Quel cheminement vous a mené au monde du droit et à la magistrature?
J’ai toujours su que je ferais un métier où le contact humain est central et qui est stimulant intellectuellement. Je me dirigeais initialement vers la psychologie et j’ai été inspirée au dernier moment par mon frère, qui avait débuté ses études en droit.
Dès mes premiers cours, j’ai tout de suite eu un coup de cœur pour le droit. Je n’étais toutefois pas convaincue que j’aurais la force de plaider un jour et encore moins de devenir juge, alors que j’étais plutôt de nature réservée et timide.
Le hasard a voulu que je sois appelée à plaider dès mon stage, plus que je ne l’avais anticipé, ce qui m’a permis d’apprivoiser peu à peu ce qui était un peu contre nature pour moi.
J’ai eu ensuite une pratique très variée en litige, où les questions complexes m’étaient confiées, en plus de m’être également impliquée dans différents projets, où j’ai acquis des compétences me préparant pour la suite. J’ai eu la chance de croiser la route de certaines personnes qui ont cru en moi et qui m’ont suggéré d’appliquer à la magistrature. Je dirais que je suis restée ouverte aux opportunités qui se sont présentées au fil du temps, j’ai persévéré, j’ai cru en ce rêve et j’ai foncé. J’ai eu le privilège d’être nommée à 39 ans à la Cour du Québec et de devenir ainsi la première femme autochtone nommée à la magistrature au Québec. J’y ai retrouvé par le fait même mon frère, lui aussi nommé juge quelques années avant, celui-là même qui m’avait inspiré, au départ, à faire des études en droit.
Quelle expérience de votre carrière juridique vous a le mieux préparé à votre travail au sein de la magistrature?
J’ai eu une pratique très variée en litige au sein d’un cabinet privé, ce qui a aiguisé mes réflexes afin de me permettre de faire face à presque tout ce qui pouvait se présenter à moi en salle d’audience.
L’expérience qui m’a toutefois le mieux préparée à faire la transition vers la magistrature a été le fait qu’en plus de ma pratique d’avocate, j’ai été appelée à siéger comme commissaire aux libérations conditionnelles du Canada. J’ai occupé cette fonction à temps partiel pendant deux ans et demi avant ma nomination comme juge. Dans le cadre de ces fonctions, j’ai mis en pratique mes compétences afin de gérer des audiences et une clientèle parfois difficile, prendre des décisions très importantes et les rédiger.
Ce fut également l’occasion pour moi de confirmer mon désir d’occuper une charge de décideur pour la suite de mon parcours. Cette expérience m’a permis d’être confiante quant à ma démarche et de croire que je pouvais y arriver.
Quels conseils donneriez-vous aux juristes qui comparaissent devant vous?
J’estime que les juristes occupent une place privilégiée au sein de la société et qu’il faut être à la hauteur de ce privilège. Cela veut dire faire une bonne analyse de son dossier, arriver préparé à la cour, donner le meilleur pour présenter un dossier solide, tout en maintenant une éthique de travail impeccable, tant envers la cour et le public qu’envers les collègues.
Je crois énormément aux modes de prévention et de règlement des différends. J’étais d’ailleurs médiatrice avant ma nomination et je prends un immense plaisir à présider des conférences de règlement à l’amiable et à voir les parties trouver des solutions négociées et satisfaisantes. Je réitère l’importance de considérer des avenues différentes et de s’assurer d’avoir vidé cette question en temps opportun avant d’avoir recours au processus traditionnel, qui demeure souvent plus long et coûteux. Il arrive régulièrement de voir des résultats positifs ressortir d’une telle démarche, même dans les dossiers où les parties y croyaient peu au départ.
J’ajouterais qu’il ne faut pas hésiter à s’impliquer dans diverses initiatives au sein de la société pour faire une différence et d’apporter l’aide que nous pouvons aux causes dans lesquelles nous croyons, puisque nous pouvons faire une réelle différence avec nos connaissances de juristes, tout en y gagnant en connaissances et en expériences. Croire en soi et en ses rêves. Faire ce que l’on aime, ce qui forcément nous pousse à se dépasser et donner le meilleur de soi. Garder aussi un équilibre entre la vie personnelle et le travail : oui, c’est possible de réussir les deux si on fait les bons choix.
Que souhaitez-vous que le public sache au sujet du système de justice?
Je suis convaincue qu’un système de justice fort et en lequel le public a confiance en est un qui représente tous et chacun des citoyens, donc forcément constitué de juristes provenant de tous les horizons et d’une magistrature diversifiée. En regardant autour de moi, je constate que la diversité est de plus en plus présente et que des efforts concrets sont faits pour que ça se poursuive. J’espère à mon tour pouvoir inspirer, par mon parcours, d’autres personnes issues des communautés autochtones à aller au bout de leurs rêves.