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En raison de la grande quantité des achats réalisés par les entités publiques, la probabilité du recours au même groupe de fournisseurs soulève la question épineuse du possible choix d’un soumissionnaire avec lequel elles ont, ou ont eu, des litiges. Certaines entités publiques ont recours à la stratégie qui veut qu’elles incluent systématiquement dans leurs documents d’approvisionnement une clause qui exclut du processus d’appel d’offres les entités qui sont (ou ont été) impliquées dans des poursuites judiciaires contre l’entité publique. Cette clause est fréquemment appelée « clause de représailles ». Un certain nombre de pouvoirs publics locaux ont officialisé cette pratique en l’insérant dans leurs politiques d’approvisionnement. Malgré son utilisation courante, la question de savoir si une telle pratique est légitime dans le contexte du processus d’approvisionnement fait l’objet de nombreuses discussions et suscite l’incertitude depuis longtemps.
La Cour suprême de la Colombie-Britannique a récemment examiné cette question dans l’affaire J. Cote & Son Excavation Ltd. v. City of Burnaby, 2018 BCSC 1491 (en anglais seulement) et tous les pourvois ont été rejetés. Dans ce dossier, l’appel d’offres de la ville de Burnaby autorisait cette dernière à rejeter toute soumission présentée par une partie qui participait, ou avait participé au cours des deux dernières années, à une instance judiciaire contre la ville. Cette clause de représailles avait empêché Cote, un entrepreneur en construction et en excavation, de déposer une soumission pour cet appel d’offres. Il avait été partie à un litige avec la ville en 2013 suite à l’effondrement d’un mur de soutènement; effondrement qui avait coûté la vie à l’un des employés de Cote. Les faits avaient eu lieu alors que Cote exécutait un contrat de travaux public passé avec la ville. Pendant le processus de règlement du différend, Cote a eu gain de cause. Cependant, la ville a refusé de se plier à la décision de l’arbitre (décision qui n’était pas exécutoire). Par conséquent, Cote a porté son litige devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Peu après le début de cette action, la ville a ajouté la clause de représailles dans son appel d’offres pour la réalisation de travaux municipaux.
La contestation, par Cote, de la clause de représailles de la ville était fondée sur deux motifs :
- une contestation de nature constitutionnelle selon laquelle la clause refusait à Cote un droit général d’accès aux tribunaux,
- la clause était contraire à l’ordre public.
Les deux arguments ont été rejetés. La Cour a affirmé que même si une clause de représailles peut, indirectement, décourager certains entrepreneurs d’exercer leurs droits d’ester en justice, cet effet n’établissait pas une violation de nature constitutionnelle. Se tournant vers la question d’ordre public, la Cour a appuyé la mise en œuvre, par la ville, d’une politique d’approvisionnement discriminatoire à condition qu’elle soit adoptée dans un but commercial ou d’affaire légitime et n’indique en aucune manière la présence de mauvaise foi.
Du point de vue des propriétaires, il semble raisonnable qu’ils ne souhaitent pas soumissionner pour un appel d’offres émanant d’une entité avec laquelle ils sont (ou ont été) en litige. Dans le domaine de la construction en particulier, tout effondrement de la relation entre le contractant et l’entrepreneur a de fortes chances de se répercuter sur la réalisation du projet dans les délais et les limites financières convenus. En revanche, les entrepreneurs qui ont eu gain de cause dans un litige antérieur considèrent probablement cela comme une injustice.
Astuces et enseignements
Lors de la rédaction de documents d’appel d’offres, les propriétaires d’une entité publique devraient
- tenir compte du fait que les documents peuvent inclure une clause qui disqualifie les soumissions d’entrepreneurs en litige avec le propriétaire,
- examiner leurs politiques et pratiques d’approvisionnement à ce sujet et l’actualiser au besoin pour veiller à ce que la politique corresponde aux pratiques, et vice versa,
- veiller à ce qu’une politique par laquelle est adoptée l’utilisation d’une clause de représailles ait un objet public valide et soit mise en œuvre de manière équitable et uniforme,
- examiner le libellé de la clause de représailles insérée dans le document d’approvisionnement pour veiller à ce qu’elle soit rédigée de manière appropriée et reflète suffisamment l’objectif de la politique.
Adrienne Atherton et Sonia Sahoto sont associées dans le cabinet Civic Legal LLP.