L’arrêt R.M. v. J.S., rendu par la Cour d’appel de l’Alberta en décembre 2013, laisse entendre que dans les demandes relatives à la Convention de La Haye, la défense doit s’acquitter d’un important fardeau de la preuve si elle veut invoquer l’article 13 et l’objection de l’enfant à rentrer dans son pays. Il fournit également des indications sur l’admissibilité de la preuve de la maturité et du bien-fondé de l’objection de l’enfant dans ce type de dossier, et plus généralement sur la manière de présenter l’opinion et les préférences de l’enfant dans les dossiers de droit de la famille en Alberta.
La décision de la Cour d’appel
Les parents étaient des Palestiniens musulmans vivant à Jérusalem Est. Ils s’étaient mariés, avaient eu un fils, puis s’étaient séparés. Ils se sont, par la suite, divorcés devant le tribunal de la charia de Jérusalem. Aucune clause n’a été prévue pour déterminer la garde de l’enfant, mais il était admis que la garde revenait de facto à la mère. Le père immigra à Calgary, tandis que la mère et le fils restèrent à Jérusalem. Il était entendu que le fils irait passer ses étés avec son père. Au terme d’un tel séjour estival, le père omit de renvoyer son fils, alors âgé de 9 ans, chez sa mère à Jérusalem Est. La mère déposa alors une demande en vertu de la Convention de La Haye pour faire revenir le garçon.
Lors du procès, les deux parents déposèrent des déclarations sous serment. Le tribunal nomma un avocat pour représenter les intérêts de l’enfant. Dans ses observations, l’avocat rapporta qu’après avoir interrogé l’enfant à deux occasions, utilisant un questionnaire qui lui avait été fourni par un éminent pédopsychologue de Calgary, il avait conclu que l’enfant (maintenant âgé de 10 ans) s’opposait à son retour à Jérusalem Est et qu’il avait l’âge et la maturité requis pour qu’on doive tenir compte de son opinion en vertu de l’article 13 de Convention de La Haye.
En outre, l’avocat avait conclu que le garçon ne faisait pas l’objet d’un abus d’autorité de la part de son père et qu’il était (traduction) « mature pour son âge, éveillé et s’exprimait clairement lorsqu’il décrivait ses préoccupations à l’égard de son retour en Israël », où, en tant que jeune arabe, il disait être victime d’intimidation. L’avocat rapporta que le garçon disait se sentir appartenir à une minorité et intimidé par « le nombre de tueries et de bagarres qui surviennent sans arrêt », ajoutant que « les juifs de Jésuralem sortent leurs fusils pour intimider les non-juifs ». En audience, les avocats de l’enfant et du père firent valoir tant « le risque grave » que « les objections de l’enfant ». Le juge reconnut qu’on avait retenu l’enfant de manière illicite. Il rejeta l’argument du risque grave, mais accepta l’argument de l’objection de l’enfant. En conséquence, il rejeta la demande de la mère. Celle-ci porta l’affaire devant la Cour du Banc de la Reine, qui fit preuve de réserve à l’égard des conclusions du juge de première instance et rejeta l’appel.
En décembre 2013, la Cour d’appel de l’Alberta accueillit le pourvoi et ordonna que l’enfant soit retourné « sur-le-champ » à sa mère à Jérusalem. Elle cita l’arrêt Den Ouden v. Laframboise qu’elle avait rendu en 2006 sur le cas de deux enfants âgés de 14 et 10 ans qui ne voulaient pas retourner en Hollande parce qu’ils aimaient leur nouvelle école et leurs nouveaux amis en Alberta. Elle avait alors ordonné leur retour, déclarant (traduction) :
Ces sentiments sont tout à fait compréhensibles et naturels. La mère a continué à se consacrer à leurs soins et s’est bien occupée des enfants. Exercer le pouvoir discrétionnaire reconnu à la Cour par l’article 13 pour donner effet aux sentiments des enfants qui se retrouvent dans une telle situation serait toutefois contraire à l’objectif fondamental de la Convention de La Haye. En effet, d’autres parents seraient amenés à croire qu’ils peuvent enlever leurs enfants, s’installer dans un autre pays, puis compter sur le consentement de leurs enfants pour éviter d’avoir à les renvoyer dans le pays où leur garde et leur lieu de résidence devraient être décidés. Nous ne pouvons encourager un tel comportement.
Dans R.M. v. J.S., la Cour d’appel exprima sa préoccupation à l’égard du fait que le juge de première instance (traduction) :
semble avoir considéré l’objection de l’enfant comme déterminante. Il a conclu que l’objection de l’enfant n’avait fait l’objet d’aucune contrainte ni d’aucune influence abusive, mais les éléments de preuve sur lesquels il s’est fondé pour arriver à cette conclusion sont absents de sa décision. Nous sommes en outre préoccupés du fait qu’à partir d’une analyse de l’objection de l’enfant, qui concerne les préférences et les espoirs de celui-ci, le juge de la Cour provinciale s’est formé une opinion de l’intérêt supérieur de l’enfant. Le principe général de la Convention est que les tribunaux des nations signataires sont habilités à évaluer les intérêts supérieurs de l’enfant. Autrement dit, les buts et les principes généraux de la Convention de La Haye semblent avoir été outrepassés, et ce, en l’absence de preuve suffisante […].
Bien que préoccupée des conclusions du juge de première instance, la Cour d’appel a été surtout préoccupée du fait que ces conclusions reposaient sur les observations de l’avocat de l’enfant et non sur le témoignage d’un professionnel de la santé mentale. Selon la Cour, l’avocat de l’enfant n’avait
pas fourni au tribunal de preuve suffisante pour lui permettre d’évaluer la maturité de l’enfant, ni pour lui permettre d’évaluer l’opinion de l’enfant si celui-ci avait été évalué suffisamment mature pour que son opinion compte. Nous ne critiquons pas ici l’avocat de l’enfant, dont le rôle était de le représenter. […] L’avocat, bien que versé dans le droit, n’avait toutefois pas fait la preuve qu’il possédait l’expertise nécessaire pour comprendre et analyser les pensées d’un jeune enfant.
Voyez l'article en anglais pour la version complète (uniquement en anglais).
À propos des auteurs
Nicholas Bala est professeur à la Faculté de droit de l’Université Queen’s, spécialisé en droit de la famille et de l’enfance. Max Blitt, c.r., avocat chez Spier Harben, à Calgary, représentait l’enfant dans l’affaire R.M. v. J.S.