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Critique de livre – Fairly Equal: Lawyering the Feminist Revolution

25 juin 2019

Note : Cet article a d’abord été publié (en anglais) dans Supreme Advocacy, le 16 mai 2019. Il est à nouveau publié avec l’autorisation de l’auteure. Cette version a été légèrement modifiée pour en réduire la longueur.

Là où il y a de grands obstacles, il y a souvent de grandes possibilités. Dans FAIRLY EQUAL: Lawyering the Feminist Revolution, Linda Silver Dranoff raconte une histoire vivante couvrant quatre décennies qui traite aussi bien de son vécu que de la typique course à obstacles canadienne. Elle a donc choisi d’écrire des mémoires personnelles, non pas à titre de simple témoin, mais en tant que « participante consciente », comme le mentionne Ursula Franklin dans l’avant-propos. Le livre commence à une époque de restrictions, où l’on attendait des femmes qu’elles se contentent de leur rôle d’épouse et de mère. C’est son père qui l’a encouragée à ne pas attendre. Ainsi, à vingt-neuf ans, divorcée et mère monoparentale, Mme Dranoff est entrée à la faculté de droit. Le processus de stage s’est avéré une expérience éprouvante à partir du moment où l’associé principal du cabinet où elle était stagiaire l’a licenciée parce qu’il ne pouvait supporter qu’on lui rappelle constamment son manque de préparation et son inaptitude en cour. Toutefois, à l’instar d’autres expériences où elle a été exclue, cela lui a permis de constater qu’exercer le droit seule en cabinet privé est la meilleure façon de pratiquer le droit, soit, sans patron, où personne ne se met en travers de votre chemin à mesure que vous gravissez les échelons. Elle a pris sa vie et son parcours juridique en main. « N’attendez pas une permission » est l’une des leçons à tirer de ce livre.

Il n’est pas étonnant qu’il ait fallu à Mme Dranoff dix ans pour pondre cet ouvrage. Il est dense, il regorge d’exemples sur la course à obstacles et il décrit les aptitudes requises pour surmonter ce défi, ce qui est presque impossible à synthétiser ou à passer en revue.

Ainsi, pour être juste avec FAIRLY EQUAL, voici quelques exemples de ce qui m’a le plus interpellée. Linda Silver Dranoff décrit les attitudes envers les femmes qui ont tout au long de l’histoire miné la nouvelle Loi portant réforme du droit de la famille, dont l’objectif était l’atteinte de l’équité pour les femmes. Elle présente la façon dont les juges ont exercé leur pouvoir d’interprétation discrétionnaire pour ignorer l’intention apparente, soit la contribution égale des hommes et des femmes au mariage, et pour favoriser une notion héréditaire selon laquelle les biens d’un homme lui appartiennent en propre et n’ont pas à être partagées. Elle a agi comme avocate dans l’affaire Leatherdale c. Leatherdale [1982 2 RCS 743, 30 R.F.L. (2d) 225 (CSC); (1980, 31 O.R. (2d) 141, (1980), 19 R.F.L. (2d) 148 (Ont. C.A.); (1980) 14 R.F.L. (2d) 263 (HC)], dans le cadre de laquelle le plus haut tribunal de notre pays avait une occasion unique de changer la vie de Mme Leatherdale et d’autres femmes, mais où il a plutôt choisi de lui accorder un quart des biens en se fondant sur une notion de somme, en conformité avec la « contribution », alors qu’aujourd’hui, elle aurait eu droit à la moitié des biens. Mme Dranoff rappelle son intervention controversée à la Cour suprême du Canada, et affirme que « les juges ont leurs propres perceptions et opinions, et le pouvoir de les mettre en œuvre; ils examinent les faits d’une manière qui fait valoir leur point de vue et démontre ce qu’ils veulent prouver. » Ce commentaire fait allusion à la conception erronée du juge en chef de l’époque, Bora Laskin, à l’égard de l’argument qu’elle présentait.

Tout cela m’a d’abord découragée. Je me suis ensuite sentie ragaillardie lors de la lecture du passage où Mme Dranoff et d’autres juristes défendent leur position, ne lâchent pas prise et font en sorte que la loi soit modifiée à nouveau pour intégrer de façon plus manifeste le concept de l’égalité.

Les descriptions de certaines des pires affaires avec lesquelles Mme Dranoff a dû composer, comme des conjoints nantis qui utilisent des juristes et des comptables comme des « tueurs à gages » pour trouver des moyens (comme l’interposition de fiducies) de ne rien partager avec leur femme, m’ont rappelé certaines des causes les plus cauchemardesques dont je me suis occupé. Toutefois, alors que j’ai choisi de travailler dans un cabinet privé axé sur le droit collaboratif et la conciliation, Mme Dranoff est restée dans la mêlée, agissant le reste de sa vie comme une agente de changement et championne des droits.

Voici un résumé des questions que Mme Dranoff a traitées ou prises en charge, ou sur lesquelles elle a écrit : agressions sexuelles, nouvelles technologies de reproduction, réforme fiscale et réforme des pensions, travailleurs domestiques, femmes autochtones et égalité, sage-femme, médiation, harcèlement sexuel, responsabilité du fait de produits comme les implants mammaires, protection des droits à l’égalité dans l’ère de la privatisation, immigration, droit de la famille, violence contre les femmes et les enfants, traite de personnes, environnement, équité salariale, femmes en politique, discrimination fondée sur la grossesse, garderies, et plus encore.

L’auteure raconte également comment le travail qu’elle a été en mesure d’accomplir, les gens qu’elle a aidés au cours de sa longue carrière ainsi que les changements qu’elle a apportés et auxquels elle a participé lui ont donné l’énergie dont elle avait besoin.

Pour moi, la plus grande leçon à retenir, issue du dernier chapitre, « Over to you », est l’idée qu’une personne peut vraiment changer les choses :

[TRADUCTION] Les efforts visant à apporter des changements favorables aux femmes ont souvent commencé par l’idée d’une personne ou d’un petit groupe qui a fait preuve de détermination. Selon moi, voilà comment les transformations ont lieu. Une personne a une vision et est déterminée à créer un monde meilleur. Cette vision fait ensuite consensus auprès de compatriotes qui sont sur la même longueur d’onde. J’encourage les gens qui nous suivent à en faire de même, à ne jamais remettre en question ce que peut accomplir une seule personne, mais plutôt à se convaincre de ce qu’il faut faire et à décider des mesures à prendre pour apporter sa contribution.

La première étape consiste à établir des objectifs. Aucun but n’a jamais été atteint sans d’abord avoir été conçu. Mme Dranoff déclare en toute simplicité, vers la fin du livre : [traduction] « Je me suis donné comme objectif de m’assurer de laisser un compte rendu historique sur les époques que j’ai traversées et de conserver des documents d’archives personnels ». Elle fait bien plus que cela. Elle partage avec nous ce qu’elle a appris au cours des années où elle a travaillé comme militante et activiste, aussi bien pour les hommes que pour les femmes, précisant notamment que, pour conserver nos gains et continuer d’accomplir des choses, il nous faut être méfiants, vigilants et proactifs.

Linda Silver Dranoff nous fait un grand cadeau en publiant ce livre. Ainsi, si vous pouvez faire une seule chose, procurez-vous ce livre et donnez-le à des jeunes. Je suis passée par là. J’ai vécu cela. Découvrez maintenant ce que vous pouvez faire.

Darlene Madott est une auteure et une avocate œuvrant dans le domaine du droit de la famille à Toronto.
www.DarleneMadott.com
madott@dmfamilylaw.net