Vous ne savez pas ce que vous manquez

23 août 2023

(a). Introduction

Beaucoup de contrats contiennent une clause de non-responsabilité interdisant le recouvrement de dommages-intérêts consécutifs en cas de violation. Ce terme technique est devenu tellement omniprésent qu’on pourrait oublier de s’interroger sur son sens. Si vous prenez le temps d’y réfléchir, vous vous apercevrez peut-être qu’il n’est pas facile à définir.

Et si un contrat risque d’être interprété dans un litige, autant d’ambiguïté et d’incertitude seront cause d’ennuis. Dans cet article, nous verrons la définition généralement acceptée du terme « dommages-intérêts consécutifs » et comment limiter la confusion et le risque lors de la rédaction d’un contrat.

(b). Qu’entend-on exactement par « dommages-intérêts consécutifs »?

Pour les négociateurs, négociatrices et les gens d’affaires, les dommages-intérêts « normaux » sont souvent considérés comme la différence entre la valeur marchande des biens ou services à fournir au titre du contrat et la valeur de ce qui a réellement été fourni. Par exemple, si une partie vendeuse s’est engagée à remettre 100 gadgets logiciels, mais n’en a livré que 80, la partie acheteuse aurait « normalement » droit à la valeur de 20 gadgets. Les dommages-intérêts consécutifs s’entendent de toute perte (généralement de nature économique) au-delà de cette valeur « normale », comme la perte de profits ou les dépenses engagées1.

La Cour d’appel de l’Alberta a adopté une approche semblable dans l’arrêt Dow Chemical Canada ULC v. NOVA Chemicals Corp portant sur la violation d’un contrat de production d’éthylène. La Cour a affirmé que dans un contrat de livraison de produit, la perte de la valeur correspond au dommage-intérêt direct, tandis que l’excédent est à première vue un dommage consécutif, donc indirect. Elle a ensuite examiné le contrat en question dans son entièreté, à la lumière de ses visées et de son contexte commercial, pour confirmer si les profits en aval de Dow Chemical constituaient bien des dommages-intérêts consécutifs2.

La partie intimée a été jugée responsable de la valeur de l’éthylène qu’elle aurait dû fournir selon ses obligations contractuelles. Néanmoins, compte tenu d’une clause de non-responsabilité en cas de pertes conséquentes, l’intimée n’a pas été tenue de compenser la perte de profits associée à la vente de polyéthylène, le produit final auquel devait servir l’éthylène.

Cependant, la plupart des tribunaux canadiens suivent à la lettre l’illustre jugement Hadley v. Baxendale. Cette affaire, connue des étudiants et étudiantes en droit de tout le pays depuis les 150 dernières années, découlait du manquement, par Baxendale, de livrer rapidement à un réparateur le vilebrequin brisé de la machine à vapeur de Hadley. Comme ce dernier ne pouvait se servir de son moulin sans vilebrequin, il a intenté une poursuite pour obtenir l’équivalent des profits perdus en raison du retard.

Dans sa décision concernant la réclamation de Hadley, la Cour de l’Échiquier de 1854 a déclaré que le recouvrement de dommages-intérêts pour violation de contrat est régi par le principe de la prévisibilité. En un mot, dans la common law, seuls les dommages-intérêts prévisibles sont recouvrables. On peut comparer ce principe à la finalité d’une clause de non-responsabilité, soit contourner cette règle de common law en limitant encore plus la possibilité de recouvrement d’une partie.

Deux types de dommages-intérêts prévisibles sont énoncés dans l’arrêt Hadley :

  • Le premier est [traduction] « le préjudice qui découlerait généralement » d’une affaire semblable. Ces dommages-intérêts sont aujourd’hui fréquemment appelés des dommages-intérêts « directs » ou « généraux », et sont toujours prévisibles.
  • Le second est tout [traduction] « préjudice qui résulterait normalement d’une violation contractuelle » uniquement dans les circonstances particulières des parties. Les dommages-intérêts de cette catégorie sont souvent appelés dommages-intérêts « indirects » ou « particuliers ». Ces dommages-intérêts sont considérés comme prévisibles seulement si les circonstances particulières ayant mené à la perte avaient préalablement été communiquées à l’autre partie3.

Avant l’arrêt Dow Chemical, la plupart des tribunaux canadiens estimaient que les « dommages-intérêts consécutifs » étaient synonymes des dommages-intérêts résultant de « circonstances particulières » de l’arrêt Hadley. Pour déterminer si une perte constitue des « dommages-intérêts consécutifs », un tribunal adhérant à cette approche examinera les faits pour vérifier si la perte résulte de circonstances particulières et non du « cours normal des choses »4.

Cependant, ce ne sont pas tous les tribunaux canadiens qui souscrivent à ce raisonnement. Dans une minorité de cas, les « dommages-intérêts consécutifs » ont été interprétés sous l’angle de la causalité plutôt que de la prévisibilité. Suivant ce cadre, les dommages-intérêts consécutifs correspondent aux pertes n’ayant pas de lien de causalité direct avec la violation originale, habituellement parce qu’elles résultent des dommages-intérêts directs de la violation plutôt que de la violation elle-même5.

(c). La suite

Les différentes approches adoptées pour les dommages-intérêts consécutifs par les tribunaux font naître une incertitude marquée chez les avocats et avocates en négociation d’affaires et leurs clients en ce qui concerne l’interprétation par le tribunal du terme « dommages-intérêts consécutifs » en cas de litige futur sur l’application de la clause de non-responsabilité.

Une rédaction de contrat prudente peut contribuer à limiter les risques d’interprétation judiciaire inattendue. Une solution fiable est de définir clairement les « dommages-intérêts consécutifs » à même le contrat. Il y a lieu d’y décrire avec précision les types de pertes englobées par ce terme. Une autre option est d’omettre le terme entièrement et de le remplacer par un libellé simple détaillant les types de dommages-intérêts expressément compris dans la clause de non-responsabilité. Dans tous les cas, il est préférable d’être proactif en indiquant le sens prévu par les parties pour éviter que les avocats plaidants, les avocates plaidantes et les tribunaux peinent à déchiffrer leur intention à partir du libellé du contrat.


Jason Annibale, associé et Emily Hush, consultante juridique chez McMillan.

Notes de fin

1 Jane Sidnell, E., « Consequential Damages: Are Exclusions of Consequential Damages Inconsequential? », Journal of the Canadian College of Construction Lawyers, 2010, p. 109.

2 Dow Chemical Canada v. Nova Chemicals, 2020 ABCA 320, paragraphes 80 à 82. Malheureusement pour Dow Chemical, en raison de la clause de non-responsabilité, cela signifiait que ses profits en aval n’étaient pas recouvrables.

3 Hadley v. Baxendale (1854), 156 ER 145, [1854] EWHC Exch J70.

4 Voir Learmonth v. Letroy Holdings Inc, 2011 CarswellBC 204, paragraphe 63; voir notamment Fidler c. Sun Life du Canada, 2006 CSC 30 (C.S.C.), paragraphes 52, 54 et 55.

5 Voir, par exemple, Agfaphoto Canada Inc. v. Overwaitea Food Group Ltd., 2008 BCSC 1287, paragraphes 23 à 25. Pour une explication plus détaillée des deux points de vue divergents, voir « The Uncertain Consequences of Waiving Consequential Damages » par John F. Clifford, Charlotte Conlin et Graham Bevans, Revue Canadienne du Droit de Commerce, vol. 63, p. 178, 2020, pages 8 à 14, en ligne.