L'honorable Catherine LaRosa

The Honourable Catherine LaRosaQuel cheminement vous a mené au monde du droit et à la magistrature?

Je suis la fille d'un immigrant italien venu s'établir au Québec alors qu'il avait 27 ans et qui a épousé une Québécoise. Ils ont eu trois enfants dont je suis l'aînée. Née au Québec, j'ai grandi dans la ville de Québec. Durant mon enfance, j'ai évolué à l'intérieur de deux cultures, en ce sens que, bien sûr, j'étais au Québec avec la société québécoise, mais mon père – qui ne parlait pas français quand il est arrivé – a ouvert un restaurant à Québec qui a été très connu pendant 43 ans. Son restaurant est devenu une institution québécoise où j'ai travaillé également pendant environ 15 ans en ayant commencé très jeune. J'ai évolué dans un milieu assez québécois, tout en ayant en parallèle cette communauté italienne que mon père fréquentait et qui était présente parmi nous. Ainsi, je me décrirais aujourd'hui comme appartenant aux deux mondes : québécois et italien.

Après mes études de droit à l’université Laval, j’ai été admise au Barreau du Québec en 1986. Dès lors, j’ai commencé ma carrière chez Martineau Walker (aujourd’hui Fasken) à Québec, puis à Montréal. J’ai d’abord été engagée en litige commercial et j’ai rapidement intégré la section du droit de la famille où une avocate renommée m’a formée. Au départ, mon intention était de travailler dans les deux départements, mais la demande dans la section du droit de la famille a explosé. Un an après mon arrivée à Montréal, j'ai intégré à 100 % la section du droit de la famille.

En 1993, après avoir rencontré mon mari, un citoyen de Montréal installé à Québec, j’ai décidé de retourner vivre à Québec. J’ai alors travaillé chez Lavery De Billy (aujourd'hui Lavery) puis, en 1997, j'ai décidé de devenir travailleur autonome. À ce moment-là, j'avais deux très jeunes enfants. Je voulais continuer à travailler tout en gérant mon horaire de façon plus souple. Pour être brève, je me suis associée à une autre avocate dans une situation similaire à la mienne et ensemble, nous avons créé le département du droit de la famille et des personnes au sein du cabinet Tremblay Bois Mignault Lemay (aujourd'hui Tremblay Bois). Une entente nous a permis d’évoluer de façon autonome tout en bénéficiant de la structure administrative du cabinet.

Autour de 2004-2005, je me suis retrouvée face à une situation délicate alors que mon mari, également avocat en droit de la famille et des personnes, évoluait au sein de la même clientèle que moi. Cela constituait tout un défi d’éviter les conflits d’intérêts dans une petite ville comme Québec. Après réflexion, nous avons décidé de travailler ensemble et j’ai rejoint son cabinet qui s’appelait alors Garneau Verdon Michaud Samson (aujourd'hui Verdon Armanda Gauthier). Je n’y suis cependant pas restée longtemps, car j’ai été nommée juge à la Cour supérieure en novembre 2006. J’ai postulé parce qu'on m'a invitée à le faire et je me suis dit que je devais tenter ma chance tout en gardant la tête froide, car ce n'est pas parce qu'on postule qu'on est nommé.

C'est ainsi que je suis arrivée à la Cour supérieure deux ans plus tard, à l’âge de 43 ans. Puis, en 2009, je suis devenue responsable de la chambre de la famille du district de Québec, fonction que j’ai occupée jusqu’à ma nomination comme juge en chef associée de la Cour supérieure du Québec en 2019.

Quelle expérience dans votre carrière juridique vous a le mieux préparée pour votre travail au sein de la magistrature?

Ma carrière d'avocate en droit de la famille et des personnes s'est construite autour d’une pratique traditionnelle : plaider lorsque nécessaire et privilégier le règlement à l'amiable quand cela est possible. Au fil du temps, j’ai développé une clientèle qui partageait cette approche, ce qui m’a permis d’exercer en cohérence avec mes valeurs. Le premier principe que la juge Pierrette Rayle m’a inculqué est le suivant : « n'oubliez jamais que ce que vous vendez, c'est votre réputation. Il n'y a aucun client qui mérite que vous ayez autre chose en tête. Le client vous choisit, mais vous aussi vous choisissez votre client ». Cette philosophie a marqué ma pratique et m’a permis d’attirer une clientèle à la recherche de conseils avisés et d’une approche équilibrée dans la gestion de leur séparation.

Ce qui m’a également été utile comme juge est que j’ai développé d'excellentes relations basées sur la confiance avec la majorité des collègues avec qui j’ai travaillé au fil du temps dans ma pratique comme avocate, autant à Montréal qu’à Québec.

J’ajouterai le développement des modes alternatifs de résolution des conflits. J’ai fait partie du premier groupe de droit collaboratif quand cette approche est arrivée il y a plusieurs années. Je m’y suis très vite intéressée et j’ai suivi ma formation en médiation familiale pour devenir médiatrice accréditée, tout en continuant la pratique. Je trouvais important, en tant qu’avocate, d’avoir plusieurs volets de services à offrir à mes clients pour pouvoir répondre à un éventail élargi de besoins. J’ai aussi beaucoup écrit et donné de formations, autant à des avocats et avocates qu’à des juges ainsi qu’au public en général. J’ai toujours énormément cru à la communication et à une formation continue de haut niveau.

Enfin, je trouve qu’en plus de mon expérience professionnelle, le soutien que j’ai reçu de ma famille m’a énormément aidée à me préparer pour la magistrature. Quand j’ai appris que ma nomination à la division de Québec de la Cour supérieure exigerait que je voyage régulièrement vers des régions éloignées, j’ai eu un petit choc au départ. Avec des enfants encore jeunes et un mari très occupé, je me suis demandé comment nous allions nous organiser. Mais heureusement, nous avons trouvé une solution et mon père y a joué un rôle essentiel. Chef cuisinier de haute gamme, il venait de prendre sa retraite et s’est chargé de préparer et d’apporter chaque semaine des repas faits maison pour ma famille pendant mes absences. Grâce à lui et au support de mon mari, nos enfants n’ont eu à se soucier de quoi que ce soit sur le plan des repas. Cette stabilité à la maison m’a permis de me consacrer pleinement à mes fonctions de juge et avec le recul, je réalise à quel point leur soutien a été précieux dans mon parcours.

Quels conseils donneriez-vous aux juristes qui comparaissent devant vous?

Le conseil que je donnerais aux avocats qui viennent devant moi est d'être bien préparés, capables de répondre aux questions du Tribunal et s’ils ne connaissent pas la réponse, d’indiquer la possibilité d’aller chercher l'information. Si le Tribunal pose une question comme : « vous m'avez dit ceci, mais une autre école de pensée soutient le contraire. Qu'avez-vous à dire là-dessus ? », j'apprécie particulièrement l'avocat qui répondra : « oui, madame la juge, il est vrai qu'il existe deux écoles de pensée. Ce que vous dites est tout à fait exact, mais selon moi, la première s'applique ici et voici pourquoi ».

Soyez aussi conscients que votre réputation, c'est votre capital de carrière. C'est ce que vous avez à vendre si vous voulez avoir une carrière agréable en harmonie avec vos valeurs. On dit qu’une réputation prend des années à se construire et cinq minutes pour la détruire.

Si vous avez des éléments moins favorables pour votre client, c'est souvent préférable de les aborder tout de suite que d'attendre que la partie adverse contrôle le débat. Il est donc important d’anticiper la théorie de la partie adverse. Puis, le plus important, le principe qui soutient tout : préparer votre théorie de la cause. C'est incroyable à quel point cela est utile et je vous dirais que ce n'est pas tous les avocats qui le font.

J’ajouterais aussi l’importance d’être courtois et respectueux en salle d’audience. Dans des dossiers très tendus, il arrive que des avocats entrent dans la salle eux-mêmes sous tension. Il faut garder en tête que bien que notre rôle en tant qu’avocat soit de défendre la position de notre client, il existe une manière respectueuse et professionnelle de le faire qui permet un véritable travail d’équipe où chacun joue un rôle essentiel pour assurer le maintien d’une justice de qualité. Le juge fait son travail, les avocats font le leur et à la fin de la journée, tous devraient pouvoir se dire : « merci beaucoup, cela a été une collaboration agréable », même dans un dossier difficile. Je m’attends à ce que le professionnel soit l’adulte dans la pièce. Un client peut parfois être plus rigide ou émotif, mais c’est au professionnel de garder son sang-froid. Ce comportement, cette maturité sont très appréciés par l’ensemble de l’équipe.

Que souhaiteriez-vous que le public sache au sujet du système de justice?

Ils sont chanceux d’être au Canada et très certainement au Québec. Mes remarques s’adressent à l’ensemble des tribunaux du Québec, mais c’est la Cour supérieure que je connais le mieux. Si j’avais à m’adresser aux citoyens, je leur dirais qu’ils ont la chance d’évoluer dans un système de justice impartial où la règle de droit sert de boussole. Ils ont aussi accès à une justice de qualité, rendue par des juges qui ont à cœur de répondre aux besoins des citoyens qui s’adressent à eux. Ces juges rendent des décisions en toute impartialité ou interviennent autrement, par exemple dans le cadre d’une conférence de règlement à l’amiable. Évidemment, aucun système n’est parfait, mais dans les circonstances, nous avons un système de justice solide qui fonctionne bien. Et quand on regarde ce qui se passe ailleurs dans le monde, il ne faut surtout pas le tenir pour acquis.

Si j’avais un souhait à formuler, ce serait que davantage de citoyens prennent conscience de la valeur du travail que nous faisons et qu’ils réalisent à quel point il est essentiel de protéger notre système de justice. C’est d’ailleurs dans cette optique que plusieurs juges de la Cour supérieure se déplacent dans les écoles pour expliquer les fondements de notre système de justice. Nous cherchons également à rejoindre les membres de la communauté en général pour leur expliquer ce qu’est réellement notre système de justice et pourquoi il est important d’en être fier et de le défendre.

On entend parfois des critiques sur la justice. Heureusement, elles sont rares, mais il arrive que des juges soient critiqués publiquement. Il faut faire attention à cela. Bien sûr, il peut arriver que certaines décisions ou situations ne se déroulent pas comme on l’aurait souhaité, mais il faut toujours prendre du recul et considérer l’ensemble du système plutôt que de se focaliser uniquement sur des cas isolés. Ces situations particulières doivent être connues et c’est mon rôle, en tant que juge en chef associée, d’en être informée afin d’intervenir si nécessaire. Mais de manière générale, si on parle du système dans son ensemble, il faut le protéger. Et pour pouvoir le protéger, d’abord, il faut mieux le comprendre pour réaliser que le système de justice est la colonne vertébrale de notre démocratie.