Winner of the 2020 French Langlois Prize

  • October 28, 2020

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La rĂšgle selon laquelle un actionnaire d’une SPA ne dispose pas d’un recours direct contre le tiers qui cause un dommage Ă  l’entreprise est-elle compatible avec les principes de base du C.c.Q.?

Isabella Tamilia, l’UniversitĂ© de MontrĂ©al

Avant 1994, le terme utilisĂ© en droit commercial dans le Code civil du Bas-Canada (ci-aprĂšs « C.c.B.C. ») Ă©tait celui de « commercialitĂ© ». En 1994, le lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois a choisi de remplacer cette notion par celle d’« entreprise », Ă  l’article 1525 du Code civil du QuĂ©bec (ci-aprĂšs « C.c.Q. »).1 Cette derniĂšre est un concept beaucoup plus large, permettant ainsi de couvrir un plus grand Ă©ventail d’activitĂ©s. Le but du lĂ©gislateur Ă©tait de pallier Ă  la dĂ©suĂ©tude des principes traditionnels et de rĂ©pondre aux nouvelles rĂ©alitĂ©s Ă©conomiques et sociales du milieu commercial.2 Avec ce statut particulier d’« entreprises », celles-ci ont dorĂ©navant recours Ă  un rĂ©gime dĂ©rogatoire dans lequel la loi prĂ©voit des rĂšgles exclusives au monde des affaires. Les entreprises se distinguent entre elles par la forme juridique que l’entrepreneur choisit pour son exploitation. Le droit civil quĂ©bĂ©cois reconnaĂźt d’ailleurs cinq formes juridiques d’exploitation d’une entreprise, dont celle qui nous intĂ©resse pour ce travail est « l’entreprise exploitĂ©e par une sociĂ©tĂ© », qui inclut la sociĂ©tĂ© par actions (ci-aprĂšs « SPA »). Les SPA sont soumises Ă  leur loi d’incorporation et, Ă  titre supplĂ©tif, au C.c.Q., soit les articles 298 et suivants. La problĂ©matique de ce travail est que les articles 298 et suivants ont de nombreuses consĂ©quences sur les principes de base du C.c.Q., particuliĂšrement quant Ă  la responsabilitĂ© civile, et donc sur les recours des actionnaires de la sociĂ©tĂ©. C’est ainsi que la question de recherche est : la rĂšgle selon laquelle un actionnaire d’une SPA ne dispose pas d’un recours direct contre le tiers qui cause un dommage Ă  l’entreprise est-elle compatible avec les principes de base du C.c.Q.? Le courant dominant dans la jurisprudence et la doctrine quĂ©bĂ©coise est que cette rĂšgle est tout-Ă -fait cohĂ©rente avec le C.c.Q., particuliĂšrement Ă  la lumiĂšre des articles 298, 301, 302 et 303. En fait, puisque l’entreprise a une personnalitĂ© juridique distincte en vertu de l’article 298 du C.c.Q., si une action doit ĂȘtre intentĂ©e au sujet d’un dommage qui lui a Ă©tĂ© causĂ© par un tiers, c’est l’entreprise elle-mĂȘme qui doit poursuivre pour ĂȘtre compensĂ©e, et non l’actionnaire. Le prĂ©judice subi par l’actionnaire, telle que la perte de valeur de ses actions, n’est qu’un prĂ©judice indirect, et n’est pas considĂ©rĂ© comme Ă©tant distinct de celui subi par la SPA. Selon le courant dominant, il n’existe donc aucun lien de droit entre l’auteur de la faute et l’actionnaire. L’application de cette rĂšgle en droit civil quĂ©bĂ©cois suscite tout de mĂȘme des questions fondamentales qui sont au centre du droit corporatif canadien et quĂ©bĂ©cois, faisant actuellement l’objet de dĂ©bat dans la sphĂšre juridique. L’actionnaire a-t-il un « intĂ©rĂȘt suffisant » pour poursuivre le tiers? Le prĂ©judice de l’actionnaire doit-il ĂȘtre « distinct » de celui subi par la sociĂ©tĂ©, ou seulement ĂȘtre « direct »? Ce sont des questions qui contribuent Ă  la critique du courant dominant. Pour rĂ©pondre Ă  la question de recherche, le travail est prĂ©sentĂ© en trois parties : en premier, la rĂšgle selon laquelle un actionnaire ne dispose pas d’un recours direct contre le tiers qui cause un dommage Ă  l’entreprise; en deuxiĂšme, la jurisprudence quĂ©bĂ©coise Ă  cet effet; et en troisiĂšme, les principes flexibles en droit quĂ©bĂ©cois. La premiĂšre prĂ©sente la rĂšgle sous deux angles : (1) les caractĂ©ristiques de la SPA aux articles 298 et suivants du C.c.Q. et (2) l’arrĂȘt de Common Law Foss. La deuxiĂšme partie fait l’analyse de la jurisprudence quĂ©bĂ©coise : l’arrĂȘt Houle et l’arrĂȘt Brunette. La troisiĂšme partie offre une critique de deux concepts flexibles importants en droit quĂ©bĂ©cois : (1) la notion de l’intĂ©rĂȘt suffisant et (2) la notion de la retenue judiciaire.

1. L’actionnaire ne bĂ©nĂ©ficie pas d’un recours direct contre le tiers

1.1 Les caractéristiques de la société par actions : art. 298 et suivants du C.c.Q.

Le droit quĂ©bĂ©cois reconnaĂźt cinq formes juridiques d’exploitation d’une entreprise : l’entreprise exploitĂ©e par une personne physique, par une sociĂ©tĂ©, par une association, par une coopĂ©rative, ou par un patrimoine d’affectation.3 La SPA fait partie de la deuxiĂšme forme Ă©numĂ©rĂ©e, soit l’entreprise exploitĂ©e par une sociĂ©tĂ©.4 La dĂ©finition de la SPA dans le dictionnaire juridique est : « une personne morale dont le capital est formĂ© d’actions et dans laquelle la responsabilitĂ© de chacun des actionnaires est limitĂ©e Ă  l’intĂ©rĂȘt qu’il y possĂšde ».5 Nous pouvons dĂ©jĂ  comprendre, Ă  travers cette dĂ©finition, que la SPA est une forme juridique trĂšs particuliĂšre et qu’elle se distingue d’ailleurs Ă  plusieurs Ă©gards des autres vĂ©hicules juridiques. Commençons avec sa caractĂ©ristique la plus dĂ©terminante : son statut de personne morale. À l’Ă©tat actuel en droit quĂ©bĂ©cois, la personnalitĂ© morale peut uniquement ĂȘtre accordĂ©e par le lĂ©gislateur.6 Le lĂ©gislateur l’a accordĂ©e spĂ©cifiquement Ă  la SPA en vertu de l’article 2188 du C.c.Q., au deuxiĂšme alinĂ©a :

« 2188. La sociĂ©tĂ© est en nom collectif, en commandite ou en participation. Elle peut ĂȘtre aussi par actions; dans ce cas, elle est une personne morale. ».

Puisque la SPA est une personne morale, cela implique nĂ©cessairement qu’elle a la personnalitĂ© juridique, tel qu’il est Ă©noncĂ© au premier alinĂ©a de l’article 298 du C.c.Q. :

« 298. Les personnes morales ont la personnalitĂ© juridique. Elles sont de droit public ou de droit privĂ©. »

La personnalitĂ© juridique distincte, rĂ©servĂ©e aux SPA en tant que personnes morales, est une « fiction qui dĂ©coule de la volontĂ© de l’État ».7 La SPA a donc une personnalitĂ© juridique distincte de ses membres. C’est de cette reconnaissance de la personnalitĂ© distincte que dĂ©coule la rĂšgle de l’exclusion du recours direct de l’actionnaire d’une SPA.8 En fait, en crĂ©ant une personne morale, lui attribuant ainsi des droits spĂ©cifiques et distincts, le lĂ©gislateur a implicitement enlevĂ© le recours direct de ses membres pour les dommages causĂ©s Ă  l’encontre de la sociĂ©tĂ©.9 La notion de personnalitĂ© distincte de la sociĂ©tĂ© est reconnue en droit quĂ©bĂ©cois depuis 1897 dans l’arrĂȘt Salomon c. A. Salomon Co. Ltd..10 La personnalitĂ© juridique distincte implique aussi d’autres Ă©lĂ©ments importants. D’abord, la sociĂ©tĂ© a son propre patrimoine, distinct de celui de ses membres, tel qu’Ă©dictĂ© Ă  l’article 302 du C.c.Q. :

« 302. Les personnes morales sont titulaires d’un patrimoine qui peut, dans la seule mesure prĂ©vue par la loi, faire l’objet d’une division ou d’une affectation. Elles ont aussi des droits et obligations extrapatrimoniaux liĂ©s Ă  leur nature. ».

Le patrimoine distinct crĂ©e une « indĂ©pendance de fait » entre la personne morale et ses membres, en lui attribuant des droits et obligations ainsi que des organes de reprĂ©sentations et dĂ©cisionnels qui lui sont propres.11 Ensuite, les personnes morales ont la pleine jouissance des droits civils, tel que stipulĂ© Ă  l’article 301 du C.c.Q., ainsi que la capacitĂ© requise pour exercer tous leurs droits, tel que stipulĂ© Ă  l’article 303 du C.c.Q. En lisant conjointement ces deux articles, nous pouvons constater non seulement que la SPA possĂšde les mĂȘmes capacitĂ©s que les personnes physiques, mais aussi, que le droit d’action appartient Ă  la SPA elle-mĂȘme en tant que personne morale, et non Ă  ses membres.12 De plus, Ă©tant donnĂ© la personnalitĂ© distincte de la SPA et le fait qu’elle est titulaire d’un patrimoine distinct, ses membres ont une responsabilitĂ© limitĂ©e, tel qu’Ă©noncĂ© Ă  l’article 309 du C.c.Q. :

« 309. Les personnes morales sont distinctes de leurs membres. Leurs actes n’engagent qu’elles-mĂȘmes, sauf les exceptions prĂ©vues par la loi. ».

La responsabilitĂ© limitĂ©e des membres de la SPA est un des avantages les plus importants de ce vĂ©hicule juridique. La responsabilitĂ© limitĂ©e signifie que les actionnaires ne peuvent pas, en principe, ĂȘtre tenus responsables personnellement des dettes ou des obligations de la sociĂ©tĂ©. La responsabilitĂ© de l’actionnaire est donc limitĂ©e au montant qui a Ă©tĂ© versĂ© dans leurs actions, c’est-Ă -dire que, si la sociĂ©tĂ© est poursuivie, l’actionnaire ne risque que l’investissement qu’il a versĂ© initialement dans la sociĂ©tĂ©.13 La constitution en personne morale est donc plus avantageuse pour l’actionnaire que pour le tiers qui contracte avec une SPA. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il arrive souvent aux tiers de demander aux actionnaires de s’engager personnellement pour les dettes de la sociĂ©tĂ©, pour passer outre la personnalitĂ© morale distincte de la SPA.14 La responsabilitĂ© limitĂ©e est accordĂ©e aux actionnaires en les protĂ©geant derriĂšre un « voile corporatif ». Le voile corporatif est une fiction juridique servant Ă  dĂ©finir la distinction qui existe entre la personnalitĂ© juridique d’une sociĂ©tĂ© et celle de ses actionnaires.15 GrĂące Ă   cette sĂ©paration fictive, les actionnaires « Ă©vitent de se voir imputer les actes ou obligations de la sociĂ©tĂ© ».16 En droit quĂ©bĂ©cois, la jurisprudence et la doctrine « privilĂ©gient depuis toujours » la notion de voile corporatif, soulignant que ce principe doit « s’appliquer de façon prĂ©pondĂ©rante ».17 Voici comment l’auteur Paul Martel le met en valeur:

« ParticuliĂšrement en matiĂšre contractuelle, la personnalitĂ© distincte de la sociĂ©tĂ© doit toujours ĂȘtre reconnue et respectĂ©e. Si un tiers a choisi de transiger avec une sociĂ©tĂ©, sans demander Ă  l’actionnaire de celle-ci de cautionner ses engagements […] il n’a que lui-mĂȘme Ă  blĂąmer si cette sociĂ©tĂ© s’avĂšre insolvable. ».18

Par contre, il y a tout de mĂȘme des limites Ă  la protection accordĂ©e aux actionnaires, c’est-Ă -dire des cas exceptionnels dans lesquels le voile corporatif peut ĂȘtre « levĂ© ». Lorsque les actionnaires confondent leurs affaires personnelles avec celles de la sociĂ©tĂ©, utilisant la sociĂ©tĂ© de maniĂšre Ă  se « camoufler » derriĂšre le voile, ces gestes « percent le voile corporatif », exposant ainsi les actionnaires Ă  la responsabilitĂ© personnelle.19 Plus spĂ©cifiquement, lorsque les membres utilisent la compagnie comme l’alter ego pour masquer une fraude, un abus de droit, ou une contravention Ă  une rĂšgle d’ordre public, la levĂ©e du voile corporatif est permise en vertu de l’article 317 du C.c.Q. L’article 317 du C.c.Q. tire ses origines de la Common Law. En fait, c’est le risque d’abus Ă  l’Ă©gard d’une sociĂ©tĂ© qui a incitĂ© les tribunaux de Common Law Ă  Ă©laborer des exceptions jurisprudentielles au principe de la responsabilitĂ© limitĂ©e, leur permettant de lever le voile corporatif.20 Étant donnĂ© l’influence de la Common Law sur le droit des sociĂ©tĂ©s au QuĂ©bec, les tribunaux quĂ©bĂ©cois se sont rĂ©fĂ©rĂ©s Ă  la jurisprudence anglo-canadienne pour Ă©laborer un mĂ©canisme similaire de levĂ©e du voile corporatif, qui s’appliquait de façon supplĂ©tive au C.c.B.C.21. En 1994, le lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois a codifiĂ© les exceptions jurisprudentielles qui ont Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©es aux cours des annĂ©es.22 Alors, depuis 1994, l’article 317 du C.c.Q. rĂ©git la levĂ©e du voile corporatif en y Ă©nonçant des critĂšres gĂ©nĂ©raux d’application. Le concept du soulĂšvement du voile corporatif demeure une mesure d’exception et ne peut avoir lieu que si toutes les conditions « limitĂ©es, prĂ©cises et bien connues » de l’article 317 sont remplies.23 La levĂ©e du voile corporatif s’agit donc d’un rĂ©gime dĂ©rogatoire, c’est-Ă -dire que les tribunaux dĂ©rogent exceptionnellement au principe de la personnalitĂ© juridique distincte de la sociĂ©tĂ©.24

1.2 La rĂšgle de Common Law: Foss c. Harbottle

Avant l’arrĂȘt de Common Law Foss c. Harbottle, les juges ne s’immisçaient pas dans les diffĂ©rends internes d’un partenariat, « sauf en vue d’une dissolution ».25 L’harmonie entre les membres d’une sociĂ©tĂ© n’Ă©tait donc pas gĂ©rĂ©e par les tribunaux, mais Ă©tait plutĂŽt laissĂ©e aux parties eux-mĂȘmes. En fait, les juges abdiquaient leur juridiction « en faveur de l’autoritĂ© alternative Ă©vidente », soit en faveur de la rĂšgle de la majoritĂ©, c’est-Ă -dire qu’ils prĂ©fĂ©raient laisser les membres rĂ©gler les conflits internes au vote de la majoritĂ©.26 Avec les annĂ©es, ce refus d’intervenir Ă©tait devenu dĂ©suet et a dĂ» s’adapter pour mieux rĂ©pondre aux besoins de la population, plus spĂ©cifiquement, aux besoins du nombre croissant de SPA. Ainsi, les tribunaux allaient dorĂ©navant seulement refuser d’intervenir dans les cas de « questions de rĂšglementation interne ».27 Par exemple, dans l’arrĂȘt de Common Law Carlen c. Drury,28 en 1812, le juge a refusĂ© d’intervenir puisque « les articles du ‘partenariat’ fournissaient un recours interne efficace en cas de mauvaise gestion ».29 Par la suite, en 1843, il y a eu un avancement majeur de la loi concernant les actionnaires, amenĂ© par la dĂ©cision Foss: la sociĂ©tĂ© est le seul demandeur lĂ©gitime dans une procĂ©dure concernant ses droits.

Dans l’arrĂȘt Foss, deux actionnaires ont intentĂ© une action contre les directeurs de la compagnie, allĂ©guant qu’ils ont « mal appliquĂ© les actions de la compagnie » et « mal hypothĂ©quĂ© la propriĂ©tĂ© de la compagnie ».30 La Cour avait rejetĂ© la demande des actionnaires, soulignant que le manquement des directeurs de la compagnie Ă©tait un prĂ©judice fait Ă  l’encontre de la compagnie, et non pas aux actionnaires. Ainsi, seulement la compagnie a l’autoritĂ© de poursuivre pour les dommages, et les deux actionnaires n’ont aucun recours Ă  titre personnel. L’arrĂȘt Foss est devenu un prĂ©cĂ©dent en droit corporatif canadien, qui est encore applicable aujourd’hui. L’arrĂȘt a Ă©tabli la rĂšgle selon laquelle les actionnaires d’une SPA n’ont pas de cause d’action distincte en droit pour les torts causĂ©s Ă  la sociĂ©tĂ©. Cette rĂšgle est depuis appelĂ©e « la RĂšgle dans Foss c. Harbottle ». Il y a deux principes importants qui ont Ă©tĂ© discutĂ©s dans Foss. Le premier principe est celui de la « proper plaintif rule ». La « proper plaintif rule » signifie que le demandeur concernĂ© est prima facie la sociĂ©tĂ© elle-mĂȘme et non pas ses actionnaires individuellement.31 Ainsi, si un tiers commet des actes nĂ©gligents envers les membres de la sociĂ©tĂ©, causant des dommages Ă  celle-ci, seule la sociĂ©tĂ© peut poursuivre le tiers pour faire valoir ses droits. La source de cette rĂšgle provient du principe de la personnalitĂ© juridique distincte : la compagnie est traitĂ©e devant la loi comme Ă©tant une personne morale distincte de ses membres.32 Selon cette logique, la compagnie est un sujet de droit et doit donc faire valoir ses propres droits. Le deuxiĂšme principe discutĂ© dans l’arrĂȘt Foss est celui de la rĂšgle de la majoritĂ©. La dĂ©finition juridique de la « majoritĂ© » est : « un groupement de voix qui l’emporte par le nombre lors d’une Ă©lection ou du vote d’une dĂ©cision ».33 La rĂšgle de la majoritĂ© signifie donc que les dĂ©cisions sont prises Ă  la majoritĂ© des voix exprimĂ©es par les actionnaires, soit plus de 50%. La rĂšgle de la majoritĂ© est intrinsĂšquement liĂ©e Ă  la rĂšgle du « proper plaintif rule » puisque c’est la majoritĂ© des membres qui dĂ©cide si la compagnie devrait intenter une action pour remĂ©dier une faute qui a Ă©tĂ© commise contre elle.34 Alors, mĂȘme si la minoritĂ© allĂšgue qu’une faute a Ă©tĂ© commise, soit par un autre membre de la sociĂ©tĂ© ou par un tiers, c’est la majoritĂ© qui dĂ©cidera de l’issue de l’affaire. Le problĂšme est que la « majoritĂ© » est souvent sous le contrĂŽle d’« un petit groupe de directeurs ».35 La minoritĂ© fait face Ă  un dilemme: soit que la majoritĂ© sera de leur cĂŽtĂ©, faisant en sorte que la compagnie pourra intenter une action, soit que la majoritĂ© ne sera pas de leur cĂŽtĂ©, faisant en sorte qu’il n’y aura aucune poursuite.36 Dans chacun des deux cas, la minoritĂ© n’obtient pas le droit d’agir en tant que demandeur en vue d’obtenir une indemnisation.37

Dans la dĂ©cennie qui suivit l’arrĂȘt Foss, les tribunaux canadiens se sont prononcĂ©s Ă  maintes reprises pour appuyer la rĂšgle de Foss. Voici comment un auteur l’a rĂ©sumĂ©e: sans la rĂšgle de Foss, il y aurait des risques « d’actions futiles, de litiges oppressifs, et d’une multiplicitĂ© de poursuites ».38 ConsĂ©quemment, les compagnies n’auraient aucune chance de survie puisqu’elles seraient «torn to pieces » par tous les litiges, pour reprendre l’expression de l’auteur.39 À la suite de l’arrĂȘt Foss, les tribunaux ont appliquĂ© la rĂšgle telle qu’elle l’Ă©tait, ou ils ont tentĂ© de limiter son application en Ă©laborant des exceptions.40 ParticuliĂšrement quatre exceptions, Ă©tablies dans la jurisprudence au cours des annĂ©es, ont Ă©tĂ© retenues. Le juge Jekins L.J. les a Ă©numĂ©rĂ©es dans l’arrĂȘt Edwards c. Halliwell :41

« 1) conclure une transaction illĂ©gale ou ultra vires;
2) prĂ©tendre faire, par rĂ©solution ordinaire, tout acte qui, par sa constitution ou par l’Acte, exige d’ĂȘtre fait par rĂ©solution spĂ©ciale;
3) tout acte ou omission portant atteinte aux droits individuels du demandeur en tant que membre;
4) agir frauduleusement envers la sociĂ©tĂ© ou envers les actionnaires minoritaires lorsque les administrateurs ne prennent pas les mesures qui s’imposent pour remĂ©dier Ă  la situation. ».42

L’arrĂȘt Foss, malgrĂ© ĂȘtre un arrĂȘt de Common Law, a eu une influence importante sur le droit des sociĂ©tĂ©s quĂ©bĂ©coises. En fait, la convergence entre la Common Law et le droit civil quĂ©bĂ©cois est un phĂ©nomĂšne qui n’est ni nouveau ni rare. Par contre, leurs rapports se sont articulĂ©s de maniĂšres diffĂ©rentes selon les Ă©poques et selon les domaines du droit.43 En fait, alors qu’au dĂ©but, la Cour suprĂȘme du Canada (ci-aprĂšs « C.S.C. ») visait l’uniformisation du droit, par la suite, peu Ă  peu, elle cherchait plutĂŽt Ă  reconnaĂźtre la « spĂ©cificitĂ© et l’autonomie » du droit civil quĂ©bĂ©cois.44 Cette reconnaissance de la particularitĂ© du droit civil a permis l’Ă©mergence d’un « vĂ©ritable dialogue » entre les deux traditions juridiques. La convergence entre la Common Law et le droit civil ne porte pas atteinte Ă  l’intĂ©gritĂ© de l’un ou de l’autre lorsqu’elle concerne des principes similaires ou des concepts propres Ă  chacun des systĂšmes juridiques.45 Par contre, ils s’opposent parfois, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle la doctrine est d’avis que les deux traditions continuent d’« Ă©voluer en parallĂšle en se laissant influencer mutuellement dans le respect des principes gĂ©nĂ©raux et de l’Ă©conomie des rĂ©gimes juridiques qui leur sont propres ».46 Les auteurs font souvent rĂ©fĂ©rence au « caractĂšre mixte » du droit civil quĂ©bĂ©cois.47 En fait, en lisant certaines dispositions du C.c.Q., particuliĂšrement celles du droit des sociĂ©tĂ©s, soit les articles 298 et suivants, nous pouvons constater Ă  quel point le C.c.Q. s’est inspirĂ© de la Common Law lors de sa codification.48 De plus, pour appliquer et interprĂ©ter les dispositions du C.c.Q., les juges de droit civil continuent de se servir de la Common Law comme rĂ©fĂ©rence pour les guider dans leurs dĂ©cisions.49 Quant Ă  la cohĂ©rence de l’ensemble juridique au final, la juge L’Heureux-DubĂ© explique que :

« Cette similaritĂ© apparente des rĂšgles fondamentales ne doit cependant pas nous faire oublier que les tribunaux se doivent d’assurer […] un dĂ©veloppement qui reste compatible avec l’ensemble du droit civil quĂ©bĂ©cois, dans lequel il s’insĂšre. […] le droit civil quĂ©bĂ©cois a ses racines dans des prĂ©ceptes qui lui sont propres […] »50

Ce que la juge L’Heureux-DubĂ© fait ressortir dans ce passage est que lorsque des litiges civils concernent des questions communes Ă  la tradition de Common Law, la C.S.C. aura tendance Ă  s’inspirer de celle-ci Ă  titre comparatif.51 Cette mĂ©thode d’analyse, fondĂ©e sur le droit comparĂ©, est souvent utilisĂ©e en droit des sociĂ©tĂ©s.52

2. La jurisprudence québécoise

L’arrĂȘt Houle c. Banque Canadienne Nationale,53 rendu en 1990 par la C.S.C., fut un point tournant en droit quĂ©bĂ©cois, particuliĂšrement en droit des affaires et en responsabilitĂ© civile. En fait, la dĂ©cision dans Houle est allĂ©e Ă  l’encontre non seulement de la tendance jurisprudentielle quĂ©bĂ©coise, mais aussi de la rĂšgle Ă©tablie dans Foss, qui Ă©tait pourtant reconnue en droit quĂ©bĂ©cois depuis 1912.54 La Cour a permis aux actionnaires de prendre une action personnelle contre le tiers, reconnaissant ainsi un lien de droit direct entre les actionnaires de la compagnie et le tiers. La permission a Ă©tĂ© octroyĂ©e dans le but de corriger une situation « manifestement injuste ».55 S’agit-il ici d’une exception Ă  la rĂšgle de Foss? Nous verrons que la dĂ©cision dans Houle n’a pas Ă©tabli de vĂ©ritable exception Ă  la rĂšgle, ce qui a d’ailleurs Ă©tĂ© confirmĂ© Ă  nouveau par la C.S.C. en 2018 dans Brunette.56

2.1 L’arrĂȘt Houle en 1990

Les faits. Les trois parties importantes Ă  considĂ©rer dans l’affaire Houle sont : la compagnie Houle (la SPA), les frĂšres Houle (les actionnaires), et la banque (le tiers). La compagnie Houle faisait affaires avec la banque depuis cinquante annĂ©es. En 1973, la compagnie a obtenu auprĂšs de la banque un crĂ©dit de 700 000$. Par la suite, en 1974, la compagnie a demandĂ© Ă  celle-ci de hausser son crĂ©dit Ă  900 000$, en signant un acte de fiducie garantissant ses dettes envers la banque pour 1 000 000$. Cela signifie que les frĂšres Houles, soit les actionnaires de la compagnie, ont garanti, en leur nom personnel, les dettes de la compagnie. Vingt jours aprĂšs la signature de l’acte de fiducie, sans aucun avis, la banque a repris son prĂȘt et, trois heures plus tard, elle a rĂ©alisĂ© sa garantie, « stoppant brusquement les opĂ©rations de la compagnie ».57 En mĂȘme temps, en dĂ©cembre 1973, les frĂšres Houle Ă©taient en train de nĂ©gocier la vente de leurs actions pour 1 000 000$ avec une autre compagnie appelĂ©e Weddel Ltd; cette nĂ©gociation se faisait avec la pleine connaissance de la banque. Ainsi, lorsque la banque a pris possession en fĂ©vrier 1974, Weddel Ltd a dĂ©cidĂ© de baisser son offre Ă  300 000$. Les frĂšres Houle, n’ayant aucun autre choix que de sauver ce qu’il restait de leur compagnie, ont acceptĂ© cette offre de 300 000$, pourtant une diffĂ©rence de 700 000$ avec l’offre initiale. ConsĂ©quemment, les actionnaires de la compagnie ont poursuivi la banque en dommages pour la perte subie sur la vente de leurs actions Ă  Weddel Ltd,  rĂ©clamant la somme de 700 000$. Pour spĂ©cifier, les frĂšres Houles, actionnaires de la compagnie Ă  laquelle le tort a Ă©tĂ© causĂ©, ont intentĂ©, en leur qualitĂ© personnelle, une action contre le tiers, soit la banque. Pourtant, le recours direct par un actionnaire envers un tiers pour les dommages causĂ©s Ă  la SPA n’est pas permis, en raison de la personnalitĂ© juridique distincte de celle-ci. Alors, pourquoi la Cour a-t-elle permise un tel recours?

Les arguments. Du cĂŽtĂ© des demandeurs, les actionnaires reprochent que la banque n’entretenait pas uniquement des rapports avec la compagnie elle-mĂȘme, mais aussi avec les actionnaires personnellement.58 En fait, Ă  titre de sĂ»retĂ©, les frĂšres Houle, qui Ă©taient les seuls actionnaires de la compagnie, ont fourni Ă  la banque des lettres de cautionnement en leur nom personnel. En plus, la banque a exigĂ© une caution de la part de leur mĂšre, qui n’Ă©tait pas actionnaire de la compagnie, ainsi que de la part d’une autre compagnie familiale dont les frĂšres Houle Ă©taient actionnaires, Les Porcheries Houle LtĂ©e. La banque avait mĂȘme obtenu un acte de fiducie sur tous les actifs mobiliers et immobiliers de la compagnie, y compris les avoirs de la succession HervĂ© Houle, Ă  la demande expresse de la dĂ©fenderesse.59 Ainsi, les actionnaires Ă©taient garants des dettes de la compagnie, ce qui implique qu’ils ont renoncĂ© au bĂ©nĂ©fice de la responsabilitĂ© limitĂ©e qui leur Ă©tait garantie avec la constitution d’une SPA. Bref, les demandeurs invoquent le caractĂšre familial de l’entreprise et soutiennent que la banque faisait affaires avec la famille Houle personnellement, « la compagnie n’Ă©tant qu’un intermĂ©diaire ».60 De l’autre cĂŽtĂ©, soit de la dĂ©fense, la banque a soutenu qu’il n’y avait aucun lien de droit entre elle et les frĂšres Houle. De cette façon, si une faute a Ă©tĂ© commise de leur part, les dommages ne seraient pas envers les actionnaires personnellement, mais plutĂŽt, envers la compagnie. La compagnie serait donc la seule qui pourrait exercer un recours Ă  ce sujet. La dĂ©fense ajoute que, malgrĂ© le caractĂšre familial de l’entreprise, les frĂšres Houle « ont choisi la formule corporative plutĂŽt que de faire affaires sous leur nom personnel ».61 Ainsi, en choisissant les avantages de la formule corporative, ils doivent aussi en assumer les dĂ©savantages.62

À la lumiĂšre des arguments des deux cĂŽtĂ©s, le dĂ©bat dans l’affaire Houle reposait sur le fait de dĂ©terminer s’il y avait un lien de droit entre la banque et les actionnaires; et donc, s’il y avait raison pour la Cour de soulever le voile corporatif entre la banque et la compagnie Houle pour laisser les actionnaires intenter une action direct contre la banque. En thĂ©orie, il y a trois formes de levĂ©e de voile corporatif : la levĂ©e judiciaire, la levĂ©e par voie lĂ©gislative, et la levĂ©e par voie conventionnelle.63 La levĂ©e par voie conventionnelle est celle concernĂ©e dans l’affaire Houle. Celle-ci est une forme de levĂ©e qui se fait par consentement entre le tiers et les actionnaires, dans lequel les actionnaires acceptent de s’engager personnellement dans le contrat entre le tiers et la compagnie.64 Il s’agit d’une pratique courante de la part des banques lorsqu’ils contractent avec des compagnies relativement nouvelles ou des SPA ayant un petit nombre d’actionnaires.65 Puisque le prĂȘteur, agissant en tant que crĂ©ancier d’une compagnie, craint la solvabilitĂ© de celle-ci, il arrive souvent que le prĂȘteur va demander aux membres de cautionner les obligations de la compagnie.66 Dans Houle, le fait que la banque ait exigĂ© une caution de la part des actionnaires, de leur mĂšre, et d’une autre compagnie dĂ©tenue par les frĂšres Houle, montre qu’il y avait un accord pour lever le voile corporatif. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Cour a jugĂ© que la banque ne « transigeait pas vĂ©ritablement avec le compagnie, mais plutĂŽt avec la famille Houle », comme nous le verrons dans les prochains paragraphes.67 En fait, les paragraphes suivants font l’analyse des jugements des trois instances, soit par la Cour supĂ©rieure du QuĂ©bec (ci-aprĂšs « C.S. »), la Cour d’appel du QuĂ©bec (ci-aprĂšs « C.A. »), et la C.S.C.

DĂ©cision de la C.S. : En premiĂšre instance, la C.S. a maintenu l’action en statuant que la banque a commis une faute, particuliĂšrement dans l’exercice abusif de ses droits68. En fait, selon la juge, « il y a eu comportement abusif, mauvaise foi et faute de la banque » lorsqu’elle n’a pas donnĂ© un dĂ©lai raisonnable d’avis d’exĂ©cution de ses garanties69. Pour cette raison, la Cour a dĂ©cidĂ© qu’il y a lieu de soulever le voile corporatif « afin de prĂ©venir une injustice »70, confirmant ainsi un lien de droit entre la banque et les actionnaires. La Cour ne nie toutefois pas le fondement du principe de la personnalitĂ© juridique distincte de la compagnie. Elle s’est d’ailleurs prononcĂ©e sur le fait :

« Nos tribunaux n'ont pas hĂ©sitĂ© Ă  percer ce voile corporatif, afin de prĂ©venir des injustices ou des malhonnĂȘtetĂ©s. […] Dans des circonstances spĂ©cifiques Ă  certaines causes, le voile corporatif doit ĂȘtre levĂ© […], pour dĂ©terminer la relation juridique vĂ©ritable qui peut exister entre un crĂ©ancier d'une part et une compagnie et ses actionnaires d'autre part. »71.

Selon la Cour, il y avait plusieurs Ă©lĂ©ments militant en faveur de la reconnaissance d’un lien de droit entre les actionnaires et la banque. Ces Ă©lĂ©ments sont surtout : le caractĂšre familial de l’entreprise, les liens Ă©troits entre la banque et les actionnaires depuis cinquante ans, l’existence de cautionnements personnels des actionnaires envers la banque, la connaissance par la banque des nĂ©gociations entre les actionnaires et l’acheteur, ainsi que les « effets nĂ©fastes prĂ©visibles de la saisie sur ces nĂ©gociations »72.

DĂ©cision de la C.A.:Par la suite, il y a eu l’appel du jugement de la C.S. en 1987. La C.A. a maintenu le jugement de premiĂšre instance en mettant en valeur les mĂȘmes arguments que la C.S. Selon la C.A., le fait que les actionnaires Ă©taient garants des dettes de la compagnie, se responsabilisant personnellement envers celle-ci, « a suffi pour Ă©tablir un lien de droit entre la banque et eux ».73 La Cour s’est prononcĂ© sur deux sujets : la notion d’abus de droit et la notion du voile corporatif. Quant Ă  la premiĂšre notion, la Cour a dĂ©cidĂ© que la banque, en n’ayant pas donnĂ© un dĂ©lai raisonnable Ă  la compagnie pour rĂ©pondre Ă  sa demande de paiement, a commis un abus de droit.74 En fait, il est bien Ă©tabli en droit canadien et en droit quĂ©bĂ©cois que la banque, en tant que crĂ©ancier, a l’obligation d’accorder au dĂ©biteur un dĂ©lai raisonnable pour lui permettre de payer, c’est-Ă -dire de lui donner une chance de recueillir la somme requise.75 L’obligation de donner un dĂ©lai raisonnable a d’ailleurs Ă©tĂ© affirmĂ©e par la C.S.C. en 1982 dans l’arrĂȘt Lister.76 Cette obligation implicite s’appliquetant aux paiements de prĂȘt qu’aux retraits d’une marge de crĂ©dit.77 La dĂ©termination du « dĂ©lai raisonnable » dĂ©pend des faits et des circonstances de chaque cause.78 Le juge Malouf de la C.A. dans Houle s’est d’ailleurs prononcĂ© sur l’application du dĂ©lai raisonnable :

« La longueur du dĂ©lai est une question de fait. Le tribunal appelĂ© Ă  rĂ©pondre Ă  cette question doit tenir compte de toutes les circonstances entourant l'ouverture du crĂ©dit, la relation entre les parties, la demande de paiement et la prise de possession. »79.

Pour ajouter aux propos du juge Malouf, la dĂ©finition dans le dictionnaire juridique de « dĂ©lai raisonnable » est : « dĂ©lai qui, compte tenu des circonstances particuliĂšres d’une affaire, doit ĂȘtre respectĂ© par un plaideur diligent ».80 Des exemples de facteurs qui peuvent ĂȘtre pris en considĂ©ration pour Ă©valuer le dĂ©lai raisonnable sont : le montant du prĂȘt, le risque pour le crĂ©ancier de le perdre, la durĂ©e de la relation entre le crĂ©ancier et le dĂ©biteur, la rĂ©putation du dĂ©biteur, la possibilitĂ© pour lui de recueillir l’argent requis Ă  brĂšve Ă©chĂ©ance, et les circonstances entourant la demande de paiement.81 Ces facteurs ont Ă©tĂ© Ă©numĂ©rĂ©s par la Cour suprĂȘme de l’Ontario dans l’arrĂȘt Mister Broadloorn Corporation82 et repris par le juge Malouf dans l’arrĂȘt Houle.

Le fait que la C.A. dans Houle ait dĂ©cidĂ© que la banque a commis un abus de droit, sans qu’il soit nĂ©cessaire de faire la lourde preuve de mauvaise foi, de malice ou d’intention de nuire, est une approche tout-Ă -fait nouvelle dans l’application de la thĂ©orie de l’abus de droit.83 En fait, avant l’arrĂȘt Houle, les tribunaux quĂ©bĂ©cois ont toujours favorisĂ© une interprĂ©tation restrictive de la thĂ©orie de l’abus de droit, n’admettant la notion d’abus que dans les cas oĂč le crĂ©ancier avait agi malicieusement.84 Nous pouvons ainsi constater que, dans l’arrĂȘt Houle, la Cour a Ă©largi le concept de l’abus et a donc, en quelque sorte, imposĂ© de maniĂšre plus stricte le devoir de bonne foi aux crĂ©anciers.85 Sur ce sujet, dans un arrĂȘt similaire, Pole Lite LtĂ©e c. Banque provinciale du Canada,86 malgrĂ© que la C.A. ait jugĂ© que la banque n’avait pas commis un abus de droit, elle a commentĂ© qu’elle aurait pu l’ĂȘtre « si par crainte exagĂ©rĂ©e de perdre ses suretĂ©s, [elle] liquide du jour au lendemain celles-ci en ne laissant pas l’occasion Ă  son client de trouver une solution Ă  son problĂšme ».87

DĂ©cision de la C.S.C.: Enfin, rendu Ă  la C.S.C., le juge Lamer, en accord avec les instances infĂ©rieures, a rejetĂ© l’appel de la banque et a maintenu sa responsabilitĂ©. À son avis, la banque « n’a pas agi de façon raisonnable » et elle a « commis un dĂ©lit par une prise de possession abusive des actifs de la compagnie et par leur liquidation dans un dĂ©lai de trois heures ».88 Cependant, Ă  la diffĂ©rence de la C.S. et de la C.A., la C.S.C. a refusĂ© de lever le voile corporatif, au motif qu’il ne soit pas nĂ©cessaire de le faire pour accueillir la demande des frĂšres Houles. En fait, dans de telles affaires, la C.S.C. se montre rĂ©ticente Ă  accepter que des actionnaires puissent invoquer la levĂ©e du voile corporatif, prĂ©fĂ©rant plutĂŽt appliquer les principes du droit commun.89 La C.S.C. a citĂ© les affaires Salomon 90 et Silverman 91 pour souligner que la personnalitĂ© juridique distincte de la personne morale est un principe « clairement Ă©tabli » depuis longtemps en droit quĂ©bĂ©cois. Ainsi, elle confirme que les actionnaires n’ont pas de recours direct contre le tiers qui cause dommage Ă  la compagnie, et que c’est la « solution correcte ».92 En fait, selon le C.S.C., « toute autre solution entraĂźnerait des consĂ©quences illogiques » et il n’y aurait plus d’avantage d’incorporer une SPA.93 C’est ainsi que la C.S.C. a dĂ©cidĂ© de plutĂŽt appliquer le droit commun des obligations « en donnant une interprĂ©tation large des principes de la responsabilitĂ© civile », particuliĂšrement de l’article 1457 du C.c.Q..94 Selon la Cour, les actionnaires ne disposent d’aucun droit d’action fondĂ© sur le contrat lui-mĂȘme entre la compagnie et la banque, mais plutĂŽt,  d’un droit fondĂ© sur la responsabilitĂ© dĂ©lictuelle.95 En fait, elle affirme Ă  maintes reprises qu’« une partie contractante peut incontestablement encourir aussi une responsabilitĂ© dĂ©lictuelle envers un tiers, Ă  l’extĂ©rieur donc de la sphĂšre contractuelle ».96 La banque aurait donc engagĂ© directement sa responsabilitĂ© envers les frĂšres Houle en vertu de l’article 1457 du C.c.Q. Ă€ ce sujet, la Cour spĂ©cifie que pour pouvoir invoquer la responsabilitĂ© dĂ©lictuelle, il doit « toujours y avoir une obligation lĂ©gale, indĂ©pendante du contrat, entre la partie contractante et le tiers ».97 Ainsi, dans ce cas, les frĂšres Houle devaient Ă©tablir que la banque avait l’obligation lĂ©gale distincte d’agir raisonnablement envers eux, indĂ©pendamment de son obligation contractuelle envers la compagnie Houle.

La responsabilitĂ© dĂ©lictuelle a trois composantes, devant toutes ĂȘtre prĂ©sentes pour tenir une personne responsable civilement : une faute, un dommage, et un lien de causalitĂ©. Quant au premier Ă©lĂ©ment, soit la faute, le juge a conclu que la banque a commis une faute puisqu’elle a agi « sans justification de façon impulsive et dommageable » pour prendre possession et vendre les actifs de la compagnie, en plus de le faire dans un dĂ©lai dĂ©raisonnable de trois heures et en ayant la pleine connaissance des nĂ©gociations entres les intimĂ©s et l’acheteur.98 La Cour a ajoutĂ© que la banque avait un devoir d’agir de façon prudente et diligente pour Ă©viter de causer un prĂ©judice aux actionnaires, ce qu’elle n’a pas fait. Ensuite, quant au deuxiĂšme Ă©lĂ©ment, soit le dommage, celui-ci doit ĂȘtre certain et direct, tel qu’Ă©dictĂ© Ă  l’article 1607 du C.c.Q. Par rapport au critĂšre « certain », la Cour a conclu que le dommage Ă©tait certain. En fait, elle a repris les conclusions de la C.S. et la C.A., soit que les intimĂ©s avaient subi une perte de 250 000$, reprĂ©sentant la diffĂ©rence entre la valeur des actions avant et aprĂšs les agissements de la banque. La valeur de 250 000$ n’est donc pas contestĂ©e et reprĂ©sente le « prĂ©judice rĂ©ellement subi ».99 Par rapport au critĂšre « direct », la Cour a conclu que le dommage Ă©tait subi directement par les actionnaires. Elle a repris les propos de la C.A., soit que l’atteinte portĂ©e Ă  la valeur potentielle de leurs actions dont ils Ă©taient « sur le point de jouir personnellement », consistait en un dommage direct.100 Les actionnaires ont perdu « quelque chose qui Ă©tait Ă  portĂ©e de la main ».101 La Cour cite aussi les propos de l’auteur Paul Martel selon lesquels le dommage rĂ©sultant de la vente imminente des actions est un dommage direct aux actionnaires « en plus ou au-delĂ  et indĂ©pendamment de tout dommage qu’a pu subir la compagnie elle-mĂȘme ».102 Enfin, quant au troisiĂšme Ă©lĂ©ment, soit le lien de causalitĂ©, la Cour a confirmĂ© le lien de causalitĂ© entre la faute de la banque et le dommage causĂ© aux actionnaires, stipulant qu’« il est inĂ©vitable que la prĂ©cipitation avec laquelle s’est effectuĂ©e la liquidation des actifs de la compagnie cause un dommage aux intimĂ©s ».103 Bref, ayant Ă©tabli que les trois Ă©lĂ©ments de la responsabilitĂ© dĂ©lictuelle Ă©taient prĂ©sents en l’espĂšce, la C.S.C. a conclu que la banque a manquĂ© Ă  l’obligation lĂ©gale de l’article 1457 du C.c.Q. et est donc responsable du dommage subi par les actionnaires.

2.2 L’arrĂȘt Brunette en 2018

Depuis la dĂ©cision de la C.S.C. en 1990 dans l’affaire Houle, il y avait des incertitudes dans la sphĂšre juridique quant Ă  l’application de la rĂšgle Foss en droit des sociĂ©tĂ©s au QuĂ©bec. Toutefois, une dĂ©cision rĂ©cente de la C.S.C. dans Brunette est venue Ă©claircir les choses. Dans cet arrĂȘt, la C.S.C. a reconfirmĂ© la rĂšgle de Foss selon laquelle un actionnaire ne peut pas poursuivre un tiers directement pour les dommages causĂ©s Ă  la compagnie, soulignant la distinction entre le droit d’action d’un actionnaire et celui de la sociĂ©tĂ©. Cette affaire est d’une grande utilitĂ© puisque le juge Rowe dans son jugement majoritaire, ainsi que la juge CĂŽtĂ© dans sa dissidence, ont tous les deux analysĂ© en profondeur des concepts importants en droit canadien et en droit quĂ©bĂ©cois, particuliĂšrement pour le droit des sociĂ©tĂ©s. Ces concepts sont la personnalitĂ© juridique distincte des sociĂ©tĂ©s, ainsi que la qualitĂ© pour agir des actionnaires, plus particuliĂšrement la notion de l’« intĂ©rĂȘt suffisant », lesquels seront discutĂ©s dans la partie 2 de ce travail.

Il y a trois parties importantes dans l’affaire Brunette : la compagnie Groupe Melior (la sociĂ©tĂ©), la Fiducie Maynard (les actionnaires), et LTJ, un groupe d’avocats et de comptables (le tiers). Yves Brunette et Jean Maynard sont fiduciaires de la Fiducie Maynard (ci-aprĂšs « Fiducie »). La Fiducie Ă©tait la seule actionnaire de 9143-1304 QuĂ©bec inc., une sociĂ©tĂ© de portefeuille qui contrĂŽlait les sociĂ©tĂ©s qui formaient le Groupe Melior. La Fiducie soutient que LTJ avaient commis des fautes professionnelles dans l’Ă©tablissement de la structure fiscale du Groupe Melior, manquant ainsi Ă  leur obligation de conseil envers la Fiducie.104 Selon les appelants, ces fautes ont menĂ© Ă  la faillite de la plupart des sociĂ©tĂ©s du Groupe Melior, dont la faillite de 9143-1304 QuĂ©bec inc., et la perte totale de valeur du patrimoine de la Fiducie. Analysons briĂšvement les trois instances de l’affaire Brunette, soit les dĂ©cisions de la C.S., la C.A. et la C.S.C.

En 2015, en premiĂšre instance, la C.S. a donnĂ© raison aux intimĂ©s, concluant que la Fiducie ne pouvait pas rĂ©clamer des dommages pour des fautes commises Ă  l’endroit des sociĂ©tĂ©s du Groupe Melior. Citant l’arrĂȘt Foss et l’arrĂȘt Houle, elle rappelle que les actionnaires n’ont pas de cause d’action quant aux fautes commises par un tiers Ă  l’encontre de la compagnie. Ensuite, en 2017, la C.A. a aussi rejetĂ© la demande en raison de l’absence d’intĂ©rĂȘt suffisant. Comme la C.S., elle souligne que la rĂšgle selon laquelle les actionnaires n’ont pas de cause d’action pour un prĂ©judice causĂ© Ă  la sociĂ©tĂ© s’applique tant en Common Law qu’en droit civil quĂ©bĂ©cois. Quant Ă  l’application de la responsabilitĂ© dĂ©lictuelle, la C.A. l’a refusĂ©e Ă©galement. En fait, elle a conclu que les dommages rĂ©clamĂ©s par la Fiducie rĂ©sultaient d’un prĂ©judice qui n’Ă©tait « ni direct ni distinct de celui subi par les sociĂ©tĂ©s du Groupe Melior ».105 Ainsi, puisque le dommage doit ĂȘtre « certain et direct » pour pouvoir tenir une personne responsable civilement, selon l’article 1607 du C.c.Q., et qu’il ne l’Ă©tait pas dans ce cas, la responsabilitĂ© dĂ©lictuelle du tiers ne pouvait pas ĂȘtre retenue.

Enfin, en 2018, la C.S.C. a rendu son jugement. La Cour adresse l’affaire Houle et les tendances Ă  vouloir penser que celle-ci a crĂ©Ă© une exception Ă  la rĂšgle de Foss. La Cour confirme que les principes Ă©noncĂ©s dans Houle ne crĂ©ent pas un rĂ©gime d’exception Ă  la rĂšgle gĂ©nĂ©rale empĂȘchant l’actionnaire d’obtenir une indemnisation.106 Ils constituent plutĂŽt une « mise en Ɠuvre des principes gĂ©nĂ©raux de la responsabilitĂ© civile en droit quĂ©bĂ©cois », notamment des articles 1457 et 1458 du C.c.Q..107 Ainsi, c’est uniquement dans des circonstances exceptionnelles que les actionnaires d’une compagnie peuvent avoir un droit d’action qui leur est propre contre le tiers. Pour se faire, les actionnaires doivent Ă©tablir deux Ă©lĂ©ments : 1) le tiers a manquĂ© Ă  une obligation distincte envers eux, et 2) ce manquement leur a occasionnĂ© un prĂ©judice direct, indĂ©pendant de celui subi par la sociĂ©tĂ©.108 En l’application de ces deux exigences Ă©tablies dans Houle, la C.S.C dans l’affaire Brunette a conclu que les intimĂ©s n’ont pas rĂ©ussi Ă  dĂ©montrer qu’ils disposaient d’une cause d’action indĂ©pendante en responsabilitĂ© civile contre le tiers.109 Plus spĂ©cifiquement, pour ce qui est de la premiĂšre exigence, il n’y a pas eu de manquement Ă  une obligation lĂ©gale indĂ©pendante envers l’intimĂ©. En fait, la Cour a exprimĂ© que les intimĂ©s ont confus les obligations « tout au long de l’exposĂ© des faits »; une obligation des intimĂ©s envers le Groupe Melior « ne donne pas nĂ©cessairement lieu Ă  une obligation indĂ©pendante envers la Fiducie ».110 Pour ce qui est de la deuxiĂšme exigence, le prĂ©judice causĂ© Ă©tait la faillite et la perte des rĂ©sidences pour personnes ĂągĂ©es, ce qui a Ă©tĂ© subi par la sociĂ©tĂ© et non directement par les intimĂ©s.

3. Les principes flexibles en droit civil quĂ©bĂ©cois : comment les interprĂ©ter?

Les principes flexibles, aussi appelĂ©s les principes « vagues », « flous », « imprĂ©cis », ou « Ă  contenu variable », sont des termes qui n’acquiĂšrent leur sens prĂ©cis que dans le contexte concret de l’affaire prĂ©sentĂ©e devant le juge.111 Le lĂ©gislateur a inclus plusieurs notions floues dans le C.c.Q. pour confĂ©rer une certaine flexibilitĂ© Ă  la loi et ainsi permettre d’appliquer le droit « de maniĂšre souple et circonstanciĂ©e » en prenant compte des circonstances particuliĂšres de chaque cas.112 De cette façon, un juge peut dĂ©roger aux rĂšgles du droit strict si cela lui semble nĂ©cessaire pour traiter l’affaire devant lui. Les notions flexibles ont aussi une fonction supplĂ©tive, c’est-Ă -dire qu’elles peuvent permettre au juge de complĂ©ter les ententes expresses conclues entre les parties en question.113 En fait, tant en Common Law qu’en droit civil quĂ©bĂ©cois, il est arrivĂ© aux juges d’intĂ©grer des normes implicites dans un contrat, comme par exemple, la norme de bonne foi.114 Le choix du degrĂ© de prĂ©cision dans la formulation des lois appartient pleinement au lĂ©gislateur. Celui-ci peut choisir des termes prĂ©cis, comme il peut choisir des termes vagues pour ainsi confier aux juges la tĂąche de prĂ©ciser certaines rĂšgles juridiques.115 Certaines considĂ©rations peuvent se prĂ©senter au lĂ©gislateur quant Ă  la prĂ©cision qu’il accordera aux termes de la loi, dont l’auteur Ejan Mckaay en a Ă©numĂ©rĂ© cinq :

« 1. a) si les distinctions pertinentes ont Ă©tĂ© Ă©laborĂ©es par la jurisprudence ou autrement, et b) que l'on ne prĂ©voie pas de changements techniques ou sociaux nĂ©cessitant leur remaniement dans un avenir rapprochĂ© ;
2. si la conduite visĂ©e par les rĂšgles est relativement homogĂšne ;
3. si la matiĂšre concernĂ©e n'est pas controversĂ©e ;
4. si les parties peuvent facilement dĂ©roger Ă  la rĂšgle par des nĂ©gociations ;
5. si le coĂ»t de l'incertitude associĂ©e Ă  l'emploi de termes flous est considĂ©rable. ».116

Bien que l’usage des concepts flexibles en droit civil soit reconnu, il y a quand mĂȘme des risques qui y sont associĂ©s. D’abord, les dĂ©cisions judiciaires fondĂ©es sur les notions floues risquent de porter atteinte Ă  la force obligatoire des contrats.117 Ensuite, elles risquent d’accroĂźtre l’imprĂ©visibilitĂ© et l’insĂ©curitĂ© juridique dans les relations entre les parties.118 De plus, un argument qui est souvent mis de l’avant est que les tribunaux manquent d’expertise ou d’expĂ©rience dans le domaine des affaires et donc, ils ne sont « pas en mesure d’Ă©valuer correctement les dĂ©cisions ou les actes contestĂ©s ».119 Aussi, certains soutiennent que les notions floues sont une « entrave Ă  une conception positiviste du droit ».120 En fait, selon ce courant de pensĂ©e, il serait incorrect de donner une grande latitude dans l’interprĂ©tation des termes de la loi, c’est-Ă -dire de laisser les tribunaux donner le sens qu’ils veulent aux mots.121 Faire ainsi « fausserait le jeu de la communication qu’incarne le droit » et « risquerait d’entraĂźner de la confusion, des dĂ©cisions arbitraires et des contradictions Ă  l’intĂ©rieur du droit ».122 Selon ce courant, bien que les changements sociaux nĂ©cessitent d’interprĂ©ter les termes diffĂ©remment selon les Ă©poques, ce n’est pas aux tribunaux de changer leur sens, mais plutĂŽt, au lĂ©gislateur de mettre en place des principes capables de s’adapter avec l’Ă©volution des choses.123

3.1 La notion de l’intĂ©rĂȘt suffisant 

La notion de l’intĂ©rĂȘt suffisant est une des notions flexibles en droit quĂ©bĂ©cois introduit par le lĂ©gislateur. Elle est codifiĂ©e Ă  l’article 85 du C.p.c. :

« 85. La personne qui forme une demande en justice doit y avoir un intĂ©rĂȘt suffisant.
L’intĂ©rĂȘt du demandeur qui entend soulever une question d’intĂ©rĂȘt public s’apprĂ©cie en tenant compte de son intĂ©rĂȘt vĂ©ritable, de l’existence d’une question sĂ©rieuse qui puisse ĂȘtre valablement rĂ©solue par le tribunal et de l’absence d’un autre moyen efficace de saisir celui-ci de la question. ».

L’intĂ©rĂȘt suffisant est l’une des conditions de recevabilitĂ© de toute demande en justice.124 MalgrĂ© le fait que le deuxiĂšme alinĂ©a de l’article 85 du C.c.p. Ă©nonce des Ă©lĂ©ments qu’il faut considĂ©rer pour apprĂ©cier l’intĂ©rĂȘt du demandeur, l’article ne dĂ©finit pas prĂ©cisĂ©ment la notion d’« intĂ©rĂȘt suffisant ». En fait, le lĂ©gislateur a choisi d’exprimer la rĂšgle « en termes qui laissent au tribunal le soin de le dĂ©terminer empiriquement ».125 En consĂ©quence, pour pouvoir en dĂ©gager son sens, il faut plutĂŽt se tourner vers la jurisprudence.126 Pour prĂ©ciser le sens d’« intĂ©rĂȘt », l’arrĂȘt de principe en droit quĂ©bĂ©cois 127 est Jeunes Canadiens pour une civilisation chrĂ©tienne c. Fondation du ThĂ©Ăątre du Nouveau-Monde.128 Dans cet arrĂȘt de 1979, la C.A. dĂ©finit la notion de l’intĂ©rĂȘt comme suit:

« L’intĂ©rĂȘt, c’est l’avantage que retirera la partie demanderesse du recours qu’elle exerce, le supposant fondĂ©. À part les cas d’exception spĂ©cifiquement prĂ©vus par la loi, la rĂšgle en droit commun est que pour ĂȘtre suffisant, l’intĂ©rĂȘt doit, entre autres, ĂȘtre direct et personnel. » 129

L’intĂ©rĂȘt suffisant, Ă©tant une condition requise pour qu’une personne puisse former une demande en justice, est une rĂšgle d’ordre public Ă  laquelle personne ne peut dĂ©roger.130 Nous pouvons ainsi constater que l’intĂ©rĂȘt suffisant rĂ©fĂšre Ă  la qualitĂ© du demandeur; la « qualitĂ© pour agir » et l’« intĂ©rĂȘt suffisant » sont d’ailleurs des notions interchangeables dans la jurisprudence.131 En droit quĂ©bĂ©cois, l’intĂ©rĂȘt est une condition subjective qui doit absolument ĂȘtre prouvĂ©e puisque son existence n’est pas prĂ©sumĂ©e. C’est au demandeur d’en Ă©tablir son existence: la preuve se fait dans la requĂȘte introductive d’instance, en invoquant « les faits nĂ©cessaires pour Ă©tayer le caractĂšre suffisant de son intĂ©rĂȘt ».132 L’arrĂȘt Jeunes Canadiens pour une civilisation chrĂ©tienne a confirmĂ© que l’intĂ©rĂȘt doit ĂȘtre prouvĂ© et qu’« une allĂ©gation vague et gĂ©nĂ©rale de prĂ©judice personnel ne suffit pas ».133 PlutĂŽt, les allĂ©gations doivent ĂȘtre minimalement claires et prĂ©cises, tel que prĂ©cise l’article 99(1) du C.p.c. :

« 99. L’acte de procĂ©dure doit indiquer sa nature, exposer son objet, Ă©noncer les faits qui le justifient, ainsi que les conclusions recherchĂ©es. Il doit indiquer tout ce qui, s’il n’Ă©tait pas Ă©noncĂ©, pourrait surprendre une autre partie ou soulever un dĂ©bat imprĂ©vu. Ses Ă©noncĂ©s doivent ĂȘtre prĂ©sentĂ©s avec clartĂ©, prĂ©cision et concision, dans un ordre logique et ĂȘtre numĂ©rotĂ©s consĂ©cutivement. ».

Pour ĂȘtre considĂ©rĂ© « suffisant », l’intĂ©rĂȘt doit rĂ©pondre Ă  certaines conditions. Encore une fois, puisque ces conditions ne sont pas codifiĂ©es, il faut se rĂ©fĂ©rer Ă  la jurisprudence. La C.S.C. dans l’arrĂȘt NoĂ«l 134 a pris soin d’Ă©noncer des conditions en dĂ©clarant que l’intĂ©rĂȘt, requis par l’article 85 du C.p.c., doit ĂȘtre « juridique, nĂ© et actuel, et direct et personnel ».135 Analysons chacune de ces conditions. PremiĂšrement, l’intĂ©rĂȘt doit ĂȘtre de nature juridique, de sorte qu’il fait valoir l’existence d’un droit substantiel susceptible d’ĂȘtre reconnu par les tribunaux.136 Le demandeur doit donc avoir un droit d’agir en justice, avec un intĂ©rĂȘt basĂ© sur un fondement juridique, « en vue d’obtenir les conclusions recherchĂ©es dans la demande ».137 DeuxiĂšmement, l’intĂ©rĂȘt doit ĂȘtre nĂ© et actuel, c’est-Ă -dire qu’il doit rĂ©fĂ©rer Ă  un droit « dĂ©jĂ  mĂ©connu, dĂ©niĂ© ou menacĂ© », contrairement Ă  une situation Ă©ventuelle ou une menace hypothĂ©tique d’un droit, par exemple.138 TroisiĂšmement, l’intĂ©rĂȘt doit ĂȘtre direct et personnel.139 C’est cette condition qui suscite particuliĂšrement des critiques et sur laquelle les juges se sont montrĂ©s Ă  ĂȘtre d’opinions divergentes. Pour que l’intĂ©rĂȘt soit direct et personnel, le demandeur doit avoir Ă©tĂ© lĂ©sĂ© dans un droit qui lui est propre. Ce que cela signifie concrĂštement, dans le contexte de ce travail, est que, pour qu’un actionnaire puisse avoir l’intĂ©rĂȘt pour poursuivre un tiers pour le prĂ©judice causĂ© Ă  la sociĂ©tĂ©, il faut qu’il ait un droit « distinct » de celui de la sociĂ©tĂ©, soit dans une poursuite individuelle.140 Cette exigence est liĂ©e Ă  la rĂšgle selon laquelle « nul ne peut plaider au nom d’autrui »; dans le sens que, l’actionnaire ne peut pas plaider au nom de la sociĂ©tĂ©, Ă  l’exception de l’action oblique.141

3.1.1  Lien entre l’intĂ©rĂȘt et le prĂ©judice subi

En lien avec la troisiĂšme condition de l’intĂ©rĂȘt suffisant, soit que l’intĂ©rĂȘt du demandeur doit ĂȘtre « direct et personnel », les rĂšgles de la responsabilitĂ© civile prĂ©vues dans le C.c.Q. exigent aussi une telle condition pour le prĂ©judice subi. En fait, l’article 1607 du C.c.Q. exige que le prĂ©judice subi soit direct et personnel au demandeur, deux conditions cumulatives:142

« 1607. Le crĂ©ancier a droit Ă  des dommages-intĂ©rĂȘts en rĂ©paration du prĂ©judice, qu'il soit corporel, moral ou matĂ©riel, que lui cause le dĂ©faut du dĂ©biteur et qui en est une suite immĂ©diate et directe. ».

Ainsi, le prĂ©judice indirect, c’est-Ă -dire celui qui n’est pas une suite immĂ©diate de l’inexĂ©cution, n’est pas indemnisable en vertu de l’article 1607 du C.c.Q. Similairement, l’intĂ©rĂȘt indirect n’est pas considĂ©rĂ© comme Ă©tant suffisant pour pouvoir porter un recours en vertu de l’article 85 du C.p.c. Ceci dĂ©montre la cohĂ©rence entre les notions de base du C.c.Q. et l’interprĂ©tation que font les tribunaux quĂ©bĂ©cois de l’« intĂ©rĂȘt suffisant » du demandeur.143 Le travail du juge est donc d’analyser le prĂ©judice subi Ă  la lumiĂšre de deux critĂšres : sa certitude et son lien direct. Étant donnĂ© que l’article 1607 du C.c.Q. a souvent Ă©tĂ© appliquĂ© par les tribunaux dans le cadre de la rĂ©clamation d’un actionnaire pour la perte de valeur de ses actions, prenons ce cas pour faire notre analyse.144 La perte de valeur des actions Ă©tait d’ailleurs le cas dans l’arrĂȘt Houle. La premiĂšre question que le juge doit se poser est: est-ce que la perte de valeur des actions est un dommage certain? Si les faits montrent que les mesures prises par le tiers ont fait en sorte que la valeur des actions a diminuĂ©, alors le dommage est certain. Il est gĂ©nĂ©ralement facile de dĂ©terminer une telle perte; par exemple, dans l’arrĂȘt Houle, la C.S.C. Ă©tait d’accord avec la C.S. et la C.A. que la perte de valeur des actions reprĂ©sentait un montant de 250 000$, puisqu’elle reprĂ©sentait la diffĂ©rence entre la valeur avant et aprĂšs les agissements de la banque. Ainsi, il n’y aurait pas de doute quant Ă  l’existence d’un prĂ©judice rĂ©ellement subi.145 Par contre, il reste tout de mĂȘme un critĂšre dans l’Ă©quation, soit la deuxiĂšme question: est-ce que la perte de valeur des actions est un dommage direct? La rĂšgle gĂ©nĂ©rale en droit quĂ©bĂ©cois est que la perte de valeur des actions d’un actionnaire est un dommage indirect.146 Mais, la doctrine est divisĂ©e sur le sujet, et mĂȘme les juges dans l’arrĂȘt Brunette se sont montrĂ©s en dĂ©saccord dans leur interprĂ©tation du terme « direct ». L’interprĂ©tation du terme « direct » est d’ailleurs encore sujet de dĂ©bat aujourd’hui. Faudrait-il favoriser une interprĂ©tation restrictive ou large de la notion de « direct »? Comment interprĂ©ter la notion « direct » dans l’arrĂȘt Houle?

D’un cĂŽtĂ© du dĂ©bat, selon le juge Rowe dans le jugement majoritaire de Brunette, le demandeur, soit l’actionnaire, doit dĂ©montrer l’existence d’une faute indĂ©pendante, qui est distincte de celle subie par la sociĂ©tĂ©. En fait, pour interprĂ©ter la notion de prĂ©judice « direct », le juge Rowe a repris les propos de la juge L’Heureux-DubĂ© dans Houle lorsqu’elle a dit que le dommage des actionnaires doit ĂȘtre direct « en plus ou au-delĂ  et indĂ©pendamment de tout dommage qu’a pu subir la compagnie elle-mĂȘme ».147 Selon cette critique, un prĂ©judice « direct » est donc, par dĂ©faut, un prĂ©judice qui est indĂ©pendant de celui de la sociĂ©tĂ©. Ainsi,  par souci de clartĂ©, le prĂ©judice « direct » doit aussi ĂȘtre qualifiĂ© de « distinct ».148 De l’autre cĂŽtĂ© du dĂ©bat, selon les motifs dissidents de la juge CĂŽtĂ© dans Brunette, le fait de chercher si le prĂ©judice est « direct » n’est pas de chercher s’il est « distinct ».149 En fait, insister sur le caractĂšre direct du prĂ©judice est tout-Ă -fait compatible avec le droit quĂ©bĂ©cois, particuliĂšrement avec l’article 1607 du C.c.Q. Mais, insister sur le fait que le prĂ©judice de l’actionnaire soit entiĂšrement distinct et  indĂ©pendant de celui de la sociĂ©tĂ©, ne serait pas du tout compatible avec les articles du C.c.Q..150 En fait, exiger une telle indĂ©pendance irait Ă  l’encontre de la jurisprudence quĂ©bĂ©coise, particuliĂšrement de l’arrĂȘt Houle, qui n’insiste que sur un prĂ©judice direct et personnel.151 De plus, selon la juge CĂŽtĂ©, la question du prĂ©judice « ne peut pas ĂȘtre analysĂ©e de façon compartimentĂ©e, sans Ă©gard Ă  la faute ou au manquement contractuel ».152 PlutĂŽt, il faut considĂ©rer l’ensemble des droits et obligations des parties comme un tout « au lieu de les dissĂ©quer en des contrats spĂ©cifiques ».153

3.1.2  L’absence manifeste

Comme nous l’avons vu, l’intĂ©rĂȘt suffisant n’est pas une question de procĂ©dure mais plutĂŽt, strictement une question de droit substantiel.154 En d’autres termes, lorsqu’il est question d’intĂ©rĂȘt suffisant, il revient Ă  se demander : un droit substantiel existe-t-il? C’est lĂ  oĂč repose le « nƓud de [l]’affaire ».155 Si un droit substantiel existe, un intĂ©rĂȘt Ă  intenter un recours judiciaire existe. L’existence d’un intĂ©rĂȘt suffisant fait en sorte que l’action est recevable en droit.156 Au contraire, s’il y a absence d’intĂ©rĂȘt suffisant, et que cette absence est manifeste, la demande peut ĂȘtre rejetĂ©e dĂšs le stade prĂ©liminaire. VoilĂ  une autre notion flexible en droit quĂ©bĂ©cois, la notion « manifeste », codifiĂ©e Ă  l’article 168(3) du C.p.c. :

« 168. Une partie peut opposer l’irrecevabilitĂ© de la demande ou de la dĂ©fense et conclure Ă  son rejet dans l’une ou l’autre des circonstances suivantes:
3° l’une ou l’autre des parties n’a manifestement pas d’intĂ©rĂȘt. ».

À cet article, le lĂ©gislateur a pris soin de prĂ©ciser que l’absence d’intĂ©rĂȘt doit ĂȘtre de caractĂšre manifeste. De cette façon, le lĂ©gislateur a imposĂ© une condition expresse pour que la cause soit irrecevable, ce qu’il n’a d’ailleurs pas pris soin de faire pour les autres moyens d’irrecevabilitĂ© prĂ©vus dans le C.c.Q..157 Le choix tout-Ă -fait intentionnel du lĂ©gislateur d’inclure le terme « manifestement » est liĂ© Ă  l’adage selon lequel « le lĂ©gislateur ne parle pas pour rien dire ».158 En fait, en droit quĂ©bĂ©cois, il existe une prĂ©somption selon laquelle chaque mot utilisĂ© par le lĂ©gislateur dans la rĂ©daction des lois a une raison d’ĂȘtre : elle s’appelle la prĂ©somption de l’effet utile. La prĂ©somption de l’effet utile peut trouver sa valeur dans l’article 41.1 de la Loi d’interprĂ©tation.159 Ainsi, le lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois a dĂ©libĂ©rĂ©ment choisi d’inclure le mot « manifeste » dans l’article 168(3) du C.p.c. Le mot n’est par contre pas dĂ©fini Ă  l’article, nous obligeant de se tourner vers les dictionnaires et la jurisprudence quĂ©bĂ©coise pour en dĂ©gager son sens. D’abord, le Dictionnaire de droit quĂ©bĂ©cois et canadien donne la dĂ©finition juridique du terme « manifeste »: « qui est trĂšs apparent, que l’on peut dĂ©celer Ă  la seule vue ou lecture d’un document, d’un dossier, d’un jugement ».160 Ensuite, un dictionnaire de langue française dĂ©finit le terme comme suit: « qui est tout Ă  fait Ă©vident, qui ne peut ĂȘtre contestĂ© dans sa nature ou son existence ».161 Enfin, pour ajouter Ă  ces deux dĂ©finitions, nous pouvons se rĂ©fĂ©rer Ă  l’arrĂȘt de la C.S.C. Housen c. Nikolaisen.162 MalgrĂ© qu’il s’agisse d’un arrĂȘt de droit administratif, la dĂ©finition que le juge a donnĂ© du terme « manifeste » est tout aussi pertinent et applicable en droit des sociĂ©tĂ©s. Le juge a dĂ©fini le terme « manifeste » comme Ă©tant quelque chose de « tout Ă  fait Ă©vident » ou « qui ne peut ĂȘtre contestĂ© ».163 Bref, peu importe la dĂ©finition utilisĂ©e pour dĂ©gager le sens du terme « manifeste », le terme « Ă©vident » revient dans chacune d’entres elles. C’est au juge de dĂ©terminer si l’absence d’intĂ©rĂȘt est manifeste, dans le sens qu’elle est Ă©vidente, Ă  travers son apprĂ©ciation des faits.164 Les tribunaux sont rappelĂ©s qu’ils doivent faire preuve de prudence avant de rejeter au stade prĂ©liminaire une demande sur le fondement d’un manque d’intĂ©rĂȘt, comme la prochaine section discute.165

3.2 La notion de la retenue judicaire

L’intĂ©rĂȘt suffisant Ă©tant une condition de recevabilitĂ© applicable Ă  toutes les demandes en justice et dont les tribunaux doivent en Ă©tablir son existence, la notion de retenue judiciaire est trĂšs importante lorsqu’il faut Ă©valuer l’intĂ©rĂȘt des actionnaires d’une SPA.166 Les juges ont un certain pouvoir discrĂ©tionnaire lorsqu’ils doivent interprĂ©ter les notions floues en droit quĂ©bĂ©cois. Le pouvoir discrĂ©tionnaire est la marge de manƓuvre laissĂ©e au tribunal pour se prononcer sur certaines questions. Il ne s’agit toutefois pas d’un pouvoir absolu puisque la libertĂ© des juges est limitĂ©e par la nĂ©cessitĂ© de maintenir une certaine cohĂ©rence dans le droit.167 Le contrĂŽle de l’exercice du pouvoir discrĂ©tionnaire des tribunaux « a toujours Ă©tĂ© difficile Ă  Ă©tablir », particuliĂšrement quant aux rapports entre les tribunaux et le pouvoir exĂ©cutif.168 La tension entre la discrĂ©tion et le droit dĂ©coule de la thĂ©orie de Dicey de 1959. Selon Dicey, le pouvoir discrĂ©tionnaire est incompatible avec le principe de la primautĂ© du droit. Selon lui, la primautĂ© du droit repose sur « la prĂ©dĂ©termination, la fixitĂ©, [et] la certitude des rĂšgles de droits », ce qui sont toutes des qualitĂ©s que le pouvoir discrĂ©tionnaire ne possĂšde pas.169 Le pouvoir discrĂ©tionnaire serait donc, selon la thĂ©orie de Dicey, un pouvoir arbitraire. Contrairement Ă  cette thĂ©orie, le lĂ©gislateur quĂ©bĂ©cois a introduit, en 1994, des notions flexibles dans le C.c.Q. pour laisser un certain pouvoir discrĂ©tionnaire aux juges pour qu’ils puissent ajuster leur interprĂ©tation selon les diffĂ©rents cas. Toutefois, les tribunaux doivent faire preuve de prudence. Mais, jusqu'Ă  quel point les tribunaux doivent-ils se retenir? Qu’en est-il des demandes qui sont « clairement vouĂ©es Ă  l’Ă©chec »? C’est lĂ  le dĂ©bat, qui a d’ailleurs Ă©tĂ© discutĂ© dans l’arrĂȘt Brunette par le juge Rowe dans la dĂ©cision majoritaire, et par la juge CĂŽtĂ© dans la dissidence.

D’un cĂŽtĂ© de la critique, la juge CĂŽtĂ© dans la dissidence dans Brunette priorise le fait que l’exercice du pouvoir d’interprĂ©ter les notions floues en droit doit ĂȘtre fait avec beaucoup de prudence. La prudence est synonyme de prĂ©caution, de rĂ©serve, de circonspection, et de mise en garde; ces termes sont interchangeables et ont Ă©tĂ© employĂ©s dans diffĂ©rents arrĂȘts de la C.S.C. Le devoir de prudence dans ce contexte particulier fait rĂ©fĂ©rence Ă  la prudence que doivent exercer les tribunaux lors des demandes de rejet et d’irrecevabilitĂ©. Plus spĂ©cifiquement, les tribunaux de juridiction infĂ©rieure doivent Ă©viter de mettre fin prĂ©maturĂ©ment Ă  une action sans examen au fond.170 Le but est de prĂ©venir le plus que possible les risques de dommages « graves ou irrĂ©versibles », surtout considĂ©rant le fait qu’au stade prĂ©liminaire, il y a l’« absence de certitude scientifique absolue quant Ă  la rĂ©alitĂ© de ces dommages ».171 Puisque le rejet prĂ©maturĂ© entraĂźne de graves consĂ©quences, il faut laisser au demandeur la chance de se faire entendre sur le fond au stade prĂ©liminaire. À ce stade, le demandeur doit allĂ©guer les Ă©lĂ©ments nĂ©cessaires du droit substantiel qu’il rĂ©clame. Si les allĂ©gations du demandeur ne sont pas certaines, mais elles ne sont pas non plus contredites, le tribunal doit « les tenir pour avĂ©rĂ©es ».172 Cela signifie qu’en cas de doute, quel que minime qu’il le soit, le juge doit entendre le demandeur sur le fond. La prudence s’impose surtout aux tribunaux de juridiction infĂ©rieure lorsque le moyen d’irrecevabilitĂ© repose sur l’absence d’intĂ©rĂȘt. En fait, pour que la cause du demandeur puisse ĂȘtre recevable, il doit dĂ©montrer l’existence d’un intĂ©rĂȘt de maniĂšre suffisante, c’est-Ă -dire que les allĂ©gations mises de l’avant soient « minimalement claires et prĂ©cises ». Par contre, en ce qui concerne la causalitĂ©, « une allusion suffit gĂ©nĂ©ralement ».173 Ainsi, seule une absence « claire et manifeste » de fondement juridique va mener au rejet d’une action Ă  cette Ă©tape des procĂ©dures.174 L’exigence que l’absence soit manifeste a Ă©tĂ© imposĂ©e par le lĂ©gislateur surtout en raison du fait que l’intĂ©rĂȘt est tributaire des faits. Ce que cela signifie est que l’existence d’intĂ©rĂȘt dĂ©pend strictement des faits de l’affaire spĂ©cifique et donc, elle pourra « rarement ĂȘtre apprĂ©ciĂ©e pleinement avant l’instruction de l’affaire ».175 En somme, comme la juge CĂŽtĂ© l’a exprimĂ© dans ses motifs dissidents dans l’arrĂȘt Brunette, « ce remĂšde draconien doit ĂȘtre administrĂ© avec la plus grande prudence ».176 Le rejet en irrecevabilitĂ© d’une demande ne peut pas se faire pour la seule raison que ses chances de succĂšs sont faibles ou douteuses. La juge CĂŽtĂ© ajoute que : le rejet en irrecevabilitĂ© ne peut pas devenir « un prĂ©texte pour rĂ©server l’accĂšs aux tribunaux aux seules causes qui prĂ©sentent des chances Ă©videntes de succĂšs, ou encore aux seuls demandeurs dont l’intĂ©rĂȘt ne fait aucune doute ».177

De l’autre cĂŽtĂ© de la critique, le juge Wagner dans Brunette a plutĂŽt mis de l’avant des arguments en faveur de la saine administration. Selon cette position, les tribunaux doivent ĂȘtre capables de rejeter des demandes au stade prĂ©liminaire. Ce pouvoir de rejet est crucial au bon fonctionnement des cours. Le juge Wagner a mentionnĂ© divers arguments qui Ă©taient prĂ©cĂ©demment soulevĂ©s par des juges de la C.S.C. de d’autres arrĂȘts, tels que le manque d’accĂšs Ă  la justice en raison des coĂ»ts et des dĂ©lais inutiles, les formalitĂ©s excessives, la raretĂ© ou le manque de ressources judiciaires, et le risque de nuire Ă  la saine administration de la justice.178 En raison de ces rĂ©alitĂ©s nĂ©fastes pour le systĂšme de justice, dans les cas oĂč les actions sont « clairement vouĂ©es Ă  l’Ă©chec », celles-ci devront, sans hĂ©sitation, ĂȘtre rejetĂ©es au stade prĂ©liminaire.179 De cette façon, les juges peuvent contribuer Ă  rĂ©duire le gaspillage des ressources judiciaires et ainsi diminuer le risque de l’« inaccĂšs » Ă  la justice. Le systĂšme de justice civile au QuĂ©bec repose sur le principe selon lequel le processus dĂ©cisionnel doit ĂȘtre « juste et Ă©quitable ».180 Le « rĂšglement juste et Ă©quitable des litiges » est un rĂšglement qui exige une affectation efficiente des ressources judiciaires.181 Le juge Wagner dans Brunette a mis en valeur ce rĂšglement en citant particuliĂšrement deux arrĂȘts de la C.S.C. Le premier est l’arrĂȘt Hryniak,182 dans lequel la juge Karakatsanis a soulignĂ© l’importance du rĂšglement juste et Ă©quitable en prĂ©cisant que « ce principe ne souffre aucun compromis ».183 Selon la juge Karakatsanis, si la procĂ©dure est disproportionnĂ©e par rapport Ă  la nature du litige et aux intĂ©rĂȘts en jeu, « elle n’aboutira pas Ă  un rĂ©sultat juste et Ă©quitable ».184 Une procĂ©dure juste et Ă©quitable exige que le juge puisse d’abord Ă©tablir les faits nĂ©cessaires au rĂšglement du litige et ensuite, appliquer les principes juridiques pertinents aux faits Ă©tablis.185 Par rapport Ă  une telle procĂ©dure, la juge Karakatsanis a commentĂ© que la tenue d’un procĂšs complet est devenue largement « illusoire ».186 Le procĂšs est devenu illusoire dans le sens qu’il n’est pas, en rĂ©alitĂ©, accessible Ă©galement Ă  tous, c’est-Ă -dire de façon « proportionnĂ©e, expĂ©ditive et abordable ».187 Sans contribution financiĂšre de l’État, les Canadiens n’ont pas les moyens d’accĂ©der au systĂšme de justice.188 Plus prĂ©cisĂ©ment, en raison des coĂ»ts et des dĂ©lais lourds associĂ©s au procĂšs, les personnes sont privĂ©es de la possibilitĂ© de faire trancher leur litige, ne rendant la procĂ©dure accessible que d’une maniĂšre inĂ©gale.189 Le deuxiĂšme arrĂȘt citĂ© dans Brunette est R. c. Imperial Tobacco Canada LtĂ©e,190 dans lequel les propos de la juge McLachlin ont Ă©tĂ© repris. En fait, la juge McLachlin a soulignĂ© que le pouvoir de rejeter les demandes qui ne prĂ©sentent « aucune possibilitĂ© raisonnable de succĂšs » est une mesure de gouverne judiciaire importante qui est disponible aux tribunaux pour assurer l’efficacitĂ© et l’Ă©quitĂ© des procĂšs.191 Avec ce pouvoir, les tribunaux peuvent « Ă©carter les demandes vaines » et « assurer l’instruction des demandes susceptibles d’ĂȘtre accueillies ».192 C’est d’ailleurs lĂ  le lien avec le pouvoir accordĂ© aux tribunaux en vertu de l’article 168(3) du C.p.c., soit celui de rejeter des demandes pour l’absence manifeste d’intĂ©rĂȘt.

Enfin, pour conclure sur le devoir de prudence des tribunaux, il vaut de mentionner une spĂ©cification qui a Ă©tĂ© faite dans un arrĂȘt rĂ©cent de droit civil, qui a d’ailleurs Ă©tĂ© repris dans d’autres arrĂȘts ainsi que dans la doctrine quĂ©bĂ©coise. Dans l’arrĂȘt Beaulieu c. Laflamme,193 le juge Wagnera prĂ©cisĂ© que la prudence ne doit pas ĂȘtre « synonyme d’attentisme »194, ce qui a Ă©tĂ© confirmĂ© par la suite dans l’arrĂȘt White c. Green.195 L’attentisme signifie le fait d’attendre que les Ă©vĂ©nements s’annoncent pour prendre une dĂ©cision.196 Ainsi, si une action est « clairement vouĂ©e Ă  l’Ă©chec », les tribunaux ne doivent pas diffĂ©rer la dĂ©cision mais plutĂŽt, rejeter l’action immĂ©diatement. Selon le juge Wagner, procĂ©der ainsi serait dans l’intĂ©rĂȘt des parties et dans l’intĂ©rĂȘt d’une saine administration de la justice.197

CONCLUSION

Depuis 1994, les entreprises ont acquis un statut particulier leur donnant accĂšs Ă  un rĂ©gime dĂ©rogatoire, rassemblant des rĂšgles spĂ©cifiques qui sont mieux adaptĂ©es au domaine des affaires que celles du droit commun. Le droit quĂ©bĂ©cois reconnaĂźt cinq formes juridiques d’exploitation d’une entreprise, dont celle « exploitĂ©e par une sociĂ©tĂ© ». La SPA fait partie de cette forme juridique et est rĂ©gie par les articles 298 et suivants du C.c.Q. Dans ce travail, nous avons vu que ces articles impliquent un avantage et un dĂ©savantage majeur pour les actionnaires d’une SPA. En fait, la personnalitĂ© juridique distincte que possĂšde la SPA en vertu de l’article 298 du C.c.Q., est une Ă©pĂ©e Ă  double tranchant. D’un cĂŽtĂ©, elle donne l’avantage aux actionnaires d’avoir une responsabilitĂ© limitĂ©e quant aux dettes de la SPA; de l’autre cĂŽtĂ©, elle interdit les actionnaires d’avoir un recours direct contre les tiers pour les dommages causĂ©s Ă  l’encontre de l’entreprise. En incorporant une SPA, il faut donc ĂȘtre prĂȘt Ă  en assumer les consĂ©quences inhĂ©rentes. L’actionnaire ne peut obtenir le beurre et l’argent du beurre, d’oĂč l’expression employĂ©e par le juge dans Houle : l’actionnaire ne peut « jouer sur deux tableaux ».198 La question de recherche dans le travail Ă©tait : la rĂšgle de Common Law, applicable en droit civil quĂ©bĂ©cois depuis 1912, selon laquelle un actionnaire d’une SPA ne dispose pas d’un recours direct contre le tiers qui cause un dommage Ă  l’entreprise, est-elle compatible avec les principes de base de responsabilitĂ© civile du C.c.Q.? Le courant dominant est que la rĂšgle de Foss est tout-Ă -fait compatible avec les principes de responsabilitĂ© civile. En fait, la rĂšgle de Foss reprĂ©sente les principes du droit procĂ©dural et du droit des sociĂ©tĂ©s au QuĂ©bec, soit celui de l’intĂ©rĂȘt suffisant Ă  l’article 85 du C.p.c et celui de la personnalitĂ© distincte de la sociĂ©tĂ© Ă  l’article 298 du C.c.Q., qui empĂȘchent les actionnaires d’exercer un droit d’action qui appartient Ă  la SPA. Les actionnaires peuvent plutĂŽt intenter une poursuite en responsabilitĂ© dĂ©lictuelle s’ils dĂ©montrent (1) un manquement Ă  une obligation distincte et (2) un prĂ©judice direct qui est distinct de celui subi par la SPA. Ceci est tout-Ă -fait cohĂ©rent avec les principes de la responsabilitĂ© civile sous le C.c.Q. Nous avons aussi vu dans ce travail que l’arrĂȘt Houle en 1990 est venu bouleverser les choses. La dĂ©cision de la C.S.C. de laisser les actionnaires avoir un recours direct envers le tiers qui a causĂ© un dommage Ă  l’encontre de la SPA Ă©tait contraire Ă  la jurisprudence quĂ©bĂ©coise antĂ©rieure et Ă  la rĂšgle de Foss. Ce jugement a soulevĂ© des incertitudes par rapport Ă  l’application de la rĂšgle de Foss en droit quĂ©bĂ©cois, et a suscitĂ© des discussions qui continuent de faire l’objet de dĂ©bats aujourd’hui. L’arrĂȘt rĂ©cent Brunette a d’ailleurs exposĂ© ce dĂ©bat, Ă  travers les motifs du juge Rowe dans son jugement majoritaire, et les motifs dissidents de la juge CĂŽtĂ©. L’actionnaire a-t-il un « intĂ©rĂȘt suffisant » pour poursuivre le tiers? Le prĂ©judice de l’actionnaire doit-il ĂȘtre « distinct » de celui subi par la sociĂ©tĂ©, ou seulement ĂȘtre « direct »? Bien que le dĂ©bat se soit clos dans Brunette, puisque la C.S.C. a reconfirmĂ© l’application de la rĂšgle de Foss en droit quĂ©bĂ©cois, il reste Ă  voir si les motifs dissidents de la juge CĂŽtĂ© ouvriront la porte Ă  nouveau au dĂ©bat.

TABLE DE LA LÉGISLATION

Textes québécois

Code civil du Québec, c. CCQ-1991

Code de procédure civile, RLRQ c. C-25.01

Loi d’interprĂ©tation, RLRQ, c. I-16, art. 41.1

TABLE DE LA JURISPRUDENCE

Jurisprudence canadienne

Barreau du Québec c. Québec (Procureure générale), 2017 CSC 56

Beaulieu  c. Laflamme 2011 QCCA 1909

Brunette c. Legault Joly Thiffault, s.e.n.c.r.l., 2018 CSC 55

Caisse populaire des deux Rives c. SociĂ©tĂ© mutuelle d’assurance contre l’incendie de la VallĂ©e du Richelieu, [1990] 2 R.C.S. 995

Canada (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux, 2014 CSC 49

Fanous c. Gauthier, 2018 QCCA 293

Houle c. Banque Canadienne Nationale, [1990] 3 RCS 122

Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33

Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7

Jeunes Canadiens pour une civilisation chrétienne c. Fondation du Théatre du Nouveau-Monde, [1979] C.A. 491

Mister Broadloorn Corporation (7968) Ltd. c. Bank of Montreal, (1980) 32C.B.R. n.s. 241 (Ont. S.C.).

Morin Gonthier c. Bernstein, 2018 QCCA 795

NoĂ«l c. SociĂ©tĂ© d’Ă©nergie de la Baie James 2001 CSC 39

Option Consommateurs c. Banque Canadian Tire 2006 QCCS 5363

Pole Lite Ltée c. Banque provinciale du Canada, [1984] C.A. 170

R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42

Salomon c. A. Salomon & Co. Ltd., [1897] A.C. 22

Silverman c. Heaps, [1967] C.S. 536

White c. Green, 2016 QCCS 5118

Jurisprudence américaine

Carlen c. Drury (1812) V & B 154

Edwards c. Halliwell [1950] 2 All ER 1064

Foss c. Harbottle (1843), 2 Hare 461, 67 E.R. 189

Gray c. Lewis 1886 94 N.C. 392

Ronald Elwyn Lister Ltd. c. Dunlop Canada Ltd., 1982

BIBLIOGRAPHIE

Monographies et ouvrages collectifs

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GuiguĂšre, M., « Droit des corporations et des sociĂ©tĂ©s par actions », Laval, Les Presses de l’UniversitĂ© Laval, 1994

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Articles de revue et Ă©tudes d’ouvrages collectifs

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Wedderburn, K.W., « Shareholders’ rights and the rule in Foss c. Harbottle », (1957), The Cambridge Law Journal, 15(2), 194-215

Lois et codes annotés

Biron, J., M. Cachecho, É. Charpentier, S. LanctĂŽt, B. Moore (dir.), C. PichĂ© et A. Roy, Code civil du QuĂ©bec : annotations, commentaires, 3e Ă©d., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2018-2019

Ferland, D. et B. Emery, PrĂ©cis de procĂ©dure civile du QuĂ©bec, 5e Ă©d., vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015

Dictionnaires et ouvrages de références

Grand Robert de la langue française, 2e Ă©d.  Paris : Dictionnaires Le Robert, 2001

Larousse, P. Petit dictionnaire de français, 3e Ă©d., Paris : Éditions Larousse , 2008

Reid, H., Dictionnaire de droit quĂ©bĂ©cois et canadien, 5e Ă©d., MontrĂ©al, Wilson & Lafleur, 2015 (JuriBistroMD eDICTIONNAIRE)

Receuil de cours

Guimond, M., Notes de cours DRT 2401 (Droit des affaires 1), Montréal, Coop Droit, 2018

Endnotes

1 Hani Al-naddaf, « L’application de la notion d’entreprise entre le Code de commerce français et le Code civil du QuĂ©bec, mĂ©moire de maĂźtrise, MontrĂ©al, FacultĂ© de droit, UniversitĂ© de MontrĂ©al, 2006, p. 87-93. p.iii.
2 Id.
3 H. Al-naddaf, préc., note 1, p. 93.
4 Id.
5 Hubert Reid, « Dictionnaire de droit quĂ©bĂ©cois et canadien », 5e Ă©d., MontrĂ©al, Wilson & Lafleur, 2015, « sociĂ©tĂ© par actions » (JuriBistroMD eDICTIONNAIRE).
6 Martine Guimond, « Notes de cours DRT 2401 (Droit des affaires 1) », MontrĂ©al, Coop Droit, 2018.
7 Julie Biron, Maya Cachecho, Élise Charpentier, SĂ©bastien LanctĂŽt, BenoĂźt Moore (dir.), Catherine PichĂ©, et Alain Roy, « Code civil du QuĂ©bec : annotations, commentaires », 3e Ă©d., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2018-2019, art. 298, p. 267.
8 Jean Turgeon, « Les actionnaires, le voile corporatif et les tiers : quelques rĂ©flexions sur l’arrĂȘt Houle c. Banque Canadienne Nationale et la vĂ©ritable nature de ces rapports », (1993) 24 R.G.D. 411, 422.
9 J. Turgeon, préc., note 8, p. 424.
10 Salomon c. A. Salomon & Co. Ltd., [1897] A.C. 22.
11 J. Turgeon, préc., note 8, p. 421.
12 Brunette c. Legault Joly Thiffault, s.e.n.c.r.l., 2018 CSC 55, para 25.
13 Martine Guimond, préc., note 6.
14 J. Turgeon, préc., note 8, p. 423.
15 Pascal Bergeron, « Le voile corporatif : quelques notions de base », Bernier Beaudry avocats d’affaires, 8 mars 2013.
16 Id.
17 Paul Martel, « La sociĂ©tĂ© par actions au QuĂ©bec: Les aspects juridiques », vol. 1, MontrĂ©al, Wilson & Lafleur/Martel ltĂ©e, 2011.
18 Id.
20 StĂ©phane Rousseau et Nadia SmaĂŻli, « La ‘levĂ©e du voile corporatif’ en vertu du Code civil du QuĂ©bec : des perspectives thĂ©oriques et empiriques Ă  la lumiĂšre des dix annĂ©es de jurisprudence », (2006), Les Cahiers de droit, 47(4), 815-862, p. 818.
21 Id.
22 Id., p. 819.
23 P. Bergeron, préc., note 16.
24 Julie Biron et al., préc., note 7, art. 317, p. 276.
25 Anthony James Boyle, Minority shareholders’ remedies, London, Cambridge University Press, 2002.
26 Kenneth William Wedderburn, « Shareholders’ rights and the rule in Foss c. Harbottle », (1957), The Cambridge Law Journal, 15(2), 194-215, p. 194.
27 A. J. Boyle, préc., note 25, p. 2.
28 Carlen c. Drury (1812) V & B 154.
29 A.J. Boyle, préc., note 25, p. 2.
30 Foss c. Harbottle, (1843), 2 Hare 461, 67 E.R. 189.
31 K.W. Wedderburn, préc., note 26, p. 194.
32 K.W. Wedderburn, préc., note 26, p. 196.
33 H. Reid, prĂ©c., note 6, « majoritĂ© ».
34 K.W. Wedderburn, préc., note 26, p. 198.
35 Id., p. 194.
36 Id., p. 198.
37 Id.
38 Id., p. 195.
39 Id.
40 A. J. Boyle, préc., note 25, p. 4.
41 Edwards c. Halliwell [1950] 2 All ER 1064.
42 Edwards c. Halliwell, préc., note 41.
43 Louis Lebel et Pierre-Louis Le Saunier, « L’interaction du droit civil et de la common law Ă  la Cour suprĂȘme du Canada », (2006), Les Cahiers de droit, 47(2), 179-238: p. 203.
44 Id.
45 Brunette c. Legault Joly Thiffault, s.e.n.c.r.l., préc., note 12, par. 24.
46 L. Lebel et P.-L. Le Saunier, préc., note 43, p. 179.
47 Id., p. 203.
48 Id.
49 Id., p. 204.
50 Caisse populaire des deux Rives c. SociĂ©tĂ© mutuelle d’assurance contre l’incendie de la VallĂ©e du Richelieu, [1990] 2 R.C.S. 995, p. 1004.
51 L. Lebel et P.-L. Le Saunier, préc., note 43, p. 206.
52 Id.
53 Houle c. Banque Canadienne Nationale, [1990] 3 RCS 122.
54 Paul Martel, « L’arrĂȘt Banque Nationale du Canada c. Houle: LumiĂšres nouvelles sur l’abus de droit et le ‘voile corporatif’ », (1987) 33 R.D. McGill 213, p. 213.
55 Id., p. 213.
56 Brunette c. Legault Joly Thiffault, s.e.n.c.r.l.,préc., note 12, par. 30.
57 P. Martel, préc., note 54, p. 214.
58 Houle c. Banque Canadienne Nationale, préc., note 53.
59 Id.
60 Houle c. Banque Canadienne Nationale, préc., note 53.
61 Id.
62 Id.
63 J. Turgeon, préc., note 8, p. 416.
64 Id.
65 Marc GuiguĂšre, Droit des corporations et des sociĂ©tĂ©s par actions, Laval, Les Presses de l’UniversitĂ© Laval, 1994, p. 25.
66 Id.
67 J. Turgeon, préc., note 8, p. 416.
68 Id., p. 413.
69 Houle c. Banque Canadienne Nationale, préc., note 53.
70 J. Turgeon, préc., note 8, p. 413.
71 Houle c. Banque Canadienne Nationale, préc., note 53.
72 P. Martel, préc., note 54, p. 215.
73 J. Turgeon, préc., note 8, p. 422.
74 P. Martel, préc., note 54, p. 216.
75 Id.
76 Ronald Elwyn Lister Ltd. c. Dunlop Canada Ltd., 1982.
77 P. Martel, préc., note 54, p. 216.
78 Id.
79 Houle c. Banque Canadienne Nationale, préc., note 53, p.25.
80 H. Reid, prĂ©c., note 6, « dĂ©lai raisonnable ».
81 P. Martel, préc., note 54, p. 216.
82 Mister Broadloorn Corporation (7968) Ltd. c. Bank of Montreal, (1980) 32C.B.R. n.s. 241 (Ont. S.C.).
83 P. Martel, préc., note 54, p. 217.
84 Id.
85 Id., p. 218.
86 Pole Lite Ltée c. Banque provinciale du Canada, [1984] C.A. 170.
87 Id.
88 Houle c. Banque Canadienne Nationale, préc., note 53.
89 J. Turgeon, préc., note 8, p. 414.
90 Salomon c. A. Salomon and Co, préc., note 11.
91 Silverman c. Heaps, [1967] C.S. 536.
92 Houle c. Banque Canadienne Nationale, préc., note 53.
93 Id.
94 J. Turgeon, préc., note 8, p. 414.
95 Houle c. Banque Canadienne Nationale, préc., note 53.
96 Id.
97 Id.
98 Id.
99 Id.
100 Houle c. Banque Canadienne Nationale, préc., note 53.
101 Id.
102 Id.
103 Id.
104 Brunette c. Legault Joly ThIffault, s.e.n.c.r.l., préc., note 12, par. 4.
105 Id., par. 9.
106 Id., par. 30.
107 Vincent CĂ©rat Lagana et Maria Braker, « La Cour suprĂȘme rappelle la distinction entre le droit d’action d’un actionnaire et celui de la sociĂ©tĂ© », Fasken, Bulletin Litiges et rĂ©solution de conflits, 20 dĂ©cembre 2018.
108 Brunette c. Legault Joly ThIffault, s.e.n.c.r.l., préc., note 12, par. 6.
109 Id.
110 Id. par. 37.
111 Ejan Mackaay, « Les notions floues en droit ou l’Ă©conomie de l’imprĂ©cision », dans Langages, 1979, MontrĂ©al, FacultĂ© de droit, no53 pp. 33-50: p.35.
112 Raymonde CRÊTE, «Les concepts flexibles et le contrĂŽle des abus en droit quĂ©bĂ©cois des sociĂ©tĂ©s par actions», dans S.F.P.B.Q., vol. 231, DĂ©veloppements rĂ©cents sur les abus de droit, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005: p. 131, Ă  la p. 169: 136.
113 Id.
114 Id.
115 E. Mackaay, préc., note 111, p. 40.
116 Id.
117 R. CrĂȘte, prĂ©c., note 112, p. 168.
118 Id.
119 Id.
120 R. CrĂȘte, prĂ©c., note 112, p. 168.
121 E. Mackaay, préc., note 111, p. 35.
122 Id.
123 E. Mackaay, préc., note 111, p. 35.
124 H. Reid, prĂ©c., note 6, « intĂ©rĂȘt ».
125 Id.
126 Brunette c. Legault Joly ThIffault, s.e.n.c.r.l., préc., note 12, par. 12.
127 Id.
128 Jeunes Canadiens pour une civilisation chrétienne c. Fondation du Théatre du Nouveau-Monde, [1979] C.A. 491.
129 Id., p. 493.
130 Denis Ferland et BenoĂźt Emery, « PrĂ©cis de procĂ©dure civile du QuĂ©bec », 5e Ă©d., vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015, p. 369.
131 Pierre Verge, « La recevabilitĂ© de l’action d’intĂ©rĂȘt public », (1983), C. de D., ÉgalitĂ© juridique des langues, 24(1), 177-184, p. 183.
132 Brunette c. Legault Joly ThIffault, s.e.n.c.r.l., préc., note 12, par. 16.
133 Jeunes Canadiens pour une civilisation chrétienne c. Fondation du Théatre du Nouveau-Monde, préc., note 128, p. 494.
134 NoĂ«l c. SociĂ©tĂ© d’Ă©nergie de la Baie James, 2001 CSC 39.
135 Id., par. 37.
136 Id.
137 Morin Gonthier c. Bernstein, 2018 QCCA 795, par. 17.
138 Id.
139 Option Consommateurs c. Banque Canadian Tire 2006 QCCS 5363, par. 47.
140 Morin Gonthier c. Bernstein, préc., note 138, par. 17.
141 Id.
142 Brunette c. Legault Joly ThIffault, s.e.n.c.r.l., préc., note 12, par. 14.
143 Id.
144 FrĂ©dĂ©ric PĂ©rodeau, «Le sort rĂ©servĂ© Ă  la rĂ©clamation d'un actionnaire pour la perte de valeur de ses actions: une revue de la jurisprudence quĂ©bĂ©coise», dans S.F.C.B.Q., vol. 255, Les dommages en matiĂšre civile et commerciale, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2006, p. 1, Ă  la p. 65: p. 36.
145 Brunette c. Legault Joly Thiffault, s.e.n.c.r.l., préc., note 12, par. 80.
146 F. Pérodeau, préc., note 144, p. 36.
147 Houle c. Banque Canadienne Nationale, préc., note 53, p. 186.
148 Brunette c. Legault Joly Thiffault, s.e.n.c.r.l., préc., note 12, par. 31.
149 Id., par. 83.
150 Id., par. 80.
151 Id., par. 83.
152 Brunette c. Legault Joly Thiffault, s.e.n.c.r.l., préc., note 12, par. 84.
153 J. Turgeon, préc., note 8, p. 422.
154 Option Consommateurs c. Banque Canadian Tire, préc., note 139, par. 47.
155 NoĂ«l c. SociĂ©tĂ© d’Ă©nergie de la Baie James, prĂ©c., note 134, par. 38.
156 Jeunes Canadiens pour une civilisation chrétienne c. Fondation du Théatre du Nouveau-Monde, préc., note 129, p. 493.
157 Brunette c. Legault Joly Thiffault, s.e.n.c.r.l., préc., note 12, par. 64.
158 MĂ©lanie Samson et Marianne Perreault, « La prĂ©somption de l’effet utile », UniversitĂ© Laval, FacultĂ© de Droit, Chaire de rĂ©daction juridique Louis-Philippe-Pigeon, 2017.
159 « Loi d’interpretation », RLRQ, c. I-16, art. 41.1.
160 H. Reid, prĂ©c., note 6, « manifeste ».
161 Alain Rey, « Le grand Robert de la langue française », 2e Ă©d., Paris, Dictionnaires le Robert, 2001, « manifeste », p. 1139.
162 Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33.
163 Id., par. 5.
164 Id., par. 20.
165 Brunette c. Legault Joly Thiffault, s.e.n.c.r.l., préc., note 12, par. 18.
166 Id., par. 19.
167 GeneviĂšve Cartier, « Le contrĂŽle de l’exercice du pouvoir discrĂ©tionnaire : le difficile passage de la thĂ©orie Ă  la pratique » dans ConfĂ©rence des juristes de l'État, Actes de la XVIe ConfĂ©rence des juristes de l'État, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004, p. 187-215 : p. 192.
168 Id., p. 188.
169 Id., p. 189.
170 Fanous c. Gauthier, 2018 QCCA 203, par. 21.
171 GeneviĂšve Cartier, « Le principe de prĂ©caution et la dĂ©fĂ©rence judiciaire en droit administratif », (2002), C. de D., 43(1), 79-101: 83.
172 Brunette c. Legault Joly Thiffault, s.e.n.c.r.l., préc., note 12, par. 68.
173 Id.
174 Canada (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux, 2014 CSC 49.
175 Brunette c. Legault Joly Thiffault, s.e.n.c.r.l., préc., note 12, par. 55.
176 Id., par. 105.
177 Id.
178 Brunette c. Legault Joly Thiffault, s.e.n.c.r.l., préc., note 12, par. 48.
179 Id., par. 105.
180 Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, par. 23.
181 Brunette c. Legault Joly Thiffault, s.e.n.c.r.l., préc., note 12, par. 48.
182 Hryniak c. Mauldin, préc., note 180.
183 Id., par. 23.
184 Id.
185 Id., par. 28.
186 Id., par. 24.
187 Id., par. 21.
188 Id., par. 24.
189 Id.
190 R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42.
191 R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, préc., note 190, par. 19.
192 Id.
193 Beaulieu c. Laflamme,2011 QCCA 1909.
194 Id., par. 9.
195 White c. Green, 2016 QCCS 5118.
196 Pierre Larousse, « Petit dictionnaire », 3e Ă©d., Paris, Éditons Larousse, 2008, « Attentisme », p. 556.
197 Beaulieu c. Laflamme, préc., note 194, par. 9.
198 Houle c. Banque Canadienne Nationale, préc., note 53, p. 178.