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Défis en matière d’accès à la justice : la COVID-19 et les obligations alimentaires

16 juillet 2020

(Partie 2 de 2)

Dans la première partie de cet article, je faisais remarquer que nul ne peut prédire l’avenir. Je prédis tout de même que lorsque les tribunaux reprendront leurs activités régulières, ils seront submergés par un afflux de dossiers se faisant concurrence pour les mêmes ressources judiciaires. En plus des causes toujours non réglées qui étaient déjà dans le système avant l’arrivée de la COVID-19, il faut s’attendre à de nouveaux problèmes en matière de pension alimentaire, à des difficultés liées aux biens (y compris des faillites), à un stress accru et des traumatismes aggravés découlant de la violence familiale, et à de nouvelles séparations.

Depuis la suspension des activités régulières à la mi-mars 2020, le nombre de difficultés urgentes temporaires liées au rôle parental sur lesquelles les tribunaux ont eu à se pencher a explosé. J’ai déjà rédigé un article au sujet de ce qu’il faut retenir de la jurisprudence en matière de responsabilité parentale (disponible en anglais seulement). En revanche, la jurisprudence sur la pension alimentaire urgente temporaire au profit des enfants ou des époux est nettement moins abondante. Alex Boland présente une excellente analyse (uniquement en anglais) de quelques-unes des plus récentes décisions ontariennes en la matière, lesquelles se contredisent à certains égards. Plus le temps passe, plus le nombre de décisions portant sur des enjeux urgents de pension alimentaire augmente1.

Le vendredi 5 juin 2020, le gouvernement de l’Ontario a modifié un règlement dans le but essentiellement d’autoriser le bureau provincial d’exécution des ordonnances alimentaires à rétablir les suspensions de permis de conduire à compter du lundi 8 juin 2020. Lorsque cela commencera, je prédis que les tribunaux de l’Ontario seront inondés de dossiers en pension alimentaire.

Les tribunaux ont exigé à juste titre des parents débiteurs qu’ils s’en tiennent aux normes les plus élevées en matière de communication et ont critiqué ceux qui faisaient passer leurs propres besoins avant ceux de leurs personnes à charge. Je crains toutefois qu’il manque aux familles les plus vulnérables — débiteurs, créanciers et enfants — des directives claires pour leur permettre de résoudre les problèmes de pension alimentaire. 

Par exemple, dans la cause ontarienne Land v. Tudor (décision = en anglais), le parent débiteur qui se représentait seul a demandé l’autorisation de déposer une requête urgente en pension alimentaire, mais son dossier était incomplet et il s’est trompé quant à la procédure à suivre pour demander une ordonnance provisoire par rapport à une ordonnance définitive (aux paragraphes 5 à 8). Je suis d’avis que cette procédure est très déroutante. Dans le premier volet de mon article, je souligne à quel point il est difficile de déterminer si nous sommes en présence d’un changement de situation suffisamment important pour justifier la modification définitive d’une ordonnance alimentaire.

Il est possible que de nombreux ex-conjoints règlent les questions de pension alimentaire de façon « temporaire, temporaire sans préjudice », comme l’ont fait les tribunaux dans le contexte parental (J.W. v. C.H., 2020 BCPC 52 (CanLII), au paragraphe 17, disponible uniquement en anglais). Je soutiens sans réserve l’idée de recourir à toutes les options de règlement à l’amiable lorsque cela convient. Toutefois, les négociations ont souvent lieu « à l’abri du droit ». Les orientations fournies par la jurisprudence aident les familles à régler de nombreux problèmes hors cour2.

Par ailleurs, je crois que plusieurs familles ne parviennent pas à régler leurs problèmes — que ce soit en cour ou hors cour. Surcharge rime souvent avec inaction. Les familles qui subissent les répercussions de la COVID-19 comme une perte d’emploi ou un ralentissement des activités commerciales éprouvent déjà des difficultés économiques importantes. Que va-t-il leur arriver?

Outre le fait d’encourager les résolutions hors cour, comment éliminer le retard accumulé par les tribunaux dans les meilleurs délais et de façon proportionnée, plus abordable et, en fin de compte, plus équitable pour les familles qui ont désespérément besoin de l’aide des tribunaux?

On a beaucoup parlé du recours aux nouvelles technologiques et je me réjouis aussi que les tribunaux s’en servent pour faciliter un certain nombre limité d’activités judiciaires. Je sais qu’il s’agit de questions complexes qui ont été terriblement sous-financées depuis toujours. Mais je ne crois pas que la technologie soit la solution en soi.

La procédure judiciaire doit être simplifiée pour la rendre accessible au public qu’elle prétend servir. On devrait pouvoir aboutir à un règlement plus rapidement et de façon proportionnée. Un accès retardé équivaut à un accès refusé. Pour les affaires plus simples dans lesquelles les parties ne s’entendent pas, la procédure devrait être simplifiée. Cela libèrerait des ressources judiciaires pour les affaires plus complexes.

J’aimerais attirer l’attention sur deux petits élargissements de la procédure qui représentent selon moi des mesures de redressement temporaires utiles dans les affaires de pension alimentaire, et qui pourraient éventuellement être adaptés pour des requêtes en modification/requêtes visant à modifier des mesures de redressement définitives :

  1. La Cour suprême de la Colombie-Britannique, depuis le 27 avril, permet aux parties de la saisir de certaines questions simples et non urgentes au moyen d’observations écrites. On trouve dans l’avis de la Cour des indications sur ce que doit contenir le dossier déposé, y compris le nombre limite de pages. La Cour conserve son pouvoir discrétionnaire de décider s’il convient ou non de trancher la question sur la foi des observations écrites. On commence à trouver de plus en plus de décisions rendues aux termes de cette procédure [C.G.R. v J.L.R2020 BCSC 842 (CanLII), (disponible uniquement en anglais)].
  2. La Cour supérieure de justice de la région centre-sud de l’Ontario, depuis le 19 mai 2020, permet les motions sur pièces « [l]orsque toutes les parties conviennent que la motion peut être instruite en se fondant sur les documents écrits seulement, sans la tenue d’une audience par téléconférence ».

Les défis sont différents d’un ressort à l’autre. Ce qui me préoccupe, c’est l’inégalité dans l’accès aux tribunaux. Si les tribunaux qui ont moins de capacité pour instruire les affaires non urgentes sont désormais limités, comment espèrent-ils venir à bout du retard accumulé lorsque les activités reprendront? Même s’il n’y a pas de solution universelle, les affaires peuvent être examinées de façon équitable en ayant recours à diverses procédures par défaut et en encourageant la créativité dans les règlements.

J’espère que mes prédictions sur le retard accumulé ne se réaliseront pas. Cependant, je me considère comme une personne pragmatique qui tend à devenir une optimiste sceptique. Si l’ensemble des parties intéressées pouvaient conjuguer leurs efforts pour optimiser la technologie et simplifier la procédure, je suis convaincue que notre système de justice pourrait réellement offrir un accès moderne à la justice. Après tout, malgré des défis imposants, améliorer l’accès à la justice des familles séparées vaut certainement la peine que l’on poursuive nos efforts collectifs.

Vanessa Lam est conseillère stratégique en droit de la famille et avocate effectuant de la recherche exerçant en Ontario.


1 En plus des causes dont discute Alex Boland, veuillez voir également les plus récentes décisions Skinner v. Skinner, 2020 ONSC 3226 (CanLII), par. 29; Jumale v. Mahamed, 2020 ONSC 2091 (CanLII), par. 8 à 13; Mohamed v. Osman, 2020 ONCJ 172 (CanLII), par. 27 à 33 (ces décisions ne sont disponibles qu’en anglais).

2 Cette obligation prend d’ailleurs de plus en plus d’importance à la lumière des modifications apportées à la Loi sur le divorce, dont plusieurs entreront en vigueur le 1er mars 2021. Voir https://www.parl.ca/DocumentViewer/fr/42-1/projet-loi/C-78/sanction-royal, [une nouvelle définition de « mécanisme de règlement des différends familiaux » est introduite à l’article 2, nouvel article 7.3 (obligation des parties), nouvel alinéa 7.2.(2) a) (obligation des conseillers juridiques) et nouveau paragraphe 16.1(6) (sous réserve du droit provincial, l’ordonnance peut obliger les parties à avoir recours à des mécanismes de règlement des différends familiaux)].