En Ontario, quatre avocats sur cinq feront l’objet d’une poursuite pour faute professionnelle au moins une fois durant leur carrière. Ce risque n’est pas prĂ©sent qu’en Ontario : partout au pays, des avocats sont rĂ©gulièrement menacĂ©s de poursuites de ce genre. C’est pour cela qu’au Canada, les barreaux et les chambres de commerce exigent que chaque membre en pratique privĂ©e souscrive une assurance responsabilitĂ© professionnelle d’au moins un million de dollars.
Cette règle n’admet aucune exception : « Tout avocat canadien en pratique privĂ©e est protĂ©gĂ© par une assurance de ce type sous une forme ou une autre; c’est obligatoire », explique Dan Pinnington, vice-prĂ©sident, prĂ©vention des rĂ©clamations et relations avec les intervenants de LawPRO (Lawyers’ Professional Indemnity Company), une compagnie qui assure les avocats en Ontario.
« Les primes annuelles varient beaucoup : de 1 395 $ au Manitoba Ă 3 900 $ en Alberta », prĂ©cise Su Forbes, directrice du fonds d’assurance des avocats de la Law Society of British Columbia. La prime est de 1 750 $ en Colombie-Britannique, contre 3 350 $ plus la TVP de 5 % en Ontario. LawPRO offre toutefois un rabais de 50 % aux avocats Ă leur première annĂ©e d’exercice.
Pour l’avocat dĂ©butant devant faire une foule de dĂ©penses liĂ©es au dĂ©marrage de sa carrière, ces primes peuvent sembler un boulet Ă traĂ®ner, voire un incitatif aux poursuites contre lui.
« En effet, certains estiment qu’avec l’assurance obligatoire, des clients peuvent avoir la gâchette facile, convient Mme Forbes. En revanche, mĂŞme si certaines poursuites s’avèrent infondĂ©es, les clients qui prouvent une vĂ©ritable faute professionnelle ont droit Ă une juste compensation; c’est important. »
L’assurance responsabilitĂ© professionnelle indemnise les avocats pour les pertes qu’une nĂ©gligence de leur part cause Ă un client, protĂ©geant leur patrimoine personnel tout en garantissant le dĂ©dommagement du client. Mme Forbes rappelle aussi que les barreaux offrent des ressources complètes de gestion du risque qui aident leurs membres Ă prĂ©venir plutĂ´t que guĂ©rir.
La plupart des avocats canadiens finissent par ĂŞtre poursuivis pour faute professionnelle, mĂŞme si l’action est parfois sans fondement. Cette rĂ©alitĂ© amène Ă s’interroger : pourquoi est-ce ainsi?
RĂ©ponse simple : l’erreur est humaine. Et mĂŞme en l’absence d’erreur, il arrive qu’un avocat soit poursuivi simplement parce que son client est mĂ©content d’avoir perdu sa cause ou trouve la facture trop salĂ©e. Car blâmer son avocat pour un tour d’Ă©vĂ©nements malheureux ou inattendu, ça aussi, c’est humain.
LawPRO, qui débourse quelque 90 millions de dollars par année en dommages-intérêts et frais de défense associés à des poursuites pour faute professionnelle en Ontario, a sérieusement étudié ce qui cause les erreurs ou omissions des avocats.
Pour M. Pinnington, la cause principale – Ă l’origine du tiers des poursuites –, ce sont les erreurs de communication entre l’avocat et le client. Le plus souvent, l’avocat a mal suivi ou semble avoir mal suivi les instructions du client, ou bien il s’agit d’un malentendu; il s’agit parfois mĂŞme d’une absence de communication.
L’erreur peut rĂ©sider par exemple dans la rĂ©daction d’un testament « qui ne reflète pas les vĂ©ritables volontĂ©s du testateur », fait remarquer Mme Forbes. « Les causes en sont nombreuses : omission d’Ă©valuer l’ensemble du patrimoine et des droits de propriĂ©tĂ©; omission de dĂ©terminer tous les bĂ©nĂ©ficiaires; omission de vĂ©rifier si le testateur n’agissait pas sous la contrainte ou une influence indue; ou bien c’est une erreur de rĂ©daction, comme l’oubli d’ajouter une clause concernant le reliquat. »
M. Pinnington rappelle une autre erreur frĂ©quente : l’omission d’obtenir le consentement du client avant d’accomplir un acte ou de tenir celui‑ci dĂ»ment informĂ©.
Et n’oublions pas les erreurs qui surviennent malgrĂ© une bonne communication.
« Il arrive très souvent qu’un avocat ne puisse poursuivre un tiers au nom du client faute d’avoir respectĂ© une prescription ou une Ă©chĂ©ance, explique Mme Forbes. C’est parfois par ignorance de la prescription, mais le plus souvent, c’est par dĂ©faut de tenir un agenda adĂ©quat. Il peut aussi s’agir d’une prescription ou d’une Ă©chĂ©ance faisant partie d’un dossier et qui passe sous le radar. »
Ajoutez Ă cela les cas oĂą la communication de la preuve a Ă©tĂ© mal menĂ©e, oĂą l’avocat mĂ©connaissait le droit applicable Ă l’affaire, oĂą il y a conflit d’intĂ©rĂŞts, oĂą s’est glissĂ©e une erreur d’Ă©criture… On le constate, nombreux sont les Ă©cueils, et mĂŞme l’avocat le mieux organisĂ© et le plus consciencieux peut faire des erreurs… ou ĂŞtre injustement accusĂ©.
Compte tenu de cette Ă©pĂ©e de Damoclès, l’assurance responsabilitĂ© professionnelle est indispensable. Or, dans le monde judiciaire d’aujourd’hui, une protection d’un million de dollars risque d’ĂŞtre insuffisante pour un avocat qui traite des transactions ou des litiges avec des millions en jeu. C’est pourquoi la Law Society of Alberta recommande Ă ces avocats de contracter une assurance offrant une garantie supĂ©rieure.
En fait, c’est monnaie courante au Canada. « La clef, explique M. Pinnington, c’est d’Ă©valuer soigneusement le niveau de risque inhĂ©rent Ă votre pratique. Si les protections minimales obligatoires sont offertes par les fournisseurs habituels, l’avocat en pratique privĂ©e peut se munir d’une protection additionnelle auprès d’un autre assureur. »
Tout mettre en Ĺ“uvre pour prĂ©venir les erreurs de communication et les autres erreurs ou omissions peut rĂ©duire votre risque d’ĂŞtre poursuivi par un client. Mais si vous ĂŞtes malgrĂ© tout traĂ®nĂ© devant un tribunal, l’assurance responsabilitĂ© peut sauver votre carrière et votre compte en banque; tous les efforts et l’argent investis dans votre diplĂ´me valent bien cette protection.
James Careless est un contributeur régulier à EnPratique.