9B et d’accroissement de la capacitĂ© de la canalisation 9 d’Enbridge. Dans l’affaire Clyde River, un hameau inuit visĂ© par un traitĂ© moderne remettait en question l’autorisation accordĂ©e par l’ONE pour effectuer des levĂ©s sismiques dans la baie de Baffin. Dans les deux cas, la Cour se penchera sur la question très controversĂ©e de savoir si le processus de règlementation d’un tribunal administratif peut libĂ©rer la Couronne de son obligation de consultation.
1. L’adoption de la DĂ©claration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones
Le 10 mai, le gouvernement Trudeau a dĂ©clarĂ© que le Canada « appuie pleinement la DĂ©claration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones sans rĂ©serve ». Le gouvernement conservateur prĂ©cĂ©dent s’Ă©tait limitĂ© Ă dĂ©crire cette dĂ©claration comme un « document d'aspirations ».
L’exigence imposĂ©e aux États, par la DĂ©claration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, d’effectuer des consultations « avant d’adopter et d’appliquer des mesures lĂ©gislatives ou administratives susceptibles de concerner les peuples autochtones, afin obtenir leur consentement prĂ©alable - donnĂ© librement et en connaissance de cause » fait l’objet de maintes controverses. Alors que le ministre Bennett a convenu que la DĂ©claration n’accorde aucun vĂ©to (en accord avec l’obligation de consultation ancrĂ©e dans le droit constitutionnel), on peut s’attendre Ă ce que toute mise en Ĺ“uvre de ce texte ait des rĂ©percussions majeures sur les investissements au Canada et sur l’avenir des communautĂ©s autochtones de tout le pays.
Alexandre-Philippe Avard est associé et Simon Kupi est avocat dans le cabinet Dentons Canada LLP.