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La réintégration du juge Camp dans la profession remet en question les récits de repentir

15 juin 2018

La récente décision du Barreau de l’Alberta de réintégrer l’ancien juge Camp est inquiétante. Me Camp a fait une série de commentaires tout à fait odieux et sexistes dans le cadre de l’audition d’un dossier portant sur une agression sexuelle (y compris, notamment, le fait d’appeler la victime « l’accusée » et de dire que les relations sexuelles et la douleur [traduction] « sont parfois concomitantes ». Il semble qu’une personne qui nourrit de telles opinions ne pourrait être un fonctionnaire judiciaire, et encore moins un juge, approprié. Et pourtant, voici qu’il est de nouveau accueilli dans le système, en tant qu’avocat. En cette qualité, il traitera avec des personnes de tous les sexes, malgré qu’en tant que juge, il a fait preuve d’idées sexistes excédant la normale.

Il est toutefois difficile de dénier à Me Camp sa chance d’exercer alors qu’il semble avoir fait de tels efforts pour entrer dans l’ère contemporaine. En notre qualité de juristes, nous sommes sensibles aux récits de repentir, et cela semble en être un. Me Camp connaît les préjudices qu’il a causés. Il a changé. Il ne fait plus fi des difficultés vécues par les femmes tant au sein de sa propre profession qu’en celui de la société en général. Bien qu’il ait réussi à passer des décennies en tant que magistrat sans percevoir l’énorme vague de changements juridiques et sociaux liés à la question du consentement ni les évolutions du droit en matière de viol, la thérapie et la formation ont corrigé tout cela. Il « comprend » désormais véritablement. Il a, selon ses dires, encore cinq à dix bonnes années d’exercice du droit devant lui. Ce qu’il fera dans un cabinet privé, loin de la magistrature.

Pourtant, pour un grand nombre d’entre nous (particulièrement les femmes), les aspects inquiétants de cette décision ternissent le récit de repentir. Nous exerçons quotidiennement parmi des hommes sexistes et nombre d’entre nous n’aiment pas l’idée qu’il soit acceptable d’être sexiste (bon d’accord sexiste repenti) et de continuer à exercer le droit. Le sexisme auquel nous faisons généralement face n’est pas aussi manifestement évident que lorsqu’un juge demande pourquoi ne pas avoir tout simplement serré les genoux alors qu’on nous violait, mais il n’en demeure pas moins courant dans la profession. Il est discret. Il est systémique. Il est ciblé. Il revêt la forme de l’exclusion de conversations, de présumées capacités inférieures, de l’omniprésent « plafond de verre ». Il s’agit de situations plus vastes telles que le manque de garderies sur les lieux du travail dans les grands cabinets urbains, et des tentatives dérisoires pour faire miroiter une situation d’associée aux femmes lorsqu’« associée » ne se décline que sur le modèle masculin (c’est-à-dire, ne vivez plus que pour votre cabinet). Il s’agit de situations plus pointues telles que le rare mais réel survivant d’un autre âge qui présume automatiquement en vous voyant arriver à une conférence de règlement que vous être « la secrétaire » ou qui, juste à la fin d’une discussion téléphonique avec vous sur les dossiers que vous accepterez, vous dit qu’il pense que votre voix est très « sexy » et vous propose de dîner avec lui un de ces jours.

Le groupe chargé de trancher sur la réintégration devait répondre à la question de savoir si le public ferait confiance à la profession si Me Camp était autorisé à exercer de nouveau. Le public ne va peut-être pas remarquer un avocat sexiste, mais nous, les femmes, ne manquerons pas de le faire. L’avocat de Me Camp a fait remarquer que les actes de son client avaient révélé [traduction] « un manque de sensibilité et de connaissances » mais qu’ils « ne prouvaient ni une absence de bonne moralité ni un manque d’honnêteté ni tout autre comportement inadmissible ». Pourquoi le manque de sensibilité et de connaissances n’est-il pas acceptable au sein de la magistrature, mais acceptable pour ceux qui exercent le droit?

Il semble n’être que justice que Me Camp, ayant tiré certains enseignements personnels de l’affaire, ait une deuxième chance. Il ne fait aucun doute que nous lui souhaitons tous le plus grand des succès dans ses nouvelles capacités. Cependant, nous ne pouvons nous empêcher d’être quelque peu cyniques. Après tout, s’il n’a pas véritablement changé de point de vue, ce sera un avocat sexiste de plus. Il est plus que probable que dans notre contexte de l’exercice du droit, Me Camp se sentira comme un poisson dans l’eau.

Diane Baker Mason est avocate à la retraite et romancière