Quel a été votre cheminement vers le droit et jusqu’à la magistrature?
Quand j’avais neuf ans, j’ai décidé que je voulais devenir avocate. C’était une surprise pour mes parents puisqu’il n’y avait pas d’avocats dans notre famille. Lorsque j’étais au secondaire, j’ai dit à mon conseiller d’orientation lors d’une séance de planification de carrière que j’allais devenir avocate. Il m’a répondu que ce serait peu probable puisque je venais d’une petite communauté francophone du Nord de l’Ontario. Je me suis dit : « Regarde-moi aller! »
Au secondaire, j’ai fait un stage dans un cabinet d’avocats. Quand est venu le temps de postuler dans les facultés de droit, j’ai postulé aux programmes de common law en français de l’Université d’Ottawa et de l’Université de Moncton, qui m’ont toutes deux acceptée comme étudiante. J’ai décidé de fréquenter l’Université d’Ottawa compte tenu de sa proximité avec ma famille dans la région de Sudbury. Je n’avais aucune aspiration à être juge lorsque j’ai commencé à la faculté de droit. Mon objectif à cette époque était de devenir la meilleure avocate que je pouvais être pour mes futurs clients. Mon intérêt pour la magistrature s’est manifesté plus tard au cours de ma première année de droit. Après avoir entendu une juge et des enseignants discuter du rôle et de l’impact d’une juge, je suis devenue plus intéressée à fixer un objectif plus élevé qui était de devenir juge.
J’ai commencé ma carrière en droit en tant qu’étudiante au bureau du Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. J’ai ensuite travaillé comme étudiante en droit et comme avocate aux Services juridiques de la Gendarmerie royale du Canada. En juillet 2000, j’ai joint les Services juridiques de Postes Canada. Je me suis spécialisée dans le droit du travail, de l’emploi, des droits de la personne, de la vie privée et de l’accès à l’information. J’ai aussi travaillé sur des initiatives des peuples autochtones. J’ai plaidé partout au Canada devant divers tribunaux administratifs et cours. J’ai toujours recherché de l’expérience en litige, soit par le biais d’audiences devant des tribunaux, des cours, des médiations ou des discussions de règlement. En 2009, j’ai été embauchée comme Avocate générale au sein du Groupe des services de santé Royal Ottawa pour créer et diriger les Services juridiques, ce qui allait me donner plus d’expérience dans la gestion d’avocats externes ainsi que d’avocats juniors. En plus de gérer les Services juridiques du Royal, j’ai également administré le portefeuille d’accès à l’information. J’ai beaucoup plaidé dans les domaines des relations de travail, des droits de la personne et de la santé mentale médico-légale. J’ai souvent comparu devant la Cour d’appel de l’Ontario. J’ai également effectué des recherches approfondies sur le droit de la santé mentale, les principes Gladue et les peuples autochtones dans le système de santé mentale médico-légale. Pendant mon travail au Royal, j’ai obtenu une maîtrise en droit avec une spécialisation en droit de la santé mentale à Osgood Hall Law School. J’ai commencé mon doctorat en droit à l’Université d’Ottawa en septembre 2016.
Après avoir accumulé des expériences et connaissances valables, j’ai décidé de postuler pour devenir juge. En mai 2017, j’ai été la première juge autochtone à être nommée à la Cour supérieure de justice d’Ottawa. En décembre 2021, j’ai terminé mon doctorat en droit.
Quelle expérience dans votre carrière juridique vous a le mieux préparé au travail à la magistrature?
Ma vaste expérience en tant qu’avocate plaidante m’a le mieux préparé au travail à la magistrature. Mon expérience de plaidoirie devant divers tribunaux administratifs, la Cour supérieure de justice et la Cour d’appel de l’Ontario m’a permis de me familiariser avec diverses règles de procédure et de rédiger des arguments/documents juridiques. Mon expérience unique en tant que femme autochtone et spécialiste du droit de la santé mentale m’a également donné une perspective différente en tant que juge qui est utile pour évaluer les dossiers. Dans mon travail au Royal et pendant mon doctorat en droit, j’ai effectué des recherches approfondies sur les principes Gladue. Ces principes aident à assurer l’équité pour les accusés autochtones devant le système de justice pénale. Cette recherche aide à éclairer mes décisions lorsque des personnes autochtones comparaissent devant moi.
Un autre aspect qui m’a aidé fut de travailler avec les gens, de les écouter afin d’identifier clairement les enjeux. J’ai été confrontée à de tels scénarios lors des audiences à la Commission de la capacité de consentement et la Commission ontarienne d’examen, car ces questions ont toujours un certain nombre de perspectives différentes. Cette capacité est extrêmement utile dans mon travail de juge.
Quels conseils avez-vous pour les avocats qui comparaissent devant vous?
Le premier conseil est de toujours être bien préparé. L’avocat doit s’assurer qu’il connaît les faits de sa cause, ses arguments et la jurisprudence afin d'être bien préparé pour répondre aux questions de la cour. Avant que l’avocat comparaisse devant moi, j’ai lu le dossier. Il n’y a rien de pire que d’avoir la juge connaître mieux le dossier que l’avocat. Le deuxième conseil est que l’avocat doit s’assurer que ses documents écrits sont correctement assemblés et sans erreur car ils sont la première impression que la juge a de l’avocat.
Que souhaiteriez-vous que le public sache au sujet du système de justice?
Le système judiciaire est composé de différents acteurs et ils ont tous un rôle à jouer. Tous se consacrent à la poursuite de la justice dans l’espoir d’obtenir le meilleur résultat pour tous. Le système judiciaire est composé d’individus qui apportent leurs expériences professionnelles et personnelles dans le système afin de refléter les valeurs et les lois du pays. La prise en compte des principes Gladue est un exemple clair de la façon dont le système judiciaire doit s’adapter pour mieux évaluer les affaires impliquant les peuples autochtones. Le système de justice évolue pour mieux refléter la société et ses valeurs. En son cœur se trouvent ses membres qui visent à être équitables et justes pour tous.
