Se fier à l’état de mainlevée d’une hypothèque

  • 03 avril 2017
  • Andy Chiang

Remarque: cet article a été publié en anglais dans le numéro du printemps 2017 de BarNotes et est reproduit avec l’autorisation de l’auteur, qui souligne qu’il l’a rédigé pour un public de la Saskatchewan.

Introduction

Que faire si, après avoir effectué un paiement (au nom de votre client) au profit d’une banque conformément à l’état de mainlevée de l’hypothèque, vous découvrez que ledit document était erroné et que la banque refuse la mainlevée de la sûreté à moins de versements supplémentaires? Cette situation a été examinée dans l’affaire Mohan v Bank of Montreal, 2016 ONSC 3862, 2016 CarswellOnt 9331 (WL) (disponible uniquement en anglais). La Cour a affirmé que la Banque de Montréal ne saurait refuser la mainlevée de l’enregistrement de son hypothèque. Cette conclusion était cependant fondée sur un ensemble de faits inhabituels.

Mohan v Bank of Montreal

En sa qualité d’avocat du vendeur, Me Mohan a obtenu une copie du titre de propriété qui indiquait que la Banque de Montréal (BMO) avait inscrit une hypothèque en 2006. Lors de la clôture de la transaction, Me Mohan s’est engagé envers l’avocat de l’acheteur à (i) utiliser les fonds provenant de la vente pour liquider l’hypothèque de BMO et (ii) faire en sorte que le titre de propriété soit libéré de l’hypothèque de BMO.

Dans sa demande de relevé de liquidation adressée à BMO, Me Mohan n’a pas qualifié l’hypothèque par le numéro lui ayant été attribué lors de l’enregistrement. Il n’a mentionné que [TRADUCTION] « la première sûreté contre le bien » de BMO (le titre de propriété indiquait que l’hypothèque de BMO avait un rang prioritaire). Ultérieurement, Me Mohan a remis un chèque certifié à BMO pour régler la dette hypothécaire.

À l’insu de Me Mohan, en raison d’une erreur commise au registre foncier, le titre de propriété n’indiquait pas que BMO avait antérieurement enregistré une hypothèque en 2004. Me Mohan ne savait pas non plus que l’état de mainlevée de l’hypothèque concernait des montants dus à l’égard de l’hypothèque de 2004 et non de celle de 2006.

BMO a imputé le paiement de Me Mohan à l’hypothèque de 2004. Lorsqu’il a effectué un suivi auprès de BMO concernant la mainlevée de l’hypothèque de 2006, la banque l’a informé (pour la première fois) de l’existence de l’hypothèque de 2004. BMO a indiqué qu’elle n’accorderait pas la mainlevée de l’hypothèque de 2006 avant réception du paiement intégral.

La Cour a conclu que Me Mohan ne connaissait pas l’existence de l’hypothèque de 2004 au moment où il a agi. Bien que son client ait connu l’existence des deux hypothèques, il ne lui en a pas fait part avant la clôture de la transaction. La Cour a conclu en ces termes :

[TRADUCTION]

72    Me Mohan a agi raisonnablement lorsqu’il s’est fié à l’état de mainlevée de l’hypothèque fourni par BMO. Il a effectué une recherche du titre. Il a obtenu une copie de l’inscription de la parcelle au registre des titres fonciers et il s’est fié au titre qui y était inscrit, comme il avait le droit de le faire. Il a demandé un état de mainlevée de l’hypothèque […] BMO a répondu en lui fournissant un état de mainlevée. Me Mohan a traité avec BMO et s’est fié à l’état de mainlevée de bonne foi. La représentante de BMO a convenu, lors du contre-interrogatoire, que Me Mohan […] n’avait pas d’autre moyen de déterminer, en se fondant sur la correspondance et le registre des parcelles, qu’il existait un prêt hypothécaire en cours depuis 2004 ou même que ce prêt grevait le bien.

73    Qui plus est, le fait que Me Mohan se soit fié à l’état de mainlevée lui nuisait. En tant qu’avocat, il s’est engagé envers l’acheteur à obtenir la mainlevée des hypothèques inscrites grevant le bien. Il a fait tout son possible, dans la mesure de ce qui était raisonnable, pour s’acquitter de cette obligation. Il est lié par son engagement s’il se trouve dans l’incapacité d’y satisfaire. En refusant d’accorder la mainlevée de l’hypothèque de 2006, BMO l’empêche de satisfaire à son engagement. Par conséquent, Me Mohan dépose la présente demande..

77    […] [A]u moment de la délivrance, par BMO, de sa mainlevée d’hypothèque, celle-ci était la seule à connaître le problème auquel sont aujourd’hui confrontées les parties et à pouvoir l’éviter. Elle aurait pu le faire en trois mots lors de sa réponse à la demande de Me Mohan concernant l’état de mainlevée de l’hypothèque : « Laquelle des hypothèques? ».

La Cour a ordonné la mainlevée de l’hypothèque de 2006.

Jurisprudence

L’arrêt Mohan a récemment été cité par la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan dans l’affaire Halpape v Bank of Montreal, 2017 SKQB 23. Confrontée à des faits similaires à ceux de l’affaire Mohan, la Cour a ordonné dans l’arrêt Halpape que la mainlevée soit accordée à l’égard d’un privilège d’exécution de BMO portant sur un bien immobilier. Veuillez noter qu’au moment de la rédaction du présent article, la période pour interjeter appel de la décision Halpape n’avait pas expiré.

D’autres affaires, dont celles énumérées ci-dessous (toutes disponibles uniquement en anglais), ont également porté sur des états de mainlevée erronés.

  • Ahaus Developments Ltd. v Savage, [1994] 8 WWR 131 (CA C.-B.). La Cour d’appel a affirmé : [TRADUCTION] « [l]orsqu’il est établi que le débiteur hypothécaire ou son mandataire s’est, à son détriment, fié à un état de mainlevée en payant le montant indiqué, ladite personne a droit à la mainlevée de l’hypothèque » (ibid au paragraphe 46).
  • Cherrington v Montreal Trust Co. of Canada, [1990] 6 WWR 381 (CS C.-B.). La Cour a réparti la perte causée par un état de mainlevée erroné, préparé par le créancier hypothécaire du vendeur, à égalité entre le créancier hypothécaire et l’avocat du vendeur, se fondant sur le raisonnement selon lequel bien que le créancier hypothécaire ait fait preuve de négligence en invitant l’avocat à se fier à l’état de mainlevée, ce dernier aurait dû réaliser, à la lumière du contenu du document fourni, qu’il pouvait être erroné.
  • Piché v Niagara Credit Union Ltd. (1988), 2 RPR (2d) 78 (Cour de district de l'Ontario). La caisse populaire avait indiqué à l’avocat du débiteur hypothécaire un montant pour la liquidation de l’hypothèque, mais n’avait pas mentionné qu’une pénalité pour mainlevée anticipée serait appliquée. La caisse populaire a ultérieurement accepté les fonds, mais refusé d’accorder la mainlevée de l’enregistrement de l’hypothèque sans paiement de la pénalité. La Cour a affirmé que la caisse populaire ne saurait refuser la mainlevée de l’enregistrement de l’hypothèque.

Concernant les récentes affaires comportant un élément de fraude, voir Toronto Dominion Bank v Kevin I. Peddie Professional Corp., 2016 ABQB 26, 34 Alta LR (6th) 183 et Normak Investments Ltd. v Belciug, 2015 BCSC 700, 56 RPR (5th) 84.

Conclusion

Pour en revenir à la question initiale, votre réponse dépendrait manifestement de la situation particulière. Ainsi, quand avez-vous demandé l’état de mainlevée? Si vous avez présenté la demande X jours avant la date de la mainlevée, la banque aurait pu s’engager à accorder la mainlevée de son hypothèque à la réception du montant indiqué pour la liquidation. Bien que cela soit fort peu probable, traitiez-vous avec un juriste de la banque plutôt qu’avec un employé non juriste? Si c’est le cas, les conditions quant à la confiance pourraient être moins difficiles à faire reconnaître (consulter le Code de déontologie, art. 7.2-11, commentaire [6]). 

Si vous présentez une demande au tribunal, la question de savoir si la jurisprudence susmentionnée appuiera votre demande dépend en partie des deux questions suivantes. Vous êtes-vous fié à l’état de mainlevée de bonne foi et à votre détriment? Ne disposiez-vous d’aucun moyen de savoir que le montant indiqué pour la liquidation ne suffirait pas à régler la dette hypothécaire?

Avant de déposer une demande, cependant, tentez de discuter avec un employé de la banque plus qualifié. Consultez le document de l’Association des banquiers canadiens intitulé Contact List for Matters Involving Mortgage Discharges affiché sur la section réservée aux membres du site Web du Barreau de la Saskatchewan pour obtenir le nom des personnes-ressources dans les grandes banques auxquelles vous pouvez vous adresser concernant votre question.

Andy Chiang est avocat en Saskatchewan