Une professionnelle qui tient à sa vie privée

01 juin 2021

Chère Advy,

Je suis dans la trentaine avancée et j’exerce principalement le droit fiscal dans un grand cabinet. Bien que célibataire, je reçois un traitement pour la fertilité, et ce, sans que personne dans ma vie professionnelle ne le sache. Le hic, c’est que le traitement est extrêmement stressant. Je dois constamment me rendre à des rendez-vous pour faire des analyses sanguines et consulter des médecins. Honnêtement, les hormones que je prends me rendent émotive et me donnent des sautes d’humeur. Je ne m’inquiète pas quant à ma capacité à prodiguer de bons conseils juridiques, mais je ne suis pas moi-même, et cela se voit. Mon assistante semble inquiète à mon sujet, et j’ai l’impression que mes courtes, mais fréquentes absences sont une source de frustration pour l’un des associés principaux avec qui je travaille en proche collaboration. J’ai à cœur de protéger ma vie privée, mais je me passerais bien du stress supplémentaire que garder ce secret me cause. Que devrais-je faire?

Merci d’avance,
Une professionnelle qui tient à sa vie privée


Chère professionnelle qui tient à sa vie privée,

Autant vous prévenir : il y a certaines choses que vous ne trouverez pas dans ma réponse.

  • Je ne vous donnerai aucun conseil sur comment faire face au stress et à l’instabilité émotionnelle que vous décrivez. Votre lettre me porte à croire que la manière dont vous gérez tout cela vous convient. D’après ce que je comprends, c’est la réaction potentielle des autres qui vous inquiète.
  • Je ne vous donnerai aucun conseil juridique quant à vos droits en tant qu’employée ou associée. Vous dites exercer dans un grand cabinet. Je présume donc que vous avez accès, à l’interne ou à l’externe, à des renseignements concernant votre droit au respect de votre vie privée et à un traitement convenable par votre employeur.
  • Je passerai sous silence le fait qu’il incombe à votre cabinet de gérer la situation de manière appropriée. C’est vous, et non votre cabinet, qui avez demandé conseil, par conséquent c’est à vous que je prodigue les conseils, mais sachez que vous n’avez pas à porter ce fardeau seule.

Je suis en outre consciente des limites des conseils que je peux prodiguer dans une chronique. Il y a bien sûr bon nombre de choses que je ne sais pas à propos de vous et que je ne peux pas vous demander. C’est l’une des maintes bonnes raisons pour lesquelles vous devriez communiquer avec vos représentants locaux du Programme d’aide aux juristes et établir une relation avec un conseiller qui pourra vous aider. L’avenir pourrait vous réserver bien des difficultés : vous seriez bien avisée de vous adjoindre de l’aide pour y faire face.

Ouf! Ça fait beaucoup de mises en garde. C’est à croire que nous sommes entre juristes ici…!

Les gens avec lesquels vous travaillez méritent qu’on les éclaire un peu sur ce qui vous arrive. Vous dites ne pas être vous-même et que cela se voit. Ils méritent d’être informés du fait que vous avez un problème médical ou que vous suivez un traitement, du temps que cela pourrait durer, et de la probabilité que cela soit permanent plutôt que temporaire. Ils doivent savoir ce qu’il faut raisonnablement savoir pour gérer les affaires du cabinet et faire leur travail… et c’est tout. Ils n’ont pas besoin de connaître les raisons du traitement ou ce qui se passe lors de vos rendez-vous médicaux.

Dans le domaine des relations publiques, on dit souvent que mieux vaut devancer les questions plutôt que d’attendre qu’on vous demande une explication. Il est important d’agir en amont, car c’est très probablement sur la première explication entendue ou lue que les gens fondent leur opinion. Ne laissez pas à la merci de l’imagination de vos collègues l’explication de ce changement dans vos réactions et de vos absences du travail. Il pourrait s’avérer utile de demander à votre médecin traitant une lettre confirmant que vous suivez un traitement médical qui pourrait modifier votre humeur et vous stresser, que le pronostic est bon, et que le traitement est à court terme. Si le médecin peut être encore plus précis sur ce dernier point, c’est encore mieux puisque la question que vos collègues vont probablement vous poser est : « Combien de temps cela va-t-il durer? ».

Vous devriez parler à deux personnes (ou catégories de personnes) :

  1. Votre assistante. Elle joue un rôle essentiel dans votre pratique et sera pour vous une alliée importante pour faire face à la situation. Si vous voulez conserver une bonne relation professionnelle avec votre assistante, vous devez lui donner cette explication partielle. Encore une fois, point n’est besoin d’en faire votre confidente. Il suffit de lui donner les renseignements que vous aimeriez recevoir si les rôles étaient inversés.
  2. Une personne qui a des pouvoirs de décision au sein du cabinet. Ce sera quelqu’un qui peut comprendre au moins les grandes lignes de ce que vous vivez et qui peut éviter les conséquences indésirables. En fonction de la structure de votre cabinet, ce peut être une seule personne, ou encore un associé principal et un membre du personnel des ressources humaines. Peut-être n’aurez-vous pas besoin d’alliés au sein de la direction de votre cabinet, mais leur soutien pourrait s’avérer des plus précieux. Donnez dès maintenant à ces personnes les moyens de vous aider plus tard, si besoin est.

Si vous êtes tentée de remettre ces conversations au lendemain, posez-vous ces deux questions :

  1. Que pourrait-il arriver, au pire, si je le fais?
  2. Quel est le coût de mon inaction?

Assurez-vous d’y réfléchir lorsque vous vous sentirez en sécurité et aussi détendue que possible. Le pire des cas? Votre cabinet pourrait mettre un certain frein à votre carrière. Et si vous ne faites rien? Il va probablement y avoir des spéculations sur les causes des changements dans votre attitude, et ces spéculations seront probablement plus dommageables et restrictives pour votre carrière que la révélation de la vérité ne le sera jamais. Vous n’avez pratiquement rien à perdre et beaucoup à gagner en donnant à vos collègues une explication, certes partielle, mais véridique, de ce qui se passe.

Prenez bien soin de vous,
Advy