Le 14 mai, la Cour suprême du Canada a rendu par oral sa décision dans l’affaire R. c. Cain, 2018 CSC 20. La décision résultait d’une majorité de 4 contre 1.
L’appel portait sur la question pointue mais importante de savoir si les portions compatibles d’une déclaration antérieure compatible peuvent être utilisées dans le cadre du contre-interrogatoire d’un plaignant portant sur les incohérences dans une déclaration antérieure.
La majorité de la Cour suprême du Canada a confirmé la décision majoritaire de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse selon laquelle les portions compatibles d’une déclaration antérieure peuvent être utilisées pour déterminer si les incohérences alléguées constituaient en fait des incohérences. La déclaration antérieure pourrait également servir à déterminer si des incohérences sont fondamentales ou simplement accessoires.
L’affaire Cain portait sur une agression sexuelle. La plaignante a fait l’objet d’un contre-interrogatoire portant sur sa déclaration antérieure. En raison de problèmes d'alphabétisation, l’intégralité de la déclaration lui a été présentée lors du contre-interrogatoire. La plaignante était la principale témoin à charge. La défense soutenait qu’en raison de toutes les incohérences entre sa déclaration antérieure et son témoignage lors de l’audience, la preuve de la plaignante n’était pas fiable. Le juge du fond a remarqué des incohérences mineures, mais a affirmé l’existence d’un fil conducteur cohérent entre sa déclaration antérieure et son témoignage. Il a rendu son verdict de culpabilité en se fondant sur le témoignage de la plaignante.
La majorité de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a affirmé que le juge du fond n’avait pas utilisé les aspects cohérents des déclarations de la plaignante pour trancher sur sa véracité, mais bien plutôt pour déterminer si, dans le contexte des portions compatibles de la déclaration, les incohérences étaient fondamentales.
La majorité de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse (approuvée par la CSC) a utilisé la citation suivante parue dans un article rédigé par le professeur David Paciocco (désormais monsieur le juge Paciocco, de la Cour d’appel de l’Ontario) comme constituant le droit à l’égard de l’exception contextuelle :
[TRADUCTION]
(4) Déclarations antérieures compatibles qui offrent un contexte pour les déclarations recevables;
[…]
(d) Exception (4) – Déclarations antérieures compatibles qui offrent un contexte pour les déclarations recevables
La « règle de l’intégralité de la déclaration » peut conduire à la production de déclarations antérieures compatibles. Elle affirme que lorsqu’une partie établit qu’une déclaration est recevable, cela ne doit pas être basé sur une sélectivité trompeuse. En toute équité, la partie qui prouve la déclaration ne devrait pas le faire hors de son contexte, elle devrait prouver l’intégralité de la déclaration. […]
Les mêmes principes s’appliquent par conséquent lorsque l’avocat demande à un témoin d’expliquer une déclaration antérieure incohérente. La partie qui forme cette opposition devrait, en toute équité et même à titre d’obligation éthique, présenter l’intégralité de la déclaration au témoin pour que le contexte des incohérences puisse être compris. À défaut, l’avocat de la partie opposée sera autorisé à examiner l’intégralité de la conversation connexe. D’ailleurs, cette tactique peut se solder par la recevabilité de déclarations connexes.
[…]
Par conséquent, rien n’empêche une partie de souligner les portions cohérentes entre la déclaration antérieure connexe et le témoignage de son témoin. Le but de l’opération n’est pas de prouver que le témoin disait la vérité dans son témoignage sur la question. Le simple fait de faire des déclarations compatibles ne prouve pas la crédibilité et les déclarations compatibles d’un témoin ne corroborent pas non plus leur témoignage lors de l’audience. Les éléments compatibles ne sont pertinents que dans la mesure où ils permettent à la personne qui tranche de juger si la déclaration pertinente est véritablement fondamentalement incohérente dans son ensemble et de déterminer les incidences que toute divergence dans les détails devrait avoir sur la crédibilité et la fiabilité globales du témoin. En fait, les éléments compatibles de la déclaration antérieure ne renforcent aucunement les dires de la partie, ils servent simplement à réfuter les assertions d’incohérence de la partie opposée ou à réduire le poids des incohérences qui peuvent rester.
James A. Gumpert, c.r., est procureur de la Couronne principal auprès du Service des poursuites pénales de la Nouvelle-Écosse. Il est membre du Comité de direction de la Section nationale du droit pénal de l’Association du Barreau canadien.