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L'honorable Cindy A. Bourgeois

Quel cheminement vous a mené au monde du droit et à la magistrature?

Mon parcours vers les études supérieures, et le droit en particulier, a été grandement influencé par les défis auxquels ma famille a été confrontée quand j’étais enfant. Compte tenu des circonstances de l’époque, aucun de mes parents n’a pu terminer ses études secondaires. Chacun d’eux a plutôt intégré le marché du travail à l’âge de 16 ans. Ils se sont mariés à 19 ans et ont fondé une famille peu de temps après.

Quand j’avais 12 ans, mon père a été grièvement blessé dans un accident de travail. Malgré de nombreuses tentatives, il n’a jamais pu retourner au travail. Ce qui s’en est suivi, ce sont des années de stress, d’incertitude financière et de tentatives infructueuses d’obtenir une indemnisation et des prestations d’invalidité de longue durée. Mes parents n’avaient pas les moyens de recourir à un juriste et je me souviens très bien de leur frustration lorsqu’ils tentaient de s’y retrouver dans la « paperasse » et les processus de réclamation.

Ma mère était devenue une femme au foyer après la naissance de ses enfants, mais elle a dû réintégrer le marché du travail et devenir le principal soutien de famille jusqu’à ce que mon père soit finalement reconnu admissible aux prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Ma mère n’a jamais oublié ces luttes et a tout fait pour que ses enfants puissent profiter de la sécurité financière que peuvent apporter des études postsecondaires. Je n’oublierai jamais la « paperasse » qui traînait sur la table de la cuisine, et j’ai choisi le droit, car je croyais que ce domaine allait pouvoir m’aider à proposer des solutions à des gens comme mon père.

J’ai adoré pratiquer le droit dans la petite ville où j’ai grandi et développer des relations avec mes clients. Je me plais à penser que j’ai aidé ces personnes à éviter la frustration et les déceptions que mes parents avaient vécues des années plus tôt. Je n’ai jamais pensé présenter ma candidature à la magistrature, car je n’avais pas l’impression de correspondre au profil recherché pour exercer la profession de juge. Cependant, après avoir reçu les encouragements d’un juge devant qui j’avais plaidé de nombreuses causes, et pour qui j’éprouvais beaucoup de respect, je me suis lancée, et je suis contente de l’avoir fait!

Quelle expérience de votre carrière juridique vous a le mieux préparé à votre travail au sein de la magistrature?

J’ai eu la chance d’avoir un mentor incroyable dès les premiers jours de ma carrière juridique. L’associé principal du cabinet où j’ai travaillé, d’abord dans le cadre d’un stage, puis comme avocate et associée, a joué un rôle crucial dans mon développement comme avocate et dans ma carrière. Très éthique, travailleur, honnête, soucieux de la communauté, obstiné et exigeant; c’est ainsi que l’on décrivait l’homme que je considère toujours comme mon « père » professionnel.

Je détestais quand, au début de ma carrière, il me confiait des dossiers complexes pour lesquels je devais agir comme avocate principale. J’avais peur et je doutais de mes capacités. Je détestais ses attentes élevées en matière de service à la clientèle et de participation communautaire. Je me demandais si je pouvais être à la hauteur de tâches si ardues ou si j’avais quelque chose de précieux à offrir. Il a continué à me pousser, et j’ai continué à livrer la marchandise, malgré le doute persistant qui m’assaillait.

Me Morris croyait en moi et voyait mon potentiel. Bien avant que je ne le réalise, il savait que j’étais compétente et intelligente. Il insistait parce qu’il savait que c’était ce dont j’avais besoin. Pour lui, mon sexe et mon parcours n’étaient pas pertinents. Il croyait que je pouvais réussir tout ce que j’entreprenais.

Les jours où je sens que le « syndrome de l’imposteur » se faufile dans mes pensées (ça arrive encore après 14 ans à la magistrature!), je pense à Me Morris. Il croit en moi (et il ne se trompe jamais), alors j’en fais de même!

Quel conseil donneriez-vous à une juriste qui se présente devant vous?

Soyez prête. Connaissez votre cause en profondeur. Soyez toujours franche avec le tribunal. Rappelez-vous que vous avez un client qui se fie à vous pour que vous fassiez ce qui est dans son intérêt supérieur, ce qui signifie parfois ne pas aller devant les tribunaux!

Que souhaitez-vous que le public sache au sujet du système de justice?

J’aimerais que le public en sache davantage sur les juges. Non pas comment ils sont nommés, ou ce qui régit la façon dont ils prennent leurs décisions, mais qu’ils sont des personnes.

Si vous demandiez à des membres du public de décrire un « juge », je soupçonne que les descriptions communes seraient : un vieil homme blanc à l’air grave, sérieux, et peut-être même indifférent, insensible et insouciant. Je ne connais aucun juge qui corresponde à cette description. Vraiment.

L’âge, le sexe, l’origine ethnique et la race des juges que je connais sont variés. Ce qui serait peut-être plus surprenant pour le public, c’est que les juges que je connais sont des parents et des enfants. Ils se fâchent contre leur conjoint ou conjointe quand les ordures ne sont pas sorties, mais les aiment de tout leur cœur. Ils aiment leur chien et ont plusieurs photos sur leur téléphone pour le prouver. Les juges que je connais se soucient de leur collectivité et se préoccupent de l’environnement. Ils soutiennent des organismes de bienfaisance locaux et adorent chanter, même s’ils ne savent pas le faire. Les juges que je connais ont un grand sens de l’humour et aiment les chaussettes colorées. Certains d’entre eux ont vécu de grandes pertes. Certains sont confrontés de près à des problèmes de santé physique et mentale. Les juges sont des gens, de vraies personnes.

Plus important encore, les juges que je connais commettent parfois des erreurs malgré tous les efforts qu’ils déploient. Parfois, ils n’aiment pas l’issue des questions qu’ils doivent trancher. Mais ils essaient toujours de faire ce qui est juste et conforme au droit. Les juges que je connais se soucient profondément du monde qui les entoure.