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Provoquer le changement sans attendre le moment opportun

29 octobre 2020

Remarque : cet article a été initialement publié le 30 septembre 2020 par The Lawyer’s Daily, une division de LexisNexis Canada.

Par Jennifer Taylor

Le soir où Ruth Bader Ginsburg est décédée, j’ai maudit 2020 pour la énième fois, puis j’ai rempli mon devoir de partager une photo ayant pour légende l’une de ses dernières paroles : [traduction] « Mon souhait le plus cher est de ne pas être remplacée avant l’arrivée d’un nouveau président ».

Le lendemain, je me suis rendu compte que je n’étais pas d’accord avec RBG, et ce n’était pas la première fois.

Lutter à propos de la date de son remplacement plutôt que sur qui lui succédera reviendrait à transformer l’hypocrisie des républicains de 2016 (lorsque la majorité du Sénat a refusé de tenir une audience de confirmation pour le candidat proposé par le président Obama, Merrick Garland) en une sorte de convention constitutionnelle qui finira un jour par se retourner contre les démocrates.

Celles et ceux qui appuient la lutte pour qu’aucune confirmation ne soit faite avant l’inauguration d’un nouveau président (dont ma chère Elizabeth Warren) risquent également de perdre de vue le tableau d’ensemble. Soyons clairs : si le décès d’une ou d’un juge a le pouvoir de faire pencher la balance quant à l’avenir du droit à l’avortement aux États-Unis, c’est que trop de choses ont mal tourné et trop de systèmes sont devenus pourris. Or, c’est exactement ce qui pourrait arriver maintenant que RBG risque d’être remplacée par « ACB », soit Amy Coney Barrett, l’une des candidates favorites des groupes antiavortement.

Et il n’est pas seulement question du droit à l’avortement.

Comme Rebecca Traister l’a écrit dans The Cut, [traduction] « en l’absence de structure en matière de sécurité, il devient beaucoup plus facile de focaliser sur des personnes, que ce soit des héros ou des vilains, que de se pencher sur ce qui ne va pas et ce qui doit être corrigé ». Il est facile de désigner RBG comme la bonne héroïne et ACB comme la méchante vilaine, mais mettre en œuvre une révolution à grande échelle, non.

Je pensais que voter permettrait peut-être aux États-Unis de corriger ce qui ne va pas, mais élire Joe Biden et Kamala Harris ne permettra pas de guérir complètement les malaises qui ont permis l’avènement d’un Donald Trump. De surcroît, le droit de vote aux États-Unis, déjà fragilisé par le redécoupage partisan des circonscriptions électorales et les restrictions fondées sur l’appartenance ethnique, n’a de valeur que si les tribunaux acceptent de le protéger. Si Trump fait de son mieux pour « semer le doute » quant à l’intégrité des élections (en les qualifiant de « grosse arnaque »), le moment choisi pour la nomination de la juge Barrett vise également à s’assurer que la magistrature lui est favorable s’il perd et décide de contester les résultats. Ce ne serait pas la première fois que la Cour suprême tranche entre deux candidats (vous vous souvenez de Bush c. Gore?) ou alors intervienne pour assouplir la protection du droit de vote.

Dans l’arrêt Shelby County v. Holder, la majorité a invalidé la principale disposition relative à l’application de la loi Voting Rights Act. (Voilà un exemple parmi d’autres du « long historique de régression » de la Cour suprême, comme dirait Keeanga-Yamahtta Taylor.) Dans son opinion dissidente, la juge Ginsburg a qualifié cette loi de [traduction] « l’un des moyens les plus importants, efficaces et amplement justifiés du pouvoir législatif fédéral de l’histoire de notre pays » de protéger « le droit de vote contre la discrimination raciale ». Comme elle l’a reconnu, le droit de vote est à la base de tous les autres droits.

Revenons en 2020. La juge Barbara Lagoa, l’autre candidate favorite à la succession de RBG, a récemment décidé, avec une majorité de ses collègues, de confirmer la constitutionnalité d’une loi en Floride qui restreindrait le droit de vote des personnes reconnues coupables de crimes graves si elles n’acquittent pas leurs amendes en souffrance auprès de l’État. (Et ce, après que les Floridiens eurent voté en 2018 pour invalider l’interdiction de voter pour les personnes reconnues coupables de crimes graves.) Selon le Washington Post, cette décision risque d’empêcher 85 000 personnes [traduction] « de voter en novembre. Donald Trump a remporté cet État en 2016 par moins de 113 000 voix ».

Par conséquent, tant que le droit de vote n’est pas véritablement équitable, il ne peut être considéré comme une solution miracle. Bien que nous ayons encore besoin d’élus en qui nous pouvons avoir confiance (comme l’a prouvé la pandémie), l’organisation communautaire se révèle encore plus nécessaire. Pour citer une autre fois Keeanga-Yamahtta Taylor : [traduction] « C’est grâce à des actes de solidarité et des luttes que nous avons réussi à faire reconnaître nos droits et libertés aux États-Unis et, selon la tournure des événements à venir, c’est de cette façon que nous devrons les défendre. Autrement dit, il faudra lancer des mouvements pour faire pression sur une Cour suprême de plus en plus conservatrice et, ainsi, empêcher cet organe d’attenter davantage aux droits des gens ordinaires. »

Il en va de même pour le Canada.

Ici, à Halifax, des élections municipales auront lieu le 17 octobre. Sans grande surprise, les services policiers représentent l’un des enjeux majeurs de cette élection.

J’ai eu la chance de faire partie du Nova Scotia Policing Policy Working Group, une coalition d’organismes communautaires et de citoyens inquiets qui propose des réformes législatives et élabore des politiques relatives aux services policiers de la province. Au nombre de ses projets, le groupe de travail a envoyé un sondage à tous les candidats des prochaines élections afin de connaître leur opinion sur le budget municipal consacré aux services policiers, le mouvement visant à mettre un terme au financement de la police, la disposition de la Municipal Elections Act qui interdit aux personnes incarcérées de voter (vous voyez? Cette situation n’est pas propre à la Floride), et plus encore.

Ce genre de travail communautaire sur le terrain, axé sur le changement systémique (mais aussi sur les rouages de la rédaction de communiqués de presse, de l’envoi de courriels et de la collecte de résultats de sondages), me procure une lueur d’espoir lorsque le désespoir tente de s’emparer de moi, comme depuis le décès de RBG.

Dans sa plus récente infolettre, Ann Friedman fait le lien entre l’héritage de Ruth Bader Ginsburg et de Breonna Taylor, qui a été tuée par la police de Louisville en mars dernier. [Traduction] « J’essaie de me pencher vers un ensemble de scénarios plus ambitieux, écrit-elle. Et si l’on faisait de l’idéal véhiculé par le terme justice une réalité partagée par tous? »

Nous ne parviendrons certainement pas à échapper au chaos de 2020 ni à faire de la justice la réalité de tout le monde si nous ne faisons pas preuve d’ambition et d’imagination. Voilà deux qualités dont RBG ne manquait pas. Puisse sa mémoire révolutionner le monde.

Jennifer Taylor est avocate à Halifax, en Nouvelle-Écosse, et agente des communications du Forum des avocates de l’ABC. Vous pouvez la retrouver sur Twitter avec son nom d’utilisateur @jennlmtaylor. Les opinions exprimées dans cet article lui sont propres.