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Réflexions : plus étudiante, mais pas encore avocate

11 juin 2019

Alors que j’écris cet article, je ne suis plus qu’à un mois du début de mon stage, et cela semble un peu déroutant. Je ne suis plus étudiante, mais pas encore avocate. Je ne suis plus raccrochée à une université : finis les études, les livres, les frais de scolarité et les frustrations pour stationner à l’université. Et pourtant, le stage et l’exercice du droit ne sont pas si différents des études. Notre année de stage est ponctuée par des modules d’étude et des devoirs à faire à la maison, un apprentissage constant sur le tas, des soirées entières consacrées au travail, des activités de réseautage et un sentiment général qu’il nous faut nous frayer un chemin dans la jungle qu’est notre nouvel environnement. Curieusement, ce n’est pas ce qui me tracasse au sujet du stage, car j’ai appris le métier d’étudiante pendant mes huit ans d’études postsecondaires. Ce que je n’ai pas encore eu la chance de maîtriser, c’est ma présence dans le monde du travail et la gestion des attentes, le respect des échéances et aussi le fait de me faire une idée de ma place en tant que membre actif de la société. Certes, un grand nombre d’entre nous ont déjà fait ces expériences en tant que stagiaires d’été ou lorsqu’ils ont pris un ou deux ans de répit entre les études de droit et les études de premier cycle. Cependant, entrer dans la « réalité » et, par extension, dans la profession juridique est une expérience toute nouvelle pour moi.

Comme si cela ne suffisait pas, je suis une femme qui aspire à une carrière en droit. Cela ajoute un degré de complexité qui sera, voire qui est épargné à mes homologues masculins. Composer avec la tentation de poursuivre une brillante carrière et celle d’avoir des enfants n’est pas la moindre des difficultés. D’aucuns affirmeraient que point n’est besoin ici de faire un choix, qu’on peut « tout mener de front ». Je répondrais que la question engendre pourtant une pression considérable. On craint que si l’on quitte la profession pour avoir un enfant, cela puisse nuire à la progression de notre carrière, ou qu’une carrière qui semblait toute tracée ait, sans tambour ni trompette, tout à coup et inévitablement changé de cap. Cela ne veut pas dire qu’aucune femme ne devient associée, ni que des femmes ne mènent de front de brillantes carrières et la maternité. Une femme peut très bien réussir dans la profession juridique, mais c’est le fait que maintes avocates continuent de nos jours à craindre que la maternité nuira à leur carrière qui m’offusque.

Une autre difficulté, et le mot est bien faible, découle de l’absence de respect de la part de leurs homologues masculins et des clients à laquelle doivent encore faire face les avocates. En 2019, les femmes se battent encore pour s’arroger une place dans cette profession. D’aucuns présument (et je vous parle d’expérience personnelle) que si nous nous trouvons dans la même pièce qu’un collègue, c’est pour l’aider et non parce que nous sommes aussi juristes et pouvons ajouter valeur et compétence à l’affaire. Si nous sommes intraitables dans nos fonctions de leadership, nous sommes des « Mesdames J’ordonne » ou de grossiers personnages, alors qu’un homme ayant le même comportement est qualifié de chef de file et de sévère. On s’attend à ce que nous soyons tout sucre tout miel, et tout sourire, quoi qu’il advienne. Notre présence dans le prétoire demeure encore sujet d’étonnement. Ce n’est pas dire que nous n’avons pas fait de progrès ou qu’il n’existe pas un grand nombre d’hommes remarquables dans la profession qui appuient sincèrement les femmes. Cependant, le fait est que nous avons encore beaucoup de chemin à faire.  

Pis encore est le silence des femmes qui n’osent pas exprimer ces points de vue, car elles craignent que cela nuira à leur carrière. Elles craignent d’être considérées comme des fautrices de troubles ou des rebelles face à la situation établie. Elles craignent qu’être taxées de « féministes », mot qui est devenu une forme d’insulte, est un problème alors même que le féminisme, au départ, ne vise qu’à atteindre l’égalité des sexes. Je suis fière d’affirmer que je suis une féministe. Je suis fière de participer à des mouvements tels que #lawneedsfeminismbecause, et je suis fière de me servir de la profession juridique et de ma voix pour défricher la voie pour que d’autres femmes m’imitent. Plus grand sera le nombre de femmes qui s’expriment, plus rapidement la situation changera en notre faveur.

Charlene Scheffelmair, B. Ed., J.D., est stagiaire dans le cabinet Davidson & Williams LLP et co-vice-présidente de la Section des étudiants et étudiantes en droit de l’ABC.