NOTE : Cet article a été publié à l’origine en anglais le 30 mai 2019 sur le site Web The Lawyer’s Daily par LexisNexis Canada Inc.
Une histoire de tampons hygiéniques gratuits peut en dire beaucoup sur les valeurs d’un système juridique.
Le mois passé, le ministère de l’Éducation de la Colombie-Britannique a publié une ordonnance ministérielle qui exigeait des commissions scolaires qu’elles mettent à la disposition de tous les étudiants et étudiantes (sans égard au genre) qui pourraient en avoir besoin des produits d’hygiène menstruelle. Dans un communiqué de presse, le ministre Rob Fleming a déclaré : « Il s’agit d’une mesure sensée vers ce qui, à mon avis, aurait dû se produire il y a longtemps ». Il a également fait remarquer qu’une étudiante sur sept avait manqué une journée d’école, ou encore à des activités sportives ou parascolaires, parce qu’elle n’avait pas accès à de tels produits.
Cette anecdote est un bon exemple pour illustrer la façon dont les objectifs des féministes – dans le cas présent, l’objectif est le libre accès à des produits d’hygiène menstruelle – peuvent être intégrés à notre système de justice par le biais d’une mesure aussi simple qu’une ordonnance ministérielle.
Le gouvernement fédéral peut maintenant emboîter le pas de la Colombie-Britannique en fournissant gratuitement ces produits dans les lieux de travail du gouvernement. (Ce n’est pas seulement le gouvernement féministe du premier ministre Justin Trudeau qui a exploré cette politique relative aux règles, les conservateurs de Stephen Harper étant au pouvoir lorsque ces produits ont été exonérés de la TPS en 2015, bien que ce changement de politique ait suivi le dépôt d’une motion par le NPD.)
Ces mesures gouvernementales montrent une compréhension du fait que les citoyens et les citoyennes doivent avoir le contrôle de leur corps pour vivre la vie à laquelle elles aspirent, et que le droit est un outil précieux à l’atteinte de cet objectif. Les gouvernements doivent légiférer et les tribunaux doivent prendre des décisions de manière à donner une réelle signification aux droits tout en veillant à ce que les gens puissent accéder aux services dont ils ont besoin pour exercer ce contrôle, sans honte ni marque d’infamie. Ça vous rappelle quelque chose?
Je fais en effet allusion à l’avortement. (Toutes les conversations tournent autour de ce thème ces jours-ci. Comment pourrait-il en être autrement?)
Depuis quelques années, les gouvernements canadiens ont de plus en plus tendance à augmenter l’accès à l’avortement. Depuis 2016, l’avortement est à nouveau offert à l’Î.-P.-É., ce qui fait suite à une contestation constitutionnelle du refus de longue date de la province de refuser la prestation de ce service. En 2017, le gouvernement de la Nouvelle-Écosse, admettant qu’il n’y avait pas de fondement juridique obligeant que les avortements soient recommandés par un médecin, a mis sur pied un service de téléassistance. En avril 2019, Santé Canada a retiré l’exigence de procéder à un ultrason avant la prescription de Mifegymiso (un produit qui combine deux médicaments utilisés pour mettre fin à une grossesse).
La semaine passée seulement, la Cour d’appel de l’Ontario a soutenu la politique « d’aiguillage efficace » de l’Ordre des médecins et chirurgiens, en vertu de laquelle les médecins qui refusent de pratiquer l’avortement ou d’offrir d’autres services médicaux (prétendument controversées) pour cause de croyances religieuses doivent diriger les patientes à un fournisseur de soins de santé qui est prêt à offrir ces services.
Malgré l’existence de ces politiques, on ne peut se réjouir trop rapidement, car ces gains semblent encore trop fragiles.
Et pour cause! Dans de nombreux États de nos voisins du sud, la loi s’est transformée en arme contre les droits génésiques. L’Alabama, comme nous en avons eu vent, vient tout juste d’adopter une loi qui interdirait presque tous les avortements (nous nous croisons les doigts pour qu’un tribunal accorde une injonction désamorçant l’entrée en vigueur de la loi). Plusieurs États ont adopté des lois qui rendront illégaux les avortements après six semaines, soit à un moment où la plupart des personnes visées ne sauront même pas qu’elles sont enceintes (ne tombez pas dans le piège des « projets de loi de battements de cœur » à moins que vous croyiez qu’un être de la taille d’un grain de grenade possède réellement un cœur qui fonctionne).
La liste s’étire et s’étire désespérément. Les législateurs et militants antiavortement qui prônent ces initiatives savent que ces lois sont anticonstitutionnelles sous le régime du droit actuel des États-Unis, mais ils espèrent que les efforts qu’ils déploient porteront le litige jusque devant la Cour suprême des États-Unis et que celle-ci invalidera Roe v Wade et Planned Parenthood v Casey.
Selon moi, les comparaisons avec La Servante écarlate sont plus qu’évidentes. Comme Jill Filipovic l’a récemment fait valoir dans Vanity Fair, l’interdiction de l’avortement révèle que les administrations de ces États valorisent réellement le contrôle des femmes.
Toutefois, comme peut nous le démontrer une simple anecdote canadienne concernant la gratuité des produits d’hygiène menstruelle, le droit n’a pas à être une force du mal. Les politiques des gouvernements ne doivent pas servir à occulter la misogynie. Les décisions que rendent les tribunaux doivent renforcer les droits et non pas les supprimer.
Nous avons de la chance de pouvoir bénéficier de protections relativement solides en matière de droits génésiques au Canada. Cependant, des élections fédérales approchent à grands pas, et certains politiciens et groupes de notre pays souhaitent faire du Canada un nouvel Alabama. Nous ne pouvons rester les bras croisés.
S’il y a un fil conducteur entre ces histoires des deux côtés de la frontière, c’est que le droit est ce que nous en faisons. Créons donc un droit féministe.
Jennifer Taylor est une avocate-recherchiste chez Stewart McKelvey.