Dans R. v Anderson, 2017 MBCA 31 (disponible uniquement en anglais), la Cour d’appel du Manitoba devait trancher un appel interjeté par le ministère public à l’encontre d’une décision de détermination de la peine rendue par un tribunal de première instance à l’égard d’une condamnation pour conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles. La peine d’emprisonnement imposée par le tribunal de première instance était inférieure à l’éventail des peines énoncées par une décision antérieure de la Cour. Eu égard à sa décision d’accueillir l’appel et d’allonger la peine d’emprisonnement, la Cour devait trancher la question de savoir si l’accusé devait être incarcéré de nouveau, puisqu’il avait déjà intégralement purgé la peine d’emprisonnement initiale.
Faits de l’espèce. L’accusé conduisait son véhicule en contresens sur une route. Il est entré en collision avec un autre véhicule dont le conducteur et les deux passagers ont été blessés. L’autre conducteur a tenté d’éviter la collision en arrêtant son véhicule. L’accusé, dont le véhicule se déplaçait à 105 km/h, a freiné environ une seconde avant l’impact, qui s’est produit à 77 km/h. Le taux d’alcoolémie de l’accusé s’élevait à plus du double de la limite légale. Une cannette de bière ouverte a été trouvée dans le véhicule de l’accusé, qui a accueilli les secours à grand renfort de blagues et de gestes de félicitations. L’accident a causé de graves blessures et des préjudices moraux et émotionnels aux trois occupants de l’autre véhicule.
L’accusé a plaidé coupable de conduite avec alcoolémie supérieure à 0,08, causant des lésions corporelles, et de défaut de comparution devant le tribunal à la date prévue pour l’enquête préliminaire.
L’accusé, un Autochtone, avait 26 ans et ne possédait pas de casier judiciaire. Marié, il avait trois enfants en bas âge qui résidaient dans la Première Nation Ebb and Flow alors qu’il était employé à Winnipeg, où il vivait loin d’eux. Les sentiments de solitude et d’isolement l’ont amené à consommer de l’alcool. Le rapport présentenciel positif soulignait que l’accusé acceptait l’entière responsabilité de ses actes, le décrivait comme présentant un faible risque de récidive et recommandait une mesure communautaire.
Lors de l’audience de détermination de la peine, l’avocat de la Couronne a recommandé une peine d’emprisonnement de deux ans, alors que celui de la défense demandait un emprisonnement intermittent de 90 jours suivi de trois ans de probation sous surveillance.
S’agissant de l’accusation de conduite avec alcoolémie supérieure à 0,08, causant des lésions corporelles, la juge de la détermination de la peine a imposé un emprisonnement intermittent de 90 jours suivi de trois ans de probation sous surveillance assorti d’une condition selon laquelle il devait effectuer 100 heures de travail communautaire, d’une interdiction de conduire pendant deux ans, d’une interdiction de posséder des armes pendant dix ans et d’une ordonnance de prélèvement d’ADN. Le défaut de comparution a été sanctionné par une amende de 500 $. Les motifs du juge de la détermination de la peine sont publiés sous la référence 2016 MBPC 28 (disponible uniquement en anglais).
Le ministère public a interjeté appel de la peine correspondant à l’accusation de conduite avec facultés affaiblies. L’avocat de la Couronne soutenait que la peine n’était pas adaptée eu égard à la façon dont le condamné conduisait, à son taux d’alcoolémie et à la nécessité de dissuasion en général. Il a ajouté que la juge de la détermination de la peine avait erré dans son examen et sa qualification des circonstances aggravantes et atténuantes (qui incluaient les facteurs Gladue).
La Cour a conclu, à l’unanimité, que la dissuasion d’ordre général constitue l’un des objectifs essentiels de la détermination de la peine en cas de conduite avec facultés affaiblies; infraction qui cause plus de décès au Canada que toute autre violation de la loi. La Cour a souligné que, selon l’arrêt R. v. Smoke, 2014 MBCA 91 (disponible uniquement en anglais), l’éventail des peines dont la conduite avec facultés affaiblies causant des lésions corporelles est passible d’un emprisonnement d’une durée de 6 à 24 mois. C’est le cas même en la possible absence de nécessité d’une dissuasion individuelle.
Tout en reconnaissant que les éventails de peines ne sont que des lignes directrices et que, dans les circonstances appropriées, les tribunaux peuvent infliger des peines différentes, au terme de son examen, la Cour a conclu que ce n’était pas le cas en l’espèce. Elle se fondait sur le fait que la juge de la détermination de la peine avait indûment minimisé les circonstances aggravantes qui devaient être comparées aux circonstances atténuantes. La Cour a reconnu que les facteurs Gladue étaient présents et qu’une peine parmi les moins sévères de l’éventail était justifiée. La Cour a par conséquent accueilli l’appel et conclu qu’une incarcération d’une durée de six mois était une peine appropriée.
Le temps que la décision soit rendue en appel, l’accusé avait déjà purgé sa peine intermittente de 90 jours, amenant la Cour à se pencher sur la question de savoir s’il devait être incarcéré de nouveau ou si un sursis devait lui être accordé afin d’éviter l’injustice créée par cette situation. Dans le cadre de son évaluation, la Cour a dressé la liste indicative suivante de facteurs pouvant être pris en compte :
- les raisons du retard entre la date de l’arrestation et celle de l’imposition de la peine,
- la durée écoulée entre l’imposition des peines en première instance et le moment où elles ont été purgées,
- la gravité de l’infraction,
- les mesures prises par l’accusé pour se réinsérer dans la société tant avant qu’après le prononcé de la peine, et la mesure dans laquelle une nouvelle incarcération leur nuirait,
- la durée de la peine n’ayant pas encore été purgée (soit la différence entre la nouvelle peine et celle qui avait été imposée en première instance).
Alors que la Cour a reconnu que la gravité de l’infraction exige que l’accent soit mis sur la dissuasion et la réprobation, elle a aussi reconnu que l’accident avait eu lieu presque quatre ans avant que l’appel ne soit tranché. Une nouvelle incarcération aurait d’importantes conséquences financières négatives pour l’accusé et sa famille et entraverait les efforts de réadaptation déployés par l’accusé depuis lors. La Cour a conclu que la société ne tirerait aucun avantage d’une nouvelle incarcération. Elle a par conséquent sursis à la portion restante de la peine d’incarcération.
La Cour a reconnu dans ses motifs écrits qu’il s’agissait d’un appel difficile à trancher. Elle devait parvenir à établir un équilibre subtil entre, d’une part les principes de réadaptation et de justice réparatrice et, d’autre part, ceux de la dissuasion et de la réprobation. Alors qu’il s’agit de facteurs qu’un juge de la détermination de la peine est toujours tenu d’examiner, la difficulté en l’espèce était renforcée par le fait que la Cour avait un devoir de déférence envers la décision de la juge de la détermination de la peine et que l’accusé avait fait de considérables efforts pour se réinsérer dans la société après avoir purgé sa peine. Cette décision rendue en appel semble être parvenue à un équilibre approprié entre l’alourdissement de la peine et le fait de ne pas exiger de l’accusé une nouvelle incarcération, évitant ainsi l’injustice que cela aurait créé.
Tony Cellitti est avocat de la défense dans le cabinet Phillips Aiello à Winnipeg (Manitoba). Il est membre du Conseil de l’Association du Barreau du Manitoba (ABM), coprésident de la Section du droit pénal de l’ABM et membre de la direction de la Criminal Defence Lawyers Association of Manitoba.