Faire payer l’arbitrage par un tiers, une idée judicieuse?

14 septembre 2018

N.D.L.R. Article paru en anglais dans Perspectives PRD (Institut d’arbitrage et de médiation du Canada).

On ne peut inclure une clause d’arbitrage dans un contrat sans s’interroger sur ce qu’il nous en coûtera. Que le paiement des frais d’arbitrage par un tiers soit prévu ou non dans le libellé, les parties et leurs avocats doivent savoir exactement à quoi s’en tenir afin de préserver leur liberté d’opter pour les modalités de financement qui leur conviennent.

Vous êtes en pleine rédaction de contrat. Surgit l’idée qu’en cas de litige, ce sera l’arbitrage. Parfait. Vous contentez-vous d’insérer une clause préfabriquée parmi la litanie de clauses standard? Cela se défend : l’Institut d’arbitrage et de médiation du Canada vous en propose d’excellentes. Mais n’y a-t-il pas d’autres questions à se poser? Le coût de l’arbitrage est en progression, de même que la propension à recourir au financement par un tiers pour réduire ses frais et une partie des risques. Il serait donc utile de savoir ce qu’il faut avoir en tête lorsqu’on rédige une convention d’arbitrage prévoyant le financement d’un tiers. Commencez par dire à votre client que Hulk Hogan a gagné son procès contre un tabloïde qui avait publié une vidéo de ses frasques sexuelles en s’appuyant sur l’aide financière d’un milliardaire qui avait été vilipendé par le même tabloïde. Une fois que vous avez son attention, surveillez ses yeux tomber dans le vide à mesure que vous lui expliquez ce qui suit.

Compétence législative

L’établissement du droit applicable peut avoir une incidence majeure sur la liberté de recourir au financement par un tiers. Légitimé au Canada, le financement externe fait l’objet d’une jurisprudence particulièrement étoffée en Ontario; cette formule est aussi relativement courante en Australie, au Royaume-Uni et dans nombre d’États américains. Par contre, elle est prohibée en Irlande et dans d’autres États de nos voisins du Sud, en vertu de l’interdiction dont sont frappés la champartie et le soutien abusif en common law. Par conséquent, mieux vaut bien choisir le droit applicable pour préserver sa latitude.

Confidentialité

Un contrat qui contient une clause d’arbitrage comportera aussi probablement des clauses de confidentialité. Or la communication d’information à un bailleur de fonds est vraisemblablement autorisée de la même façon qu’à un expert ou à un conseiller1. Toutefois, on pourra prévenir tout différend en stipulant dans la clause de confidentialité qu’il est permis de communiquer des renseignements à un tiers bailleur de fonds si celui-ci se soumet aux mêmes obligations de confidentialité que les parties ou conclut lui-même une entente de non-divulgation. Ou encore, la partie souhaitant obtenir du financement pourrait demander à l’arbitre d’autoriser la communication de renseignements confidentiels au bailleur de fonds une fois le tribunal d’arbitrage formé. Autrefois, ce genre de démarche aurait été considéré comme un signe d’impécuniosité. Or même un plaideur qui a les reins solides peut très bien transférer à un tiers le coût et les risques d’une procédure d’arbitrage. C’est le constat que fait Bentham IMF, un bailleur de fonds australien inscrit en bourse, établi au Canada depuis 2016 : « Au début, le financement externe était typique des combats du genre ‟David contre Goliath”, mais on voit de plus en plus de clients nantis envisager le financement externe comme outil d’encadrement des finances et des risques », explique Naomi Loewith, gestionnaire d’investissements et conseillère juridique chez Bentham à Toronto.

Divulgation

Il y a également lieu, au moment de rédiger la convention d’arbitrage, de statuer sur la divulgation de l’existence et du contenu de l’entente de financement. La pratique la plus recommandable pour le bénéficiaire consiste à faire savoir qu’il est financé et à divulguer l’identité du bailleur de fonds afin de prévenir tout conflit d’intérêts à l’égard de l’autre partie ou du tribunal. Certes, un bailleur de fonds professionnel s’abstiendra d’emblée de tout conflit, mais cette divulgation préviendra les contestations ultérieures. Quant aux modalités du financement, elles devraient être distinctes des enjeux de fond et de ce fait secrètes, histoire de protéger les renseignements concernant le budget ou la stratégie d’instance. Ce principe va dans le sens de l’Accord économique et commercial global Canada-Union européenne (AECG) qui, entré en vigueur en septembre 2017, établit un cadre où toute partie à un litige qui profite d’un financement externe doit divulguer à la partie adverse et au tribunal l’identité du tiers en question, sans rendre obligatoire la communication de tout autre renseignement2.

Pouvoirs de l’arbitre

On peut aussi envisager une clause reconnaissant – ou niant – à l’arbitre le droit de trancher les questions de financement par un tiers. L’arbitre pourrait se prononcer sur l’existence d’un conflit d’intérêts résultant de la participation d’un bailleur de fonds, ou sur les renseignements pouvant être communiqués à celui-ci. Pourraient aussi être soumises au tribunal d’arbitrage l’autorisation d’un financement externe et les questions de savoir si une convention de financement externe nécessite son approbation et si l’arbitre a le droit de prendre connaissance des modalités de financement, ainsi que la portée exacte du rôle du bailleur de fonds, qui peut aller du simple financement à la prestation de conseils.

Recouvrement des coûts financés

Si le contrat habilite l’arbitre à adjuger les dépens, il pourrait l’autoriser explicitement à obliger la partie défaite à rembourser la contribution externe dont a bénéficié la partie ayant eu gain de cause le cas échéant. Ainsi, la Haute Cour d’Angleterre a récemment confirmé une adjudication de dépens qui comprenait le remboursement, à titre d’« autres coûts », du financement externe dont avait bénéficié la partie victorieuse dans le cadre d’un litige arbitré par la Chambre de commerce internationale3.

Pour l’avenir

Lorsqu'un contrat est appelé à contenir une clause d’arbitrage, il y a lieu pour l’avocat comme pour le client de connaître les enjeux entourant le financement par un tiers, même si le contrat est finalement muet à cet égard. Les organismes d’encadrement de l’arbitrage pourraient favoriser la généralisation du financement externe en traitant de cette pratique dans leur code de déontologie. Quant aux parties à un arbitrage, elles seraient bien avisées de se pencher, à tout le moins, sur ce mode de financement et ses implications puisque la seule constante en matière d’arbitrage semble être l’augmentation de son coût.

Courtney Kachur pratique le droit de la construction et du litige commercial chez Rose LLP à Calgary. Elle est aussi secrétaire de la Section du droit de la construction et des infrastructures de l’ABC.

Notes

1 La Cour fédérale a récemment établi qu’une « tierce partie créancière » avait le droit de recevoir de l’information comme les autres tierces parties telles que « les experts, les témoins potentiels, les consultants et ceux dont les conseils sont pertinents au litige ». Seedlings Life Sciences Ventures LLC c. Pfizer Canada, 2017 CF 826.
2 AECG, art. 8.26.
3 Essar Oilfields Services Limited v Norscot Rig Management PVT Limited [2016] EWHC 2361 (Comm).