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L’honorable Chidinma B. Thompson

The Honourable Chidinma B. ThompsonQuel cheminement vous a mené au monde du droit et à la magistrature?

Raconter mon histoire me permet de réfléchir sérieusement à mon parcours et à mon avenir. Je suis née et j’ai grandi au Nigeria, et je suis l’avant-dernière de six enfants. Mes parents chérissaient l’éducation et ont fait d’énormes sacrifices pour que leurs enfants aillent à l’université.

J’ai décidé d’être avocate quand j’étais petite. Ma mère était mon modèle. Enseignante au primaire, elle aidait les enfants à développer leurs aptitudes; c’était sa vocation. Elle disait que chaque enfant a droit à l’éducation et que personne ne mérite de souffrir de la famine. C’était la personne la plus aimable, la plus généreuse et la plus travaillante que je connaisse. Elle aidait sans compter… les enfants, les parents, bref tout le monde! Elle m’a certainement transmis ces valeurs, puisque même enfant, j’étais très consciente de ce que je souhaitais pouvoir faire changer.

L’idée d’aider mes semblables par le droit a germé dans les années 1980 quand j’ai commencé à regarder la série dramatique Matlock. J’étais fascinée par la salle d’audience, les procès et comment l’avocat aidait ses clients tout en contribuant à faire épingler les vrais coupables. C’est là qu’est née ma passion pour le droit.

Depuis, mon parcours a été riche en péripéties, tissé d’importants défis et de grandes victoires, avec une foule d’acteurs aussi dynamiques que diversifiés. Ici, je digresse pour lever mon chapeau à ma famille, qui m’a été d’un grand soutien, à mes mentors et modèles, aux communautés où j’ai vécu et à cette présence invisible qui me guide. L’histoire serait incomplète si je taisais leur rôle exceptionnel. J’ai été très choyée d’avoir eu, au Canada, des hommes et des femmes qui ont cru en moi dès le début, qui m’ont prise sous leur aile, puis m’ont laissée évoluer à leurs côtés. Je serai toujours profondément reconnaissante de tout ce que ces personnes ont fait pour moi.

J’ai étudié le droit au Nigeria et exercé la profession en Afrique dans l’un des plus importants cabinets de droit international au pays à l’époque. J’ai eu le privilège de travailler sur des dossiers très médiatisés dès le début de ma carrière. Curieuse et aventureuse de nature, j’ai fini par décider d’obtenir une maîtrise en droit international pour enrichir mes connaissances et élargir ma vision du monde. J’ai reçu des offres d’admission d’universités prestigieuses aux États-Unis et au Canada, mais celle qui m’attirait le plus et me convenait le mieux, c’était l’Université de Calgary, qui offrait un programme hybride avec mémoire en droit des ressources naturelles et de l’énergie et en droit environnemental. J’ai donc accepté son offre de bourse d’études et suis arrivée à Calgary en 2004.

Des portes s’ouvraient à moi, et je m’y suis glissée sans songer outre mesure aux coûts personnels. Une de ces grandes occasions a été le programme de doctorat en droit portant sur les cas uniques de jurisprudence. J’ai décroché ma maîtrise en 2007 et entamé mes études doctorales la même année. Quand je me suis rendu compte que ce programme durait plusieurs années, j’ai obtenu mon certificat canadien d’équivalence de baccalauréat du Comité national sur les équivalences des diplômes de droit de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada; c’est la première étape du parcours vers l’admission au barreau et la pratique du droit au pays.

Sur toutes ces entrefaites, j’ai mis au monde deux enfants adorables. Mon bébé, un garçon, était sur mes genoux tout le temps que je rédigeais mon mémoire de maîtrise à la bibliothèque juridique de l’Université de Calgary. Il dormait tout le temps! Ma fille est venue au monde quelques semaines après mon examen de droit constitutionnel pour le Comité national sur les équivalences. C’était pendant mes études doctorales.

Avec mon certificat du Comité en poche, j’ai été adjointe de recherche à Bennett Jones LLP avant mon stage à Borden Ladner Gervais LLP (BLG). Pendant les années qui ont suivi, j’ai pratiqué le droit à temps plein avec BLG tout en terminant mon doctorat, et j’ai aussi enseigné le droit comme chargée de cours à temps partiel, élevé ma petite famille avec deux enfants en bas âge et contribué à mon milieu de vie. J’ai obtenu mon doctorat en 2014; je suis devenue la première personne à obtenir ce grade à la faculté de droit de l’Université de Calgary.

Je suis devenue associée à BLG en 2017. J’exerçais dans une gamme de secteurs des litiges commerciaux, de l’arbitrage et du droit à caractère réglementaire. J’ai passé l’examen des arbitres et je suis devenue membre du Chartered Institute of Arbitrators, en plus d’être admise dans les rangs du Vancouver International Arbitration Centre.

Ma curiosité et mon goût de l’aventure sont revenus au galop et j’ai eu envie de servir le public à un poste plus important. Ma demande ayant été acceptée, je suis devenue membre à temps partiel de l’Environmental Appeals Board (EAB) de l’Alberta. Peu après, j’y ai occupé la présidence. Vu ces nouvelles fonctions, j’ai passé un examen et obtenu un certificat en gouvernance (la désignation de directrice agréée) de l’Université McMaster.

Pendant le reste de ma carrière d’avocate à temps plein, j’ai aussi été chargée de cours à temps partiel à la faculté de droit et occupé différentes fonctions comme arbitre à temps partiel. J’ai signé quelques chapitres de monographie et des articles en droit, et j’ai fréquemment pris la parole à des conférences de juristes. J’ai eu l’humble expérience d’être reconnue par mes pairs en me voyant remettre le prix inaugural de Young Women in Energy, le prix Women in Law Leadership et la médaille du jubilé de platine de la reine Elizabeth II (Alberta).

J’ai continué de contribuer à la profession juridique et aux communautés locales, notamment par mon bénévolat dans plusieurs organisations comme la Legal Education Society de l’Alberta, Pro Bono Law Alberta, Calgary Legal Guidance, le comité consultatif régional pour l’Alberta de l’Advocates Society et l’Association du Barreau canadien. J’ai aussi siégé aux conseils d’administration de quelques organisations sans but lucratif. J’ai eu l’expérience gratifiante de mentorer des étudiants et étudiantes en droit, y compris de jeunes juristes, des juristes formés à l’étranger et des avocates.

Quant à la magistrature, les gens de mon entourage ont commencé à m’imaginer juge avant que je n’ose le faire moi-même. Des avocats et d’autres personnes me conseillaient de devenir juge. Un couple d’amis de ma famille n’arrêtait pas de m’appeler « Votre Seigneurie », même si j’avais répété mille fois que je n’étais pas juge. Ce qui m’a décidée à faire le saut, c’est quand le ministre fédéral de la Justice a publié un communiqué en septembre 2020 où il déclarait que le Canada était « résolu à atteindre l’objectif d’établir une magistrature qui reflète la diversité de la société canadienne » et incitait « les membres des collectivités traditionnellement sous-représentées – comme les Canadiens noirs et racialisés – à envisager de présenter une demande de nomination à la magistrature ». Quelqu’un que je respecte a fait valoir que si nous voulons atteindre l’objectif de diversité dans la magistrature, les Canadiens traditionnellement sous-représentés doivent s’avancer. J’ai décidé de répondre à l’appel pour contribuer à la magistrature au mieux de mes compétences.

Je tiens à remercier les organisateurs et les évaluateurs du projet Madame la juge. C’est un honneur et un privilège de figurer au nombre des femmes juges de haut vol dans la galerie du projet.

Quelle expérience de votre carrière juridique vous a le mieux préparé à votre travail au sein de la magistrature?

Ma carrière d’avocate et toutes mes expériences d’émigrante canadienne noire de première génération m’ont bien préparée au travail de juge. Mes études de cycle supérieur, notamment mon doctorat, m’ont fait acquérir une connaissance profonde des règles juridiques de fond et des façons de les appliquer positivement pour mieux servir la société. J’y ai affiné ma réflexion critique et mes aptitudes d’analyse, de recherche et de rédaction. Ces expériences m’ont permis d’apprendre des meilleurs mentors de la profession au Canada et à l’étranger. J’y ai énormément renforcé mes qualités naturelles : persévérance, résilience, constance vers l’objectif, esprit d’équipe, grande éthique professionnelle, passion pour le droit, etc. J’ai aussi pu interagir avec le grand public et les communautés avec qui j’avais eu peu ou pas de contacts auparavant et apprendre d’eux. Ces expériences ont élargi ma vision du monde et renforcé mon désir de continuer d’apprendre ainsi que mon respect et mon appréciation pour la riche diversité des cultures, des idéologies et des perspectives uniques qui animent la société canadienne.

Dans mon odyssée, j’ai aussi pu vivre l’expérience du droit dans sa dimension humaine. Forte de tout ce vécu, je suis bien outillée pour effectuer mon travail avec humilité, patience, compassion et empathie et de solides aptitudes en communication et en relations humaines, sans oublier l’engagement de traiter tout le monde à l’audience avec dignité et respect, notamment par l’écoute active et l’observation attentive. Mon vécu m’a aussi enseigné l’humilité culturelle et la sensibilité aux différentes cultures, et l’importance d’offrir un environnement sécuritaire à toutes les parties afin qu’elles puissent participer efficacement à la résolution du dossier qui les amène dans le système de justice.

Quels conseils donneriez-vous aux juristes qui comparaissent devant vous?

Mes collègues du projet Madame la juge ont déjà tracé de sages lignes de conduite qu’il n’est point besoin de redire. J’ajouterai simplement que l’avocate ou avocat doit se servir du mieux possible de ses compétences, de ses valeurs personnelles et de sa réputation. J’encourage les juristes à faire plus pour une justice efficace et équitable pour chaque partie au litige, même si elles et ils ne touchent pas d’honoraires. Rares sont les personnes qui en font plus, mais celles qui persévèrent pour protéger l’équité et l’impartialité judiciaire passent à la postérité.

Que souhaitez-vous que le public sache au sujet du système de justice?

D’abord, le système de justice travaille très dur avec des ressources limitées pour garantir un accès rapide à la justice et renforcer la confiance du public. Le système est aussi attentif aux obstacles potentiels à une participation efficace, notamment la langue et d’autres facteurs culturels. Je conseille fortement aux parties de signaler ces obstacles et tout facteur culturel dès le début du processus pour qu’on puisse effectuer un examen éclairé et éviter les retards et le manque d’efficacité.

Ensuite, le système s’efforce, dans la mesure de ses moyens, de répondre aux besoins de toutes les parties, mais parfois des mesures sévères s’imposent. En effet, il faut aussi prévenir les abus de procédure ou les injustices contre certaines parties, et assurer un juste équilibre entre le droit des parties d’être entendues, l’efficacité et l’intégrité du processus et la garantie d’une procédure menée dans l’ordre, la dignité et l’équité.

Enfin, le système de justice nous appartient à tous. Chacun a son rôle à jouer pour atteindre les objectifs communs. On peut tous donner le bon exemple dans nos petites sphères d’influence, là où l’on peut prendre des mesures concrètes pour faire changer les choses. C’est pourquoi j’invite résolument le public à poser de petits gestes pour prêcher par l’exemple dans ses rapports avec le système de justice. On parle ici entre autres de s’efforcer d’accélérer le règlement d’un litige, de respecter les échéances, de ne fournir ou demander que les documents pertinents et nécessaires, de fournir les renseignements exigés, de rester polis envers la partie adverse en salle d’audience et ailleurs, et bien sûr, de respecter le juge et son équipe.