L'honorable Isabelle Breton

The Honourable Isabelle BretonQuel cheminement vous a mené au monde du droit et à la magistrature?

Ma famille est originaire de l’Abitibi, celle du côté maternel étant la première à venir s’établir à Amos. Je suis très attachée à cette région où je vis depuis ma tendre enfance et y ai complété ma scolarité jusqu’au collégial, dans un parcours que je qualifierais de rectiligne. Je débute ainsi ma formation collégiale en sciences, dans le but de devenir actuaire, vu mon grand intérêt pour les mathématiques. La première année au Cégep marque un premier tournant. Je réalise que la profession vers laquelle je souhaitais me diriger, impliquait trop peu de contact humain, ce qui ne correspondait pas à ma personnalité. Je réoriente quelque peu mon parcours scolaire, pour me diriger dans un programme de sciences humaines, tout en conservant les cours de mathématiques. À ce moment, l’administration des affaires, devenait alors une option intéressante.

En parallèle, depuis l’âge de 16 ans, je travaillais durant les étés dans un bureau d’avocats, où mon oncle était associé. J’y ai peu à peu apprivoisé les diverses facettes de cette profession, dont le contact humain, la relation d’aide et les recherches juridiques, notamment.

Le moment venu de déposer les demandes d’admissions à l’université, j’hésite entre l’administration des affaires et le droit, postulant dans les deux programmes. J’entre finalement en droit à l’Université de Montréal, mon immersion dans le domaine juridique par mes emplois d’été, m’ayant convaincue que la profession d’avocate était celle qui me convenait le mieux.

Admise Barreau en 1994, je suis ensuite revenue dans ma région natale, ayant eu le privilège qu’un stage m’y attendait, dans le même bureau d’avocats, à une époque où la course aux stages était une épreuve pour grand nombre de finissants.

Durant les dix années où j’y ai œuvré comme avocate, j’ai pratiqué dans divers domaines du droit civil et majoritairement en droit familial et municipal. L’un des associés, spécialisé dans ce dernier domaine, m’a transmis cette passion.

Ces deux domaines de droit, bien que très différents, apportait un équilibre, l’un m’amenant à gérer l’émotivité des clients et l’autre, étant plus cartésien et permettant des interventions de nature essentiellement préventive. Le droit municipal m’a aussi donné l’occasion de dispenser diverses formations aux élus et directeurs municipaux. Ce volet pédagogique m’intéressait particulièrement, car il me permettait d’entrer en contact avec les gens d’une manière différente.

J’ai ensuite joint un autre cabinet d’avocats, en ouvrant un nouveau bureau à Amos. J’y ai pratiqué jusqu’à ma nomination à la magistrature.

J’avais longtemps hésité à soumettre ma candidature, vu mes nombreuses implications dans mon milieu et l’âge de mes enfants. Mais au fil des ans, après m’être plus amplement informée auprès de juges, sur cette fonction et les enfants devenus plus autonomes, je me suis sentie prête pour cette fonction et dépose ma candidature. N’ayant toutefois pas le désir de quitter ma ville, les opportunités à la Cour supérieure, étaient peu nombreuses : il n’y a qu’un seul poste à Amos.

Le juge en fonction est transféré dans une autre ville en mai 2017. Dans ce contexte, je mets à jour ma candidature. Je suis nommée à la Cour supérieure à la novembre 2017, à l’âge de 46 ans.

Quelle expérience dans votre carrière juridique vous a le mieux préparée pour votre travail au sein de la magistrature?

Je pense que c'est l'ensemble de mes expériences qui m'a préparée à cette fonction. À titre d’exemples, ma pratique en droit municipal m’a amenée à rédiger nombreux documents, tel des règlements et des avis juridiques complexes. Les formations que j'ai dispensées ont aussi été un atout, car en salle d'audience, nous devons souvent faire de la pédagogie, notamment auprès des justiciables qui se représentent seuls.

Le fait d'avoir plaidé devant les tribunaux m'a également été très utile, dont au chapitre de la maîtrise du fardeau de preuve et des règles de procédure.

Ma pratique en droit de la famille m’a apprise à conjuguer avec l’émotivité des gens, sans compter la fiscalité matrimoniale. J'ai également pu développer des compétences précieuses dans ce domaine, notamment grâce à mes formations en médiation, qui me sont extrêmement utiles en salle d'audience et pour la tenue de conférences de règlement.

La rigueur fait partie de mes valeurs et elle était également au centre des valeurs des deux cabinets d’avocats où j’ai pratiqué. Cela m’a aussi préparée à la fonction de juge, laquelle requiert une grande rigueur.

Quels conseils donneriez-vous aux juristes qui comparaissent devant vous?

Préparez-vous, préparez-vous, préparez-vous ! Maîtrisez votre théorie de la cause. Je commence généralement mes audiences, surtout les procès civils, en demandant aux avocats: « Décrivez-moi votre théorie de la cause en trois minutes ». C’est souvent le moment où l’on peut percevoir qui est prêt et qui ne l’est pas. Une bonne préparation permet d’administrer une preuve plus pertinente, plutôt que d’adopter une approche dispersée, que je qualifie de type "buffet chinois".

Rappelez-vous que parfois, le meilleur contre-interrogatoire consiste à ne poser aucune question. C’est un conseil que j’avais reçu lors d’une formation il y a nombreuses années, et qui demeure très utile. La théorie de la cause aide à structurer la preuve et à déterminer si un contre-interrogatoire est réellement nécessaire.

Soyez respectueux, non seulement envers le tribunal, mais aussi envers l’autre partie, et le confrère ou la consœur, même en cas de désaccord. Si une affaire est portée devant un juge, c’est parce qu’il y a un litige. Mais lorsque le respect est présent, le procès progresse mieux et permet d’obtenir des admissions et des ententes, même partielles. Si nous sommes en confrontation permanente et dans l’irrespect, nous ne faisons que saborder notre propre cause.

Quand j’étais avocate, je rappelais souvent aux jeunes avocats que le rôle de l’avocat est d’aider son client à trouver une solution à son problème et que cette solution ne passait pas nécessairement par le tribunal.

Que souhaiteriez-vous que le public sache au sujet du système de justice?

Le rôle du juge va bien au-delà des perceptions que le public peut avoir d’une cause, notamment lorsqu’elle lui est présentée très sommairement dans les médias, dont les médias sociaux. Un juge doit rendre une décision en fonction de la preuve présentée devant lui et des règles de droit applicables. Notre fonction est d’appliquer la règle de droit. Nous en sommes les gardiens, et celle-ci fait partie intégrante de notre système démocratique. Si l’on devait fonder nos décisions sur l’équité ou l’opinion publique, plutôt que sur la règle de droit, cela mènerait rapidement à l’arbitraire.

À l’image de la société, le portrait de la magistrature a changé. Il y a 40 ans, les femmes étaient moins nombreuses sur le marché du travail, l’immigration était plus limitée et la société était plus homogène, tout comme le portrait de la magistrature, qui était généralement composée d’hommes et souvent, aux cheveux grisonnants. Aujourd’hui, la société est plus diversifiée. Le portrait de la magistrature reflète ce changement. Désormais, il n’est pas rare de constater que des juges soient nommés alors qu’ils sont dans la quarantaine, et même plus jeunes, parfois. On y retrouve plus de femmes et de personnes issues des diverses communautés et cultures.

Cette diversité favorise une meilleure compréhension des réalités de chacun, une sensibilité accrue aux enjeux contemporains et une ouverture d’esprit. C’est un aspect du système judiciaire qui mérite d’être mis en lumière.