Note : À l’origine, cet article a été publié en anglais à l’hiver 2016 dans le magazine Influencing BC (volume 6, numéro 2). Il est publié à nouveau avec l’autorisation de l’auteur et de la revue.
La transparence démocratique a pris une nouvelle tangente au cours des dernières décennies et le public a des attentes de plus en plus élevées lorsqu’il est question de son droit à l’information, et de la reddition de compte. Cette transparence englobe la règlementation des lobbyistes exerçant dans les sphères de la gouvernance les plus élevées. Cette vague de réforme, qui continue de croître, touche maintenant aussi les administrations municipales. Cet article présente quelques-unes des leçons que certaines provinces canadiennes ont tirées de la façon de mettre en place un régime de règlementation pour le lobbyisme local.
Quelles sont les solutions de rechange? Cinq options se démarquent :
Option 1 :
Le statu quo – ou ne rien faire du tout. En toute vraisemblance, il n’y a rien de plus facile que de ne rien faire.
Avantages : Il s’agit de l’option la plus économique, sans conséquences financières immédiates. Il semble également s’agir de la plus facile. C’est souvent l’option par défaut du gouvernement. Pour modifier l’ordre du jour public, il faut surmonter l’inertie systémique, les appuis internes existants et les préférences liées au statu quo.
Inconvénients : La solution la plus économique n’est pas toujours la meilleure, et la plus facile est souvent la plus ardue à long terme. L’adoption du statu quo peut également faire en sorte que l’on passe à côté de nouvelles tendances importantes, notamment en ce qui a trait aux attentes de transparence et de confiance du public. Le coût politique aussi peut être très élevé.
Options 2 :
Un pour tous – ou l’option québécoise. Confronté à la possibilité que ses 1 111 administrations municipales aient besoin de lois et règlementation locales de lobbyisme, le Québec a opté pour un seul modèle : un code de lobbyisme unique pour toutes les municipalités. Les autres provinces n’ont pas emboîté le pas.
Avantages : Le principal avantage de l’approche du Québec est la simplicité administrative et la durabilité. Les lobbyistes des administrations municipales doivent respecter les mêmes règles de transparence en matière d’enregistrement et de reddition de compte. Les règlements sont maintenant en place depuis une quinzaine d’années. Un bureau centralisé est responsable du « contrôle » et de la conformité des administrations municipales, qu’il s’agisse de grands centres urbains, de municipalités ou de villages.
Inconvénients : L’un des inconvénients est que la législation provinciale ne reflète pas les réelles différences et les défis que suppose, par exemple, une faible population, un vaste territoire géographique ou une collectivité isolée. Pour plusieurs conseils municipaux et intérêts commerciaux locaux de petites collectivités qui adoptent des politiques favorisant l’achat de produits locaux, cela peut créer des casse-têtes éthiques où une approche de lobbyisme plus nuancée serait nécessaire. Les disparités concrètes qui existent entre le lobbyisme (et les lobbyistes) à l’échelle locale, provinciale et nationale constituent possiblement l’un des aspects les plus importants de cette option. Robert Wechsler, de City Ethics, nous rappelle dans « The Regulation of Local Lobbying » que le lobbyisme à l’échelle locale (sauf dans les plus grandes municipalités) est principalement l’affaire de propriétaires d’entreprise et d’agents d’organisation, et non de lobbyistes professionnels. Ainsi, les codes de lobbyisme local ne devraient pas relever des codes provinciaux ou fédéraux, sans quoi le lobbyisme demeurera en grande partie secret, ce qui frustrerait les aspirations de transparence.
Option 3 :
Tous pour tous – ou l’option ontarienne. L’Ontario s’est engagé sur une tout autre voie que le Québec en fournissant aux municipalités des régimes réglementaires individuels de lobbyisme, à tout le moins dans les grands centres. À la fin des années 1990, en réaction à la consigne provinciale visant la fusion des six municipalités de la communauté urbaine de Toronto, des changements ont été apportés aux politiques locales d’approvisionnement et aux systèmes informatiques de la ville. Des problèmes se sont révélés lors de grandes acquisitions d’ordinateurs et de transactions contractuelles d’envergure. Cette situation a requis l’intervention du gouvernement provincial. Puis, une solution s’appliquant à l’échelle de la province a été envisagée, ce qui a mené à la création d’une série de nouveaux bureaux de reddition de compte, y compris d’un registre de lobbyistes, pour la ville fusionnée de Toronto.
Avantages : L’avantage initial dans le cas de Toronto est que l’intervention, qui a joui d’un fort appui public, s’est faite dans le cadre de la crise éthique d’un grand centre urbain. Le fait que Toronto (population en 2016 : 2 652 000 habitants) ait eu la capacité fiscale et administrative de mener de telles réformes de reddition de compte a également constitué un avantage, ce qui ne serait pas le cas pour la plupart des quelque 400 collectivités ontariennes. L’Ontario compte près de la moitié des 50 villes du Canada dont la population est supérieure à 100 000 habitants. La province a permis aux plus grandes collectivités d’établir leurs propres régimes d’enregistrement et de déontologie avec peu de surveillance provinciale dans le processus.
Inconvénients : En permettant à chaque municipalité d’adopter ses propres règlements d’enregistrement de lobbyistes, de nombreuses administrations municipales de petite taille ont été confrontées à des surcharges de travail. Aussi, si les 444 régimes de lobbyisme étaient considérés comme légitimes, avec chacun leurs propres règles et règlementations, cela paralyserait les sociétés de lobbyisme, hormis les plus sophistiquées d’entre elles ou celles qui ne travaillent que dans une seule municipalité. Les plus grandes administrations municipales de l’Ontario – Ottawa, Hamilton et Brampton en date d’aujourd’hui – ont adopté des règlementations différentes. La question qui se pose est la suivante : est-ce que le modèle de régime individuel se développera seul ou il laissera la plupart des administrations municipales de l’Ontario sans règlementation de lobbyisme?
Option 4 :
Équarrir le cercle? Un régime pour certains, un autre pour le reste? – ou une possible option hybride de la Colombie-Britannique. Puisque l’Ontario a déjà créé quatre régimes de lobbyisme pour de grandes villes et que plusieurs autres sont en développement, qu’adviendra-t-il des quelque 400 administrations municipales restantes? Les exigences en matière d’efficacité et d’équité administratives suggèrent un modèle global, car 83 pour cent du territoire de l’Ontario n’est pas constitué en municipalité. La majorité des administrations locales comptent une population de moins de 25 000 habitants. Ainsi, sous le régime d’une loi permissive (sauf à Toronto), plus de grandes villes (p. ex., celles ayant plus de 100 000 habitants) dont la capacité est supérieure pourraient mettre au point leurs propres régimes de lobbyisme alors qu’aucune règlementation générale ne s’appliquerait au reste de la province.
Avantages : Il y a possiblement des leçons comparatives à tirer des régimes de lobbyisme d’administrations municipales de partout au Canada. Le modèle hybride peut fonctionner. Il est possible qu’aussi peu que 10 ou 12 régions municipales où se trouvent de grandes villes profitent d’un tel régime tandis que le reste ne serait assujetti à aucune règlementation provinciale.
Inconvénients : Les modèles hybrides, compte tenu de leur nature, peuvent ajouter de la confusion à tout mélange réglementaire. Qui paierait pour les frais de supervision locale ou provinciale? Qui s’occuperait de la résolution de différends? Que ferait l’industrie de plus en plus professionnelle du lobbyisme en réaction à un système si métissé? Qu’en est-il de la confiance du public envers des rendements variés?
Option 5 :
Un système double, possiblement un modèle C.-B./Canada. Une variante des modèles du Québec et de l’Ontario pourrait être administrativement instructive – surtout pour les lobbyistes – et les registraires pourraient garantir la cohérence entre les différentes règlementations. Il s’agirait d’un système double regroupant une règlementation provinciale des lobbyistes ET un code municipal avec des nuances locales. Ce système s’appliquerait à toutes les administrations municipales, avec un registraire adjoint de lobbyistes pour l’administration municipale.
Avantages : S’il existait un modèle provincial autonome de lobbyisme pour les administrations municipales, ce double régime législatif engloberait plusieurs des préoccupations que posent les conseillers municipaux, mais dans un régime conçu spécialement pour les administrations municipales de la C.-B. et du Canada.
Inconvénients : La C.-B. a eu de la difficulté à apporter des réponses législatives à certaines questions, comme le financement d’élections d’administrations municipales. Cela peut représenter un défi puisque les municipalités comptent des populations allant de quelques habitants à 600 000 personnes. Toutefois, il semble administrativement possible de surmonter ce défi.
Recommandations
Option 5 : Selon moi, l’adoption d’un régime pour les grands lobbyistes provinciaux et d’un autre qui tient compte des différences locales de lobbyisme aiderait à faire avancer les choses. Le temps est venu de penser à l’enregistrement des lobbyistes au Canada. Sa mise en œuvre déterminera ses répercussions sur la réforme de la transparence.
Patrick J. Smith est le directeur du programme de l’institut de la gouvernance de l’Université Simon Fraser ainsi qu’un professeur du programme d’études supérieures en urbanisme.