Aperçu du récent renvoi de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique relatif à la loi de cette province sur la gestion de l’environnement

07 février 2020

Les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 énumèrent les champs de compétence du gouvernement fédéral et ceux des provinces. Le droit de l’environnement est un domaine où peuvent légiférer les deux ordres de gouvernement. Cependant, comme les lois fédérales et provinciales peuvent se révéler concurrentielles et contradictoires, cette absence de séparation nette a souvent donné lieu à des litiges. C’est là où les principes constitutionnels qui régissent le partage des pouvoirs entrent en jeu. Un arrêt récent de la Cour d’appel de Colombie-Britannique illustre bien cette difficulté (Reference re Environmental Management Act (BC), 2019 BCCA 181 [en anglais seulement]).

Dans cette affaire, la province de la Colombie-Britannique a proposé de modifier la loi Environmental Management Act (EMA) en obligeant à ce que les personnes en possession d’une quantité de pétrole lourd supérieure à un certain seuil se procurent un permis. Selon la modification, un directeur pourrait assortir ce permis de certaines conditions et poursuivre les contrevenants. Même si la province faisait valoir que la modification touchait aux droits de propriété et aux droits civils, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (CACB) a plutôt conclu qu’elle était invalide parce qu’elle était susceptible de mettre en péril tout le projet de pipeline Trans Mountain (TMX), une entreprise interprovinciale.

Afin d’arriver à cette conclusion, la CACB a procédé à un examen approfondi des principes constitutionnels régissant la séparation des pouvoirs.

Principes constitutionnels

On détermine d’abord la validité de la loi en se demandant si le « caractère véritable » de la loi relève de la compétence législative de l’un ou l’autre des ordres de gouvernement aux termes des articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Pour ce faire, il faut procéder à l’analyse à la fois de l’objet et des effets de la loi en question. Si le véritable objectif dominant de la loi ne fait pas partie d’un champ de compétence appartenant à la législature provinciale, on doit conclure que la loi est ultra vires. Cette théorie nous permet également de déterminer si la loi comporte un motif déguisé.

L’objectif dominant d’un acte législatif ne correspond pas tout le temps à un seul titre de compétence; une loi peut très bien comporter à la fois une facette fédérale et une autre provinciale (par. 5). La théorie du « double aspect » permet le chevauchement d’éléments conflictuels. On appelle aussi ce principe le fédéralisme coopératif; même en respectant la séparation des pouvoirs, il n’est pas toujours possible de classer les questions dans des compartiments étanches. La CACB estime que la théorie du double aspect reconnaît que certaines lois peuvent être considérées comme portant à la fois sur des champs de compétence fédéraux et provinciaux (par. 16).

En outre, la théorie des « pouvoirs accessoires » s’applique au Canada en raison de la séparation des pouvoirs. Cette théorie permet à un ordre de gouvernement d’empiéter sur un titre de compétence qui outrepasse ses propres compétences, dans la mesure où cet empiètement est limité, c.-à-d. que ses effets sont accessoires.

Dans le cadre de cet examen, la CACB fait remarquer que la « protection de l’environnement » n’est pas un titre de compétence réservé à l’un des ordres de gouvernement (par. 12). La CACB décide d’appliquer la théorie du caractère véritable (par. 13), selon laquelle l’effet juridique et les conséquences pratiques de la loi sont plus représentatifs de sa validité constitutionnelle que l’intention apparente et déclarée du législateur (par. 14).

Lorsqu’il existe un conflit d’application entre des lois adoptées validement par deux ordres de gouvernement, ou lorsque la réalisation du but de la loi fédérale est « entravée » par l’application de la loi provinciale, cette dernière devient inopérante dans la mesure de son incompatibilité. Il s’agit de la théorie de la prépondérance fédérale. Récemment, la Cour suprême a assoupli cette théorie, et a prôné la théorie du fédéralisme coopératif et une approche flexible en matière d’interprétation constitutionnelle (par. 17).

Enfin, la théorie de l’exclusivité des compétences s’applique, par exemple, lorsqu’une loi provinciale valide empiète sur une matière de compétence fédérale exclusive. Selon cette théorie, l’exercice du pouvoir est invalide dans la mesure où il porte atteinte à une compétence dévolue à l’autre ordre de gouvernement (par. 18).

Analyse

Avant d’entamer son analyse, la CACB procède à l’examen des principales lois provinciales et fédérales ayant trait à l’environnement. Elle fait remarquer que toute une série de lois et de règlements fédéraux régit les différents aspects des pipelines interprovinciaux, parallèlement à diverses lois provinciales destinées à protéger l’environnement, comme la EMA et la loi Environmental Assessment Act. Cette multitude de lois rend difficile l’adoption de lois visant la protection de l’environnement.

La CACB s’appuie sur une précision apportée par la Cour suprême selon laquelle, avant d’examiner la théorie de l’exclusivité des compétences, le juge doit d’abord procéder à l’analyse du caractère véritable. Il ne faut pas confondre cette analyse avec la question de savoir si la loi porte atteinte à un élément vital de la compétence fédérale sur les entreprises interprovinciales. Si la loi porte sur un titre de compétence fédérale, l’analyse s’arrête ici, comme c’était le cas en l’espèce (par. 92).

La Cour reconnaît cependant que les entreprises fédérales ne sont pas tout le temps à l’abri des lois provinciales sur l’environnement puisque les deux ordres de gouvernement sont compétents en la matière. Rejetant l’idée que la protection de l’environnement concerne principalement la protection de la propriété (prévue au paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867), la CACB conclut que la protection de l’environnement est trop importante et trop vague pour relever d’un ordre de gouvernement de manière absolue et exclusive.

Bien que la modification soit formulée comme une loi d’application générale, la CACB estime qu’elle vise à interdire la possession et le contrôle d’un volume accru de pétrole lourd dans la province, et que son principal effet est de fixer des conditions à cet effet, au besoin. En pratique, seul le projet TMX serait touché par cette modification. L’existence d’une entreprise fédérale a été fondamentale à l’issue de cette décision. En effet, en l’absence du projet TMX, la modification pourrait être valide puisqu’elle ne toucherait aucune entreprise fédérale.

Bien que la CACB n’estime pas que la modification comporte de motif déguisé, elle considère que la menace immédiate et existentielle qu’elle pose à une entreprise fédérale, notamment les exigences relatives à l’octroi des permis ou l’interdiction éventuelle, n’est pas un effet accessoire.

Par conséquent, la modification est invalide parce qu’elle est susceptible d’avoir une incidence sur l’ensemble de l’exploitation du projet TMX, lequel découle de la réglementation d’une entreprise fédérale. Effectivement, la modification aurait entraîné l’interruption du projet jusqu’à l’obtention du permis, le cas échéant, ce qui aurait miné le rôle de l’Office national de l’Énergie.

Réglementer en matière environnementale demeure un défi au Canada. Bien que le pouvoir soit officiellement partagé en matière d’environnement, la liberté des provinces semble limitée par certains principes constitutionnels.

Alexia Cadoret est actuellement stagiaire auprès de Jonathan Waddington PLC, à Vancouver.