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L’honorable Johanna Price

Hon-Johanna-Price1.jpgQuel cheminement vous a mené au monde du droit et à la magistrature?

Je savais que je voulais être juge à peu près dès l’âge de onze ans. Je me souviens bien d’avoir vu à la télévision un documentaire sur l’honorable Bertha Wilson, la première juge puînée de la Cour suprême du Canada. C’était en 1982 et, la même année où la juge Wilson était nommée au plus haut tribunal du Canada, le Parlement adoptait la Charte canadienne des droits et libertés. Être traité de façon juste et équitable était déjà un concept très important pour moi. Vous voyez, je suis née dans une ville principalement francophone, qui s’appelle Buckingham, au Québec. Ma mère, qui était de Maniwaki, Québec, parlait anglais et français, et tirait ses origines des Premières Nations et de l’Europe1. Mon père était un immigrant de Chine qui parlait cantonais et mandarin. Il parlait un peu anglais et très peu français. Ma mère avait été mariée avant de rencontrer mon père, et avait eu mes sœurs et frères plus âgés avant de tomber amoureuse de mon père. C’était fortuit pour moi, car mon frère George est venu au monde, puis je suis apparue. Mes parents ont vécu une grande histoire d’amour pendant quelques années, mais ça n’a pas duré. Ma mère et mon père ne se sont jamais mariés. Lorsqu’ils se sont séparés, compte tenu des lois qui étaient en place à l’époque, ma mère s’est retrouvée les mains vides. J’avais à peine deux ans quand nous avons quitté Buckingham pour nous installer à Gatineau (près d’Ottawa). Nous avons déménagé un peu partout au Québec, nous avons vécu sur les terres de mes grands-parents maternels près du lac Otter, puis à Pointe-Gatineau et à Hull, et nous avons fini par déménager à Calgary, en Alberta, peu après la nomination de la juge Wilson et du rapatriement de la Constitution, en 1982. Ma mère m’a élevé, moi ainsi que mes frères et sœurs plus âgés, à peu près toute seule (avec l’aide de mes grands-parents, bien sûr, et de mes tantes et oncles). Vous pouvez sans doute imaginer les difficultés auxquelles ma mère et ma famille ont dû faire face. Les préjugés, la discrimination et le racisme. J’ai vécu tout cela à un très jeune âge. Mon parcours personnel est la raison pour laquelle j’ai choisi le droit. Cependant, avant de pouvoir devenir juge, je devais devenir avocate. J’ai donc terminé l’école secondaire, j’ai présenté une demande à l’université, j’ai passé le LSAT, j’ai posé ma candidature à la faculté de droit et à des stages, j’ai fait des stages, j’ai travaillé comme avocate pendant vingt ans, j’ai postulé un poste à la magistrature, et me voilà! En écrivant tout cela, ça me semble incroyable. On dirait que ç’a été facile, bien que ce ne soit pas le cas. Loin de là. Je me suis souvent dit, tout au long de ma formation et de ma carrière en droit, que je n’y arriverais jamais. À de nombreuses reprises, j’étais convaincue que c’était impossible. Cependant, c’est là que ma famille, mes amis, mes professeurs, mes enseignants, mes coéquipiers, mes mentors et les aînés de ma vie entrent tous en ligne de compte. Sans l’amour et le soutien des gens qui m’ont entourée, sans leur foi en moi, je n’aurais jamais été juge. J’éprouve énormément de reconnaissance envers mon entourage, qui m’a soutenue contre vents et marées. C’est leur énergie collective qui m’a donné le courage de poursuivre mon cheminement. Merci! Comme ma mère le dirait : « Je t’aime tout aussi bien ».

Quelle expérience de votre carrière juridique vous a le mieux préparé à votre travail au sein de la magistrature?

Mon expérience comme avocate plaidante au civil et dans le domaine de la résolution de différends pendant vingt ans est l’élément qui m’a le mieux préparée à mon travail à la magistrature. Je considère que le temps que j’ai consacré à aider des clients à régler des différends de la façon la plus rentable et la plus efficace possible est ma contribution la plus importante au droit et à la quête de justice au Canada. Bien que j’aie pratiqué dans le cadre de contentieux civils pendant la majeure partie de ma carrière, j’ai réglé des différends en ayant recours à la négociation, à la médiation, à l’arbitrage et au règlement des différends judiciaires, le procès étant le dernier recours.

Un aspect important de mon apprentissage a été de comprendre ce que le client souhaite le plus, c’est-à-dire la résolution du différend. Les clients ne veulent pas dépenser de l’argent et perdre du temps en créant un précédent. Ils veulent des résultats. Cette expérience m’a orienté dans le travail que j’accomplis maintenant parce que j’apprécie réellement le fait que les partis qui comparaissent devant moi souhaitent simplement une décision, et qu’ils la veulent maintenant.

Dans la pratique, j’ai préconisé le règlement extrajudiciaire des différends. J’ai présidé la Section de prévention et règlement des différends de l’Association du Barreau canadien, aussi bien à l’échelle nationale qu’à la division de l’Alberta. L’excellent travail de l’Association du Barreau canadien, de la section de prévention et règlement des différends et d’autres sections, ainsi que mon implication au sein de l’ABC m’ont aussi grandement aidé à me perfectionner en tant qu’avocate et m’ont préparée à mon poste actuel à la magistrature.

Le bénévolat et le fait d’être une membre active de la communauté juridique ont été des éléments essentiels de mon apprentissage et m’ont aidé à me préparer à la magistrature. J’ai notamment fait du bénévolat pour Calgary Legal Guidance, la Law Society of Alberta, l’Association of Women Lawyers et l’Association du Barreau canadien.

Pendant mes années de pratique, j’ai eu tous les jours le privilège d’aider mes clients à accéder à la justice. Je ressens toujours de la reconnaissance et je me considère privilégiée d’avoir eu l’occasion d’aider tant de personnes à résoudre leurs différends. Il était aussi stimulant que gratifiant de s’assurer que tous les clients comprennent leurs droits, options et risques, de les aider à prendre le contrôle de la situation, et d’anticiper le possible résultat afin d’être pleinement conscients de ce qui se produit durant le processus. Le travail que j’ai effectué avec les clients, en gagnant leur confiance et en les aidant à résoudre leurs différends, m’a probablement mieux préparé pour le travail que je fais maintenant parce que je peux voir tout ce que les parties ont fait avant de comparaître devant moi.

Quels conseils donneriez-vous aux juristes qui comparaissent devant vous?

Souvenez-vous du serment que vous avez prêté à titre d’avocat, d’avocate et de juriste. Ce serment devrait vous servir de guide. Comportez-vous du mieux que vous le pouvez, en étant fidèle à la personne que vous êtes, ainsi qu’en faisant preuve d’honnêteté et d’intégrité. Suivez toujours la « règle d’or » : traiter les autres comme vous souhaitez vous-même être traité. Certaines des qualités les plus importantes que vous devez posséder pour pratiquer du droit avec excellence comprennent les suivantes :

  1. Écoutez d’abord.
  2. Connaissez bien votre cause, ses forces et ses faiblesses.
  3. N’exagérez pas en présentant votre position.
  4. Soyez aimable et courtois avec tout le monde, même lorsque vous n’êtes pas d’accord.
  5. Ayez du courage.

Que souhaitez-vous que le public sache au sujet du système de justice?

J’aimerais que le public sache qu’en raison de la « pénurie chronique de juges au Canada », notamment à la Cour du Banc du Roi de l’Alberta où je siège, nous travaillons très fort pour nous préparer aux affaires qui nous sont présentées (les soirs et les fins de semaine, avant et après les heures d’ouverture du tribunal). Les juges n’ont aucun contrôle sur les nominations et sur le moment où celles-ci ont lieu, mais il ne fait pas de doute que nous avons besoin que plus de juristes présentent leur candidature pour devenir des juges et soient nommés. Il est important d’encourager les juristes qui possèdent les qualifications requises pour devenir juge à poser leur candidature à la magistrature, car, franchement, nous avons besoin de plus de juges. Le travail de juge ne vous isole pas autant que ce que vous pourriez croire. Oui, vous prenez vos décisions sans aide, vous exercez l’indépendance de la magistrature, mais si vous avez besoin d’aide, il y en a à votre disposition. De plus, tous les membres et employés de la magistrature sont très coopératifs et accueillants. Aussi, nous sommes, à mon avis, tous amicaux et nous nous soutenons les uns les autres.

Si vous êtes juriste et que vous possédez les qualifications requises, ajoutez votre nom! Aussi, pour ceux et celles d’entre vous qui ne sont pas encore juristes ou qui ne possèdent pas encore les qualifications, mais qui aimeraient un jour être juges, croyez en vous. Vous aussi pouvez y parvenir! Qui aurait cru qu’une petite fille défavorisée ayant des origines chinoises et de Premières Nations (Première Nation de Kitigan Zibi Anishnabeg), ayant vécu dans un ménage brisé et grandi dans la pauvreté, étant la seule de sa famille à fréquenter l’université, née au Québec et ayant déménagé à différents endroits du Canada, ayant vécu la majeure partie de sa vie à Calgary, aurait réussi à réaliser son rêve de devenir un jour juge?

Meegwetch, xièxie, merci, thank you.

 

Notes de Fin

1 Malheureusement, ma mère et mon père sont décédés. Ma mère est décédée en décembre 1999, juste après mon admission au Barreau de l’Alberta, et mon père a rendu l’âme en janvier 2016. Ma mère et mon père savaient que je voulais être juge et ils auraient tous deux étés si fiers que j’aie réussi. Je sais qu’ils m’accompagnent de là-haut tous les jours.