Quel a été votre cheminement dans le monde du droit et dans la magistrature?
Le 1er juillet 1982, quelques mois après l’entrée en vigueur de la Charte, j’ai commencé mon instruction de base dans les Forces armées canadiennes (FAC). Lorsque j’ai terminé, j’ai fait partie de la troisième classe de femmes de l’histoire du Collège militaire royal du Canada (CMR). Après quatre années d’études, j’ai obtenu un baccalauréat spécialisé en économie et en commerce, et j’ai commencé ma carrière d’officière de la logistique, poste spécialisé dans ce que l’on appelle souvent la gestion de la chaîne d’approvisionnement.
Il va sans dire que, au cours des premières années, les femmes ont été confrontées à une réaction violente par rapport à leur acceptation au CMR et étaient également témoins de la mesure dans laquelle la Charte suscitait des réticences dans le monde militaire. Ces premiers jours de ma carrière m’ont permis de mieux comprendre le comportement humain et d’accroître ma sensibilité aux questions de genre, d’égalité raciale, d’équité et de diversité. J’ai été influencée par ces premières expériences, qui ont orienté l’ensemble de ma carrière professionnelle et m’ont amenée à devenir avocate.
Après l’obtention de mon diplôme, j’ai eu une carrière très enrichissante en tant qu’officière de la logistique spécialisée en approvisionnement, et je me suis intéressée aux questions juridiques découlant d’ententes et de contrats qui faisaient partie intégrante de mon travail. Lorsque je me suis informée sur le programme de parrainage interne des FAC, qui envoie des officiers de service sélectionnés à la faculté de droit, j’ai postulé et j’ai été accepté. J’ai fréquenté la faculté de droit de l’Université Dalhousie. À l’époque, j’étais mère de deux jeunes enfants et j’avais l’impression que c’était le moment idéal pour un tel changement.
Tout en prenant de l’expérience comme conseillère juridique et comme officière au sein des FAC, j’ai eu une carrière exceptionnelle dans les domaines militaire et juridique, et j’ai vécu de nombreuses premières, profitant de formidables possibilités de carrière. Cependant, je me suis également dit que le succès continu requiert une transition et qu’il y a aussi une obligation de redonner. Une citation d’Albert Einstein sur la « vie » est pertinente lorsqu’elle s’applique à une carrière : « C’est comme faire du vélo. Pour maintenir l’équilibre, vous devez sans cesse bouger. »
En apportant du soutien juridique et en prodiguant des conseils au sein du système de justice militaire, je me suis rapidement rendu compte que le rôle d’une juge militaire est unique et polyvalent. Aspect plus important encore, les juges militaires sont la conscience sobre des Forces armées et, grâce à leur indépendance, ils ont la responsabilité de corriger et d’harmoniser le comportement des membres en s’appuyant sur nos valeurs nationales. De plus, les juges militaires remplissent un double rôle, d’abord comme haut-gradés militaires, puis comme juges chargés de trancher des questions débattues en cour martiale. Cela signifie qu’un juge militaire occupe une position unique au sein de deux professions distinctes : la profession des armes et celle de la magistrature.
Reconnaissant que la combinaison de mon expérience militaire et juridique m’ait permis de connaître une carrière si particulière, j’ai vite réalisé que je possédais des qualifications uniques pouvant me permettre d’être nommée juge militaire. Puisque je n’avais rien à perdre, je me suis lancée et j’ai présenté ma candidature. À l’instar de nos homologues fédéraux du système de justice civile, les demandes de nomination au poste de juge militaire sont traitées par le Commissaire à la magistrature fédérale. Le 17 février 2017, j’ai été nommée juge militaire par le gouverneur général en conseil, sur recommandation du ministre de la Défense nationale, conformément à l’article 165.21 de la Loi sur la défense nationale.
Que souhaitez-vous que le public sache au sujet du système de justice militaire?
Dans le cas de R. c. Moriarity, 2015 CSC 55, [2015] 3 R.C.S. 485, la décision du juge Cromwell pour la CSC a confirmé que l’objet du système de justice militaire consiste à maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des forces armées (paragraphe 33). Au cours des trente dernières années, le monde a été témoin d’une résurgence des conflits internationaux qui a été marquée par une complexité accrue pour les forces militaires, selon la nature de leur participation. Cela a renforcé l’obligation pour toutes les forces militaires d’avoir un système disciplinaire solide, indépendant et fonctionnel. La citation suivante fait écho à ce besoin.
Après la création des troupes, la discipline est la première chose qui se présente. Elle est l’âme de tout le genre militaire. Si elle n’est établie avec [sagesse] et exécutée avec une fermeté inébranlable, l’on ne saurait compter avoir de troupes : les régiments, les armées ne sont plus qu’une vile populace armée, plus dangereuse à l’État que les ennemis mêmes. - Maurice de Saxe : Mes Rêveries, 1732
Ayant été personnellement déployée comme conseillère juridique dans le cadre de multiples opérations militaires internationales, j’ai soutenu des témoins militaires canadiens devant des cours pénales internationales en lien avec des conflits en Yougoslavie et au Rwanda. Il est indéniable que les FAC doivent maintenir la discipline de leurs membres en tout temps. Puisque les FAC peuvent être appelées à servir n’importe où, en tout temps, cela signifie qu’elles doivent être prêtes dès qu’on les sollicite. Pour que nos membres puissent servir dans n’importe quel environnement, il est impératif que la discipline soit inculquée immédiatement dans leur instruction afin qu’elle s’intègre à leurs processus de pensée analytique avant même qu’ils quittent le pays.
