Depuis quelques années, un vent de changement souffle sur le secteur de la construction au Canada et bouleverse la situation. Plusieurs provinces, ainsi que le gouvernement fédéral, ont tenté de cerner la question du paiement rapide dans le cadre de projets de construction et se sont efforcées de déterminer comment incorporer au mieux les droits et préoccupations des parties les plus vulnérables, soit les corps de métiers qui se trouvent à la base de tout projet. La mise en œuvre d’un mécanisme de paiement rapide forçant le flux des fonds de construction vers le bas semble la panacée. En fait, le Canada est un peu à la traîne dans ce domaine puisque la plupart des États des États-Unis et des pays de common law ont déjà adopté une forme ou une autre de législation du paiement rapide pour réglementer le secteur de la construction.
Cependant, pour que ce genre de législation soit efficace et que les fonds circulent tel que prévu, il doit exister des moyens pour faire appliquer une nouvelle structure de paiement et pour régler les litiges de façon plus expéditive. Il y a plus de vingt ans, le Royaume-Uni a mis en place un modèle de règlement des différends aujourd’hui considéré comme un moyen très performant pour régler les litiges sans délai. La « justice expéditive » comme d’aucuns se plaisent à l’appeler, ou « règlement extrajudiciaire des conflits sur une base provisoire » pour les avocats, semble l’outil le plus adapté à la tâche.
Ici, d’un océan à l’autre, il est devenu manifeste qu’il est temps de mettre à jour et de moderniser les diverses lois en vigueur sur le privilège dans les domaines de la construction et de la fourniture de matériaux1. Les efforts prenant finalement un certain élan, le secteur a relevé le fait et travaille d’arrache-pied pour aider les législateurs de toutes les régions à élaborer une législation plus moderne et plus pratique dans ce domaine, à codifier une jurisprudence plus qu’abondante sur la question et à reconnaître les nombreuses structures contemporaines que peuvent adopter les projets de construction. Les pierres angulaires d’une telle approche semblent être le paiement rapide et le règlement efficace des différends, qui tous deux visent, en fin de compte, à accélérer la circulation des fonds dans la structure pyramidale.
L’Ontario2 a été la première province à s’atteler à l’immense tâche de réforme. Elle a tout d’abord axé ses efforts sur le paiement rapide avec le projet de loi 69, la Loi de 2014 sur les paiements rapides. Après l’échec de ce projet de loi d’initiative parlementaire, la province a demandé à des experts de ce secteur de lui fournir un rapport. Ayant effectué de vastes consultations auprès des membres du secteur et étudié les systèmes étrangers pertinents, ils ont produit un rapport intitulé Établir un juste équilibre – Rapport de l'Éxamen (sic) d'experts de la Loi sur le privilège dans l'industrie de la construction de l'Ontario3. Le Parlement de l’Ontario l’a accepté en décembre 2017 sous la forme du projet de loi 142, Loi de 2017 modifiant la Loi sur le privilège dans l'industrie de la construction, qui entrera en vigueur en deux étapes : d’abord la modernisation en juillet 2018, puis, en octobre 2019, le paiement rapide et le règlement des différends.
Dans le même ordre d’idées, un projet de loi émanant d'un sénateur, le projet de loi S-224, Loi canadienne sur le paiement sans délai, est très similaire au projet de loi 69 de l’Ontario. Après avoir été entériné par le Sénat, le projet de loi S-224 se retrouve au point mort, le gouvernement fédéral ayant engagé, le 23 janvier 2018, les mêmes experts et les ayant chargés [traduction] « d’élaborer un ensemble de recommandations à l’intention du gouvernement du Canada concernant la rapidité des paiements et du règlement des différends connexes aux projets de construction à l’échelle fédérale4 ». Le calendrier ambitieux de l’examen prévoit la présentation d’un rapport, ou du moins de recommandations, au gouvernement fédéral d’ici le 1er mai 2018 à l’issue de consultations pancanadiennes réalisées en mars. À la lumière des annonces publiques faites par le gouvernement fédéral, le processus d’examen se traduira par une forme de législation sur le paiement rapide et le règlement des différends.
Le Manitoba, le Nouveau-Brunswick et le Québec font partie des autres provinces qui ont officiellement entamé un processus similaire. La Commission de la réforme du droit du Manitoba a publié The Builders’ Liens Act: A Modernized Approach (disponible uniquement en anglais) qui prévoyait l’envoi de commentaires jusqu’au 2 avril 2018. Le 11 avril au Manitoba, un projet de loi émanant d’un député, le projet de loi 218, a été déposé. La Loi sur le paiement sans délai dans l’industrie de la construction a franchi l’étape de la deuxième lecture le 24 avril.
Au Nouveau-Brunswick, les Services législatifs du Cabinet du procureur général publient deux ensembles de Bulletins de la réforme du droit et sont ouverts aux commentaires après la publication. Le Bulletin de la réforme du droit no 40, publié en décembre 2017, porte sur la modernisation.
La date limite pour exprimer des commentaires est passée, mais il semble que même les commentaires tardifs soient acceptés. Le Bulletin de la réforme du droit no 41 devrait paraître sous peu. Il portera sur le paiement rapide et sur le règlement des différends, et sera lui aussi assorti d’une période pour soumettre des commentaires. Enfin, le Québec a mis en place un projet pilote découlant des dispositions du projet de loi 1085 - Loi favorisant la surveillance des contrats des organismes publics et instituant l’Autorité des marchés publics pour insérer une partie du libellé en matière de paiement rapide dans les contrats publics, avant l’adoption complète d’un règlement qui visera tous les contrats publics.
Envisageant une réforme moins officielle, d’autres provinces, dont la Colombie-Britannique, la Saskatchewan et l’Alberta, ont suscité la participation des parties prenantes. Le British Columbia Law Institute a entrepris un projet de réforme de la loi sur le privilège du constructeur (Builders Lien Act Reform Project), mais n’a pas encore publié de rapport comportant des recommandations6. Quant à lui, le gouvernement de la Saskatchewan a officieusement amené les parties prenantes locales à effectuer un examen préliminaire des modifications ontariennes, espérant, à l’avenir, ajouter des dispositions sur le paiement rapide et le règlement des différends dans sa loi. Enfin, le gouvernement de l’Alberta a ajouté des dispositions sur le paiement rapide dans les contrats d’Infrastructures de l’Alberta (Alberta Infrastructure)7. Cependant, aucune vaste réforme de la législation sur le privilège n’est prévue à ce jour.
Alors que toutes les provinces n’ont pas encore adopté de nouvelle législation ou entamé de processus de consultation pour ce faire, il semble que le concept de paiement rapide soit un fait accompli.
Andrew J. O’Brien est directeur, Risque lié à la caution, Travelers Canada, et Ted Betts est associé dans le cabinet Gowlings WLG.