C’est trop souvent pendant l’exécution d’un projet de construction que surviennent des problèmes concernant les délais ou les suppléments. La décision Conwest Contracting Ltd. v. Crown and Mountain Creations Ltd. 2021 BCSC 2116 (« Conwest ») confirme l’importance pour les promoteurs et les entrepreneurs de suivre leur contrat à la lettre dans ce genre de situation. En effet, si un litige survient dans un cas où le contrat n’a pas été rigoureusement respecté, le tribunal peut se baser sur la conduite des parties pour interpréter celui-ci. Y compris des comportements qui se sont déroulés avant la signature sans que la partie en question n’en soupçonne les conséquences.
Les faits
Dans l’affaire Conwest, un entrepreneur (l’« entrepreneur ») réclamait des suppléments et des acomptes dans le cadre d’un CCDC 2 (le « contrat ») d’excavation et de chevalement (les « travaux ») s’inscrivant dans un projet de construction résidentielle mené par Crown and Mountain Creations Ltd. (le « propriétaire »). Le propriétaire, pour sa part, présentait une demande reconventionnelle faisant valoir le retard des travaux et les frais engagés pour les faire faire par un autre entrepreneur. Quant au sous-traitant chargé du chevalement, il poursuivait l’entrepreneur pour non-paiement de factures.
Pendant les travaux, l’entrepreneur et le sous-traitant ont été retardés et ont dû assumer des frais supplémentaires (les « suppléments ») en raison des conditions imprévues du terrain et d’une météo hivernale défavorable. L’entrepreneur a soumis des bons de travail aux propriétaires pour les suppléments en invoquant des « conditions imprévues », mais n’a pas envoyé d’avis officiel concernant lesdites « conditions imprévues » comme le prévoyait le contrat. Le propriétaire a consenti à l’exécution du travail supplémentaire, sans toutefois accepter les bons de travail pour les suppléments.
L’entrepreneur a interrompu les travaux après en avoir réalisé environ 80 %, parce que le propriétaire avait sauté deux acomptes et refusait d’approuver de nouveaux bons de travail pour des suppléments.
Le propriétaire a alors envoyé un avis de défaut d’exécution à l’entrepreneur. Ce dernier a refusé de reprendre le travail sans recevoir ses paiements. Le propriétaire a alors décidé de résilier le contrat et a trouvé un nouvel entrepreneur pour achever les travaux. Le propriétaire a ensuite réclamé le coût des travaux d’achèvement à l’entrepreneur et rejeté les demandes de suppléments, affirmant que les travaux visés par celles-ci faisaient partie du prix de base du contrat et que l’entrepreneur avait tout simplement présenté une soumission trop basse et mal géré les travaux.
Décision
Dans sa décision, la Cour commence par faire remarquer qu’aucune des deux parties n’a parfaitement ni même réellement respecté les termes du contrat, mais que chacune a plutôt cherché à se rabattre sur telle ou telle clause pour en tirer profit. Le litige n’en était que plus complexe à trancher et, surtout, ce comportement a obligé la Cour à s’en remettre davantage à la conduite des parties pour établir leurs intentions, au-delà du libellé du contrat.
La Cour a accueilli la requête de l’entrepreneur eu égard au contrat et au principe du quantum meruit. Elle était d’avis que le contrat prévoyait la possibilité que des travaux supplémentaires puissent légitimement être exécutés et payés sans qu’on doive en conclure qu’il s’agissait d’un contrat à prix coûtant majoré, contrairement aux prétentions du propriétaire. Les suppléments se justifiaient puisque l’état du sol constituait une « condition imprévue ». Par ailleurs, le tribunal a reconnu que même s’il n’a pas donné avis du retard comme il devait le faire, l’entrepreneur avait justifié par écrit les frais supplémentaires à la demande du propriétaire, lequel avait approuvé le travail supplémentaire.
Dans sa décision, la Cour s’est basée entre autres sur la conduite des parties avant et pendant l’exécution du projet, constatant notamment que le propriétaire avait signé une proposition qui excluait expressément les travaux ayant donné lieu aux suppléments. Elle a également conclu que l’entrepreneur n’était pas responsable du retard, lequel avait été causé par des conditions imprévues et aussi, en partie, par les mesures prises par le propriétaire pour tenter de s’adapter à celles-ci.
Toutefois, la Cour a aussi donné droit à la demande reconventionnelle du propriétaire. Certes, la résiliation ne s’était pas faite selon les clauses du contrat, et l’entrepreneur n’avait pas fondamentalement manqué à ses obligations. Il n’en reste pas moins que la résiliation était conforme à la common law, qui autorise cette mesure en cas de répudiation. En effet, en refusant de reprendre le travail, l’entrepreneur signalait une intention de s’affranchir du contrat, ce qui équivaut à une répudiation. Au surplus, selon la Cour, l’entrepreneur n’aurait pas dû décider par lui-même de cesser les travaux : il aurait dû remplir ses obligations et réclamer ensuite son dû par la négociation ou par voie de justice.
Ce que doivent retenir propriétaires et entrepreneurs
L’affaire Conwest rappelle que, dans un projet de construction, toutes les parties doivent respecter scrupuleusement les clauses de leur contrat si elles veulent les invoquer en cas de litige, à défaut de quoi le contentieux risque de s’avérer particulièrement complexe et onéreux, et l’issue, incertaine. En effet, le tribunal peut alors tenir compte d’une conduite que les parties croyaient indépendante de l’interprétation du contrat.
Pour les entrepreneurs, ce jugement indique l’importance de respecter parfaitement les exigences d’avis prévues dans le contrat lorsqu’ils entendent réclamer un supplément ou prévoient un retard. Les entrepreneurs doivent aussi savoir qu’un défaut de paiement ne leur donne pas forcément le droit d’abandonner le travail par un acte unilatéral. L’entrepreneur doit plutôt remplir ses obligations, faire savoir officiellement qu’il n’accepte pas pour autant les manquements, et chercher à se faire payer plus tard, soit en négociant, soit par voie de justice. Sinon, il pourrait y avoir répudiation de fait, ce qui autorise le propriétaire à résilier le contrat en vertu du droit des obligations ou de la common law.
Pour les propriétaires, il rappelle l’importance de respecter scrupuleusement les clauses de résiliation, à défaut de quoi la résiliation pourrait être invalide et donner lieu à des dommages-intérêts. Il y a aussi lieu d’établir clairement la répartition des risques et des responsabilités dès l’amorce du projet.
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Denny Chung et Buck Hughes sont avocats au cabinet Clark Wilson.