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Peuvent-ils le filmer? La télévision en circuit fermé et la législation sur la vie privée

23 avril 2018

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Le 27 janvier, le promoteur d’une boîte de nuit était poignardé à mort (disponible uniquement en anglais). Depuis, le public demande au conseil municipal de Vancouver de sécuriser le Granville Entertainment District. Des centres commerciaux, des bars et des entreprises s’y côtoient pour faire de ce quartier l’un des plus animés du centre-ville. En 2010, un système de surveillance a été temporairement installé en vue des Jeux olympiques, principalement par la GRC, mais a suscité une controverse importante et a été enlevé à la fin des Jeux. Aujourd’hui, en vertu d’une récente motion (disponible uniquement en anglais), la ville examine un certain nombre de mesures de sécurité, notamment la remise en service des systèmes de vidéosurveillance dans le quartier. Elle étudie actuellement l’idée en collaboration avec les parties prenantes, dont le commissaire à la vie privée de la Colombie-Britannique (qui examine également de très près des propositions similaires pour Richmond, Terrace et Kelowna - disponible uniquement en anglais).

Outre les questions de l’efficacité et des coûts, la perspective d’une vidéosurveillance étatique soulève des questions intéressantes en matière de protection de la vie privée. D’un côté, elle devrait se conformer à la législation provinciale sur la protection des données. De l’autre, elle soulève des questions liées à la constitutionnalité des perquisitions et saisies.

Autoriser l’utilisation de caméras en vertu de la législation sur la protection de la vie privée

La Freedom of Information and Protection of Privacy Act de la Colombie-Britannique pourrait s’appliquer à un hypothétique système de vidéo à Vancouver. L’expression [traduction] « entité publique » inclut des pouvoirs publics locaux, et les renseignements personnels sont [traduction] « des renseignements enregistrés, autres que ses coordonnées, concernant une personne reconnaissable », ce qui inclurait des enregistrements d’une personne soit sous forme audio, soit en format vidéo, ou les deux (annexe 1).

En vertu de cette loi, la collecte de données n’est autorisée qu’à certaines fins. Les deux qui pourraient être envisagées sont la collecte aux fins de maintien de l’ordre public et la collecte de renseignements directement liés à un programme ou à une activité et nécessaires à son déroulement (art. 26).

La première fin ne justifierait probablement pas un enregistrement proactif, car le libellé a été interprété comme ne renvoyant qu’à des enquêtes spécifiques (disponible uniquement en anglais) déjà en cours (p. 3-4). Étant donné qu’un système vidéo enregistrerait probablement en continu pour pouvoir révéler des crimes futurs encore inconnus, il ne serait pas couvert. L’autre fin exigerait de la municipalité qu’elle établisse que la surveillance est nécessaire aux fins de ses activités. Dans des décisions antérieures, le Commissaire à la vie privée a interprété cela comme un seuil élevé (disponible uniquement en anglais) exigeant des éléments de preuve considérables et très solides, bien que ne signifiant pas que les données doivent être absolument nécessaires à la réalisation de son travail par cette instance publique (p. 4).

Si la municipalité peut justifier la nécessité, un système de surveillance adéquatement conçu pourrait être compatible avec le reste de la FOIPPA. Les dispositions de la Loi autorisent une utilisation correspondant aux fins de la collecte et de la communication à d’autres organismes publics si les données s’avèrent pertinentes à une enquête (art. 32, al. 33.2(i)). La FOIPPA pourrait imposer certaines restrictions quant aux modalités de la collecte des données (art. 27), mais la principale difficulté que devrait résoudre la municipalité réside dans la justification même de la collecte. 

Utilisation des enregistrements dans le cadre d’instances pénales

Advenant la possibilité de la création légale d’un système de vidéosurveillance, cela pourrait ne pas être la fin des difficultés de nature juridique. Au moment de la rédaction du présent article, il ne semble pas que les tribunaux aient eu l’occasion d’envisager sous tous ses angles la question de savoir si l’article 8 de la Charte autorise une vidéosurveillance étatique de lieux publics en continu. Alors que les tribunaux pénaux canadiens ont désormais l’habitude d’examiner des enregistrements vidéo, ces derniers tendent à être présentés par des parties privées (magasins, gérants d’immeubles d’habitations, etc.) ou dans le cadre d’activités spécifiques de maintien de l’ordre.

Pour une personne, dont la poursuite est fondée en partie sur des enregistrements vidéo étatiques, qui souhaiterait faire exclure la preuve, la difficulté principale serait de savoir si les enregistrements peuvent tomber dans la catégorie des « perquisitions » effectuées par les pouvoirs publics. Contrairement aux enregistrements privés, les caméras des pouvoirs publics tombent plus clairement dans la catégorie des mesures étatiques prévues par la Charte.

Le critère pour qualifier une perquisition repose largement sur la question de savoir si les attentes de l’accusé en matière de respect de sa vie privée sont objectivement raisonnables (R. c. Patrick, au paragraphe 27). Maints facteurs différents peuvent entrer en jeu lors de cette analyse. Cependant, quelques-uns d’entre eux sont particulièrement importants dans le cas qui nous concerne. Militant contre le concept de « perquisition » est le fait que la surveillance a lieu dehors, là où un accusé sait qu’il est observé. Étant donné le fait que des lieux comme Granville Street sont extrêmement ouverts et publics, cela aurait un poids considérable. La nature des renseignements révélés serait un autre facteur important. Le tribunal demanderait si des détails biographiques intimes et confidentiels d’ordre personnel au sujet de l’accusé sont révélés. Les déplacements et les actes d’une personne dans la rue peuvent révéler beaucoup de choses à propos de sa vie quotidienne, telles que là où elle est, son apparence physique et les personnes avec lesquelles elle se trouve (particulièrement si des technologies de reconnaissance faciale devaient être utilisées). Cependant, par rapport à la plus grande partie des renseignements protégés par l’article 8 (provenant de maisons, de bureaux et d’ordinateurs), cela semble moins révélateur. Le contexte public et l’exposition limitée pourraient bien sonner le glas du succès à un recours à l’article 8.

Toutefois, deux importants facteurs militeraient en faveur du concept de « perquisition ». Tout d’abord, les tribunaux ont reconnu que les technologies d’enregistrement permettent une intrusion particulièrement profonde dans la vie privée (R. c. Duarte). L’enregistrement permanent, infaillible et infini produit par les appareils audio-vidéo les rend particulièrement plus révélateurs que les souvenirs de l’observation d’une personne. La Cour suprême de la Colombie-Britannique a récemment appliqué ce raisonnement lorsqu’elle a affirmé qu’une caméra de surveillance ininterrompue installée par la police (qui observait, à partir d’un lieu public, le jardin à l’arrière de la maison d’une personne soupçonnée de vendre de la drogue) viole l’article 8 (R. v. Wong - disponible uniquement en anglais). Ensuite, les enregistrements en l’absence de tout discernement de la part d’un système de caméras publiques pourraient conduire les tribunaux à faire montre d’une prudence particulière. Contrairement à l’enregistrement d’un suspect effectué par un policier, ce genre de caméra n’est motivé par aucun soupçon dirigé envers une personne en particulier. Elles enregistrent toute personne passant devant leur objectif, y compris celles qui se trouvent sur les lieux à des fins légitimes telles que pour le travail ou pour faire des courses. L’article 8 vise à prévenir les perquisitions injustifiées avant qu’elles ne surviennent, car les personnes qui sont innocentes ne seront jamais accusées ni ne se retrouveront devant un tribunal (R. c. Patrick au paragraphe 33). Étant donné l’ampleur du possible enregistrement et le manque de motifs spécifiques, les tribunaux devraient être prudents et ne pas accepter trop rapidement les caméras installées sans mandat, sans quoi ils pourraient renoncer à leur capacité d’imposer des limites sur la durée et la portée (p. ex., autoriser l’utilisation de caméras en cas d’augmentation dramatique de la criminalité, mais seulement quatre caméras pendant six semaines), comme ils pourraient le faire si un mandat était exigé.

Naturellement, d’autres questions se posent. La perquisition pourrait malgré tout être réputée raisonnable, l’enregistrement pourrait être recevable en vertu du paragraphe 24(2). Et pourtant, si l’enregistrement peut, avec succès, être qualifié de perquisition, il tombe sous le coup de la Charte et la question de savoir s’il peut être utilisé aux fins de poursuite devient très épineuse.

D’autres enjeux verront certainement le jour alors que les autorités locales se penchent sur cette question, mais les municipalités qui envisagent le recours à la vidéosurveillance pourraient bien s’apercevoir que leur assise juridique est moins solide qu’elle ne le semble.  

Dylan Williams est étudiant en droit à l’Université de la Colombie-Britannique