Quel cheminement vous a mené au monde du droit et à la magistrature?
Mon cheminement dans le monde du droit et à la magistrature n’a pas été linéaire, si cela peut rassurer qui que ce soit. J’ai grandi sur une ferme dans une petite communauté avec une promotion de douze élèves. Il va sans dire qu’il n’y avait pas dans ma ville de juristes ou d’autres professionnels qui pouvaient m’inspirer comme modèles de rôle. Adolescente, je rêvais de devenir joueuse de hockey ou annonceuse sportive. Malheureusement, dans les années 70, ce n’était pas une option envisageable ou encouragée pour les jeunes femmes. De nos jours, heureusement, les jeunes femmes sont soutenues dans la poursuite de ces rêves professionnels.
En 1975, en Saskatchewan, il était possible d’obtenir un certificat en enseignement ou de devenir infirmière autorisée grâce à des programmes d’études de deux ans. Quand j’ai obtenu mon diplôme d’études secondaires, la seule voie vers des études supérieures pour les jeunes femmes était l’enseignement, les soins infirmiers ou le travail de secrétariat. Bien que ces professions soient toujours nobles, ce n’était pas l’avenir qui m’attendait. Je m’étais fixé comme plan de devenir dentiste et mon plan de secours était le droit. J’étais une jeune femme tenace et déterminée qui avait tendance à remettre en question avec enthousiasme la manière dont les choses se faisaient. Les gens qui me connaissaient me suggéraient de faire carrière en droit.
J’ai fréquenté la faculté des arts et des sciences de l’Université de la Saskatchewan et, bien que j’aie absolument adoré mon séjour à cet endroit et loin de la ferme, la vie me réservait, naturellement, ses surprises. Je suis tombée amoureuse et je me suis mariée, ce qui m’a poussée à mettre ma carrière universitaire en suspens et à déménager dans une ville plus petite. J’ai été assistante dentaire pendant onze ans. Durant cette période, je suis devenue mère de deux merveilleux enfants. J’ai continué à suivre des cours de soir à l’université, mais mon rêve de devenir avocate a été relégué au second rang.
À la fin des années 80, j’ai pu prendre l’examen d’admission à la faculté de droit et j’ai commencé mes études en droit à l’Université de la Saskatchewan en 1989. Depuis le début de mon parcours juridique, je n’ai jamais eu de regret. Je suis la preuve que la vie est souvent remplie d’obstacles. J’ai eu la chance de faire des stages et de travailler pendant cinq ans dans le même cabinet de Saskatoon. J’y ai acquis une précieuse expérience comme avocate plaidante, ainsi que dans la pratique générale.
Compte tenu de l’expérience que j’ai acquise à la tête d’un recours collectif d’envergure géré par ce cabinet, le directeur du ministère fédéral de la Justice a sollicité mon aide dans le recours collectif sur le scandale du sang contaminé. J’ai fini par rester une dizaine d’années au service du contentieux des affaires civiles du ministère fédéral de la Justice, avec des détachements à Ottawa et à Detroit. Une occasion s’est présentée de travailler pour le Service des poursuites pénales du Canada et je suis ainsi devenue procureure fédérale. Au cours de mon séjour au SPPC, j’ai vécu une expérience incroyable lors d’un séjour au Nunavut et d’un mandat de superviseure des mandataires en Saskatchewan.
Je n’ai jamais imaginé que je deviendrais juge jusqu’à ce qu’un superviseur me recommande de postuler. De façon fortuite, j’ai été nommée à la Cour fédérale du Canada en 2013. Au cours de mon emploi au ministère fédéral de la Justice, j’ai aimé pratiquer à la Cour fédérale du Canada. Je connaissais intimement ses règles et sa formalité, et c’est un endroit qui est synonyme de bonheur pour moi. En 2015, j’ai également été nommé à la Cour d’appel de la cour martiale du Canada, ce qui me permet de mettre à profit l’expérience que j’ai acquise en tant que procureure.
Comme vous pouvez le constater, mon cheminement pour devenir juge n’a pas été une ligne droite, mais cela m’a menée où je suis. Comme c’est le cas pour plusieurs juristes, j’ai ressenti le syndrome de l’imposteur. Je le ressens parfois encore, même après dix ans à la magistrature. C’est un plaisir de travailler aux côtés de tant d’esprits juridiques brillants qui possèdent une grande expérience et des connaissances spécialisées, et qui ont une passion pour le droit.
Quelle expérience de votre carrière juridique vous a le mieux préparé à votre travail au sein de la magistrature?
Ce sont souvent ces expériences qui, sur le coup, peuvent sembler ne pas avoir de lien qui finissent par être les plus utiles.
Mes expériences de vie ont été le plus grand atout de mon travail à la magistrature. En tant qu’assistante dentaire, j’ai acquis beaucoup d’expérience avec les gens en situation de stress, ce qui s’est avéré inestimable dans mon travail de juge. Mes expériences de vie ont également mis en relief l’importance de favoriser l’accès à la justice et de veiller à ce que les plaideurs qui se représentent eux-mêmes puissent se défendre devant les tribunaux. Pratiquer des sports d’équipe a privilégié mon esprit de collaboration au tribunal. Venant d’une ferme familiale rurale, une forte éthique de travail m’a été inculquée dès mon plus jeune âge.
Mes expériences juridiques antérieures m’ont également été utiles. Mon travail en droit public m’a beaucoup aidé, car la Cour fédérale s’occupe d’un grand nombre de questions de droit administratif. Le travail dans un cabinet privé avec des affaires de droit commercial et des litiges généraux très complexes m’a donné une solide base en matière de preuves. Mes postes variés avant de devenir juge m’ont également donné la capacité d’apprendre de nouveaux domaines du droit avec facilité. En particulier, être généraliste s’est révélé être un avantage énorme, car c’est ce qui me permet de toucher à différentes compétences au sein de la Cour fédérale.
Bien que toutes ces expériences de vie aient été excellentes pour me préparer à mon rôle de juge, je regrette de ne pas être bilingue ou d’avoir suivi une formation en droit civil, même si je continue de suivre des cours de français.
Quels conseils donneriez-vous aux juristes qui comparaissent devant vous?
Ne compromettez jamais votre carrière pour un client ou un collègue. L’éthique est très importante, et vous êtes un officier de la cour. Ne vous mettez donc jamais dans une situation où votre éthique peut être compromise. Il y a toujours des juristes chevronnés, aussi bien au sein de votre cabinet qu’à l’extérieur, à qui vous pouvez parler quand vous avez un problème.
Préparation, préparation, préparation. Même si je n’ai pas toujours été la personne la plus naturellement talentueuse dans la salle, j’ai toujours été la plus préparée. J’ai toujours été prête quand un juge me posait une question. D’autre part, essayez de prendre du temps avec votre famille et vos amis, ainsi que pour vous. C’est un équilibre délicat, mais si vous trouvez cet équilibre, vous serez une meilleure juriste et une meilleure personne.
Mon conseil aux jeunes juristes est que vous devez être vous-même et trouver ce qui fonctionne pour vous. Aussi, l’arrogance et l’incivilité entre juristes ne fonctionnent pas pour moi, en tant que juge. La plupart des meilleurs juristes qui se présentent devant moi sont humbles.
Que souhaitez-vous que le public sache au sujet du système de justice?
À quel point le système de justice canadien est extraordinaire par rapport à bien d’autres pays. Bien sûr, il y a toujours moyen de s’améliorer, mais le droit est en constante évolution, et des améliorations sont constamment possibles, aussi bien au sein de la magistrature que chez les juristes qui nous aident à prendre des décisions. Le public devrait se sentir rassuré et savoir à quel point les juges canadiens accordent de l’importance à ce qu’ils font et s’efforcent de prendre les meilleures décisions possibles.
