Lorsque le gouvernement fédéral a présenté son budget le 22 mars, l’ABC y a découvert un grand nombre de mesures positives, plus une bombe qui pourrait bien changer l’exercice du droit, quel qu’en soit le domaine, et profondément nuire à l’accès à la justice.
Le gouvernement y annonçait, dans un chapitre consacré à l’équité fiscale, son intention d’« [É]liminer la possibilité, pour un groupe limité de professionnels, de recourir à la méthode de comptabilité fondée sur la facturation aux fins de l’impôt sur le revenu pour éviter d’accorder à ces professionnels un report d’impôt non offert aux autres contribuables ».
Ce « groupe limité » inclut les comptables, dentistes, médecins, chiropraticiens, vétérinaires, et bien sûr, les avocats et avocates. La mesure proposée pourrait signifier que les juristes pourraient désormais être taxés sur le travail en cours, soit des revenus qui pourraient ne pas être perçus avant parfois des années, voire jamais, ou qui sont trop flous pour être quantifiés d’avance.
L’ABC a immédiatement réagi en adressant une lettre au premier ministre Justin Trudeau et à la ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, notamment, pour exprimer ses préoccupations concernant ce que cette mesure pourrait signifier pour les membres de l’Association qui se fient aux honoraires conditionnels et aux arrangements de paiement différé, et surtout, ce que cela signifierait pour les clients qui, dans toute autre situation, ne pourraient pas s’offrir les services d’un avocat. Ce qui a peut-être semblé aux fonctionnaires du ministère des Finances comme l’élimination d’une échappatoire fiscale pourrait s’avérer constituer un obstacle à l’accès à la justice.
Dans ses diverses publications, l’Association a en outre demandé à ses membres de lui faire part de leurs commentaires sur les répercussions que pourrait avoir cette mesure. Nous avons reçu un nombre inégalé de réponses; toutes contenant des messages semblables.
- Un juriste spécialité en droit de la famille affirme : « l’avocat accumule une quantité importante de travaux en cours qu’il ne peut raisonnablement facturer parce qu’il a convenu avec le client que le montant ne serait exigible qu’après la réalisation des actifs et le règlement des réclamations ».
- Selon un juriste spécialisé en droit des Autochtones, « (de nombreux clients) ne sont pas en mesure de payer d’emblée leur représentation en justice, et une entente sur des honoraires conditionnels n’est pas non plus une solution viable, car les mesures de redressement contre la Couronne pour les frais et dépens tendent à être déclaratoires ».
- Un juriste spécialisé en droit pénal ajoute : « Il n’est pas rare que le programme (d’aide juridique) coupe dans le temps prévu pour un dossier, et du coup, rogne ma facture. […] c’est un exercice purement théorique que d’évaluer ses travaux en cours comme s’il s’agissait d’heures réellement facturées, et encore plus comme des revenus concrets ».
Armée de ces réponses et des commentaires de la Section du droit fiscal de l’ABC, l’Association a entamé des pourparlers avec des députés et avec des fonctionnaires des ministères des Finances et de la Justice.
L’ABC a remporté une première victoire lorsque l’Agence du revenu du Canada a confirmé que la mesure budgétaire proposée n’entraînerait pas de conséquences dans le cas des ententes concernant les honoraires conditionnels.
La disposition sur la comptabilité fondée sur la facturation ne faisait pas partie de la première loi de mise en œuvre du budget, ce qui signifie que le Parlement n’en débattra probablement pas avant l’automne. En attendant, le président René Basque a adressé une lettre au ministre des Finances, Bill Morneau, dans laquelle il énumère les préoccupations que suscite la mesure proposée, plus précisément le fait qu’elle pourrait nuire à l’accès à la justice en dissuadant les juristes d’accepter de représenter les personnes qui ne sont pas en mesure de payer les services au moment où elles les requièrent, et le fait que la période de mise en œuvre est beaucoup trop courte. La lettre contient les recommandations suivantes :
- que le gouvernement précise que la proposition d’abolir la méthode de comptabilité fondée sur la facturation sera sans conséquence pour trois types d’ententes de paiement – les ententes classiques d’honoraires conditionnels, les ententes de facto sur des honoraires conditionnels et les ententes de paiement différé;
- que la Loi de l’impôt sur le revenu énonce clairement les principes s’appliquant à la comptabilisation des travaux en cours;
- que la proposition d’éliminer la comptabilité fondée sur la facturation soit mise en œuvre sur cinq à sept ans;
- qu’une exception de minimis soit prévue pour les petites entreprises juridiques comme solution pratique qui exclurait les cas où les exigences de conformité et les frais d’administration seraient exagérés par rapport aux recettes fiscales prévues.
Le Comité mixte sur la fiscalité de l’ABC et de CPA Canada a également soumis un mémoire qui examine la proposition du point de vue technique.
Nous allons poursuivre nos efforts auprès des ministères des Finances et de la Justice et nous vous tiendrons immédiatement au courant de toute nouvelle évolution de la question.