Quel a été votre cheminement dans le monde du droit et de la magistrature?
Mon histoire n’est en aucun cas unique et trouvera probablement écho dans de nombreuses familles d’immigrants de première génération. J’ai dit par le passé que mon cheminement à la magistrature a suivi un tracé improbable. Alors que je pense de nouveau à mon enfance et mon adolescence, je ne peux m’empêcher d’en faire le bilan, de m’émerveiller encore une fois et de reconnaître que sans l’encouragement et le soutien d’innombrables personnes, je ne serais pas ici aujourd’hui. C’est une reconnaissance de l’importance de la famille, du mentorat et du parrainage.
Quand j’étais enfant, je suis arrivée d’un pays en développement, j’ai connu des difficultés avec la langue, on m’a diagnostiqué à tort un trouble d’apprentissage et j’ai vécu de l’aide sociale dans des logements subventionnés avec cinq jeunes frères et sœurs et une mère monoparentale. J’étais l’aînée, avec tout ce que cela impliquait. Ma grand-mère, orpheline elle-même, et ma mère accordaient toutes deux une grande valeur à deux choses : l’entraide et l’éducation. Avec ces préceptes, et en dépit de nombreux défis à surmonter, j’ai toujours été clairement éveillé à l’importance de l’éducation, quels que soient les défis.
Étant la première de ma famille à fréquenter l’université, je n’avais pas de modèle, mais ce manque ne constituait pas un obstacle parce qu’à chaque niveau, quelqu’un me prenait toujours sous son aile et m’encourageait à aller de l’avant. J’ai d’abord pensé faire carrière en politique. Après avoir fait des recherches et découvert que de nombreux politiciens avaient un diplôme en droit, j’ai pensé que c’était la voie à suivre. J’ai fini par obtenir en même temps des diplômes avec distinction en sciences politiques et en français. J’ai eu la chance d’avoir une place au programme de stages convoité pour ce premier diplôme, ce qui m’a donné l’occasion de travailler à Ottawa pendant deux étés dans deux ministères. Aussi, le hasard faisant bien les choses, j’ai également gagné un concours de la faculté de français pendant ma quatrième année d’études, ce qui m’a donné l’occasion d’enseigner pendant un an l’anglais à un lycée en France. Avec une certaine appréhension, j’ai retardé d’un an mon entrée à la faculté de droit pour me réajuster parce que j’avais décidé qu’une carrière en politique ne faisait plus partie de mon plan de match. D’autre part, mon stage à Ottawa m’a permis de travailler de façon bilingue et m’a également donné l’occasion de m’occuper de projets de recherche intéressants, d’analyser de l’information et de rédiger des rapports, toutes des tâches que, assez étonnamment, j’ai bien aimées. Avec le recul, je me rends compte que la décision de pratiquer le droit s’est prise de manière tout à fait naturelle et sans heurt.
Avant ma nomination, armée des principes que m’ont inculqués ma grand-mère, ma mère et plus tard une tante bien-aimée, j’ai entrepris de nombreuses activités bénévoles dès l’école secondaire. Puisque mes activités de bénévolat comprenaient toujours un aspect d’enseignement ou de mentorat, devenir instructrice à l’école du Barreau, dans le programme des compétences et de la responsabilité professionnelle, était une progression naturelle pour moi. Dans les premiers temps, j’ai été instructrice pour les cours de recherche, de litiges civils et de responsabilité professionnelle, des domaines qui étaient en harmonie avec ma pratique privée. Au fil des ans, j’ai fait du bénévolat pour des associations professionnelles de barreaux (assumant progressivement des rôles de leadership dans certaines d’elles) et j’ai continué, dans une certaine mesure, à faire du bénévolat dans la collectivité. Les gens que j’ai rencontrés pendant mes activités bénévoles, notamment des juges, qui m’ont encouragé à postuler à la magistrature, sont les personnes qui, de loin, m’ont été les plus utiles dans mon cheminement.
Quels conseils donneriez-vous aux juristes qui comparaissent devant vous?
Tout ce que je peux dire à ce sujet se résume à un mot : « réputation ». Les juristes devraient toujours examiner la façon dont leurs paroles et leur comportement ont une incidence sur leur réputation. Cela commence bien avant de comparaître dans la salle d’audience, car les paroles, actes ou comportements, qu’ils se traduisent à l’oral ou à l’écrit, peuvent être pleinement exposés pour tous, y compris les clients, pendant une audience. Il va sans dire que les juristes peuvent être des défenseurs féroces tout en faisant preuve de courtoisie. Ils peuvent prendre des positions fermes tout en sachant faire des concessions (si cela ne porte pas préjudice à leur client). Ils ne devraient jamais induire le tribunal en erreur. Il est peut-être beaucoup plus précieux pour les juristes de gagner la confiance et le respect de la magistrature, de leurs collègues et de leurs adversaires que de remporter une victoire à la Pyrrhus.