Remarque : Cet article a été publié pour la première fois sur le blogue intitulé Constitutionally Canadian (disponible uniquement en anglais) le 6 juin 2016.
Le 3 juin 2016, la Cour suprême du Canada a de nouveau affirmé le principe constitutionnel appuyant le secret professionnel entre les conseillers juridiques et leurs clients. Les juges Wagner et Gascon, motivant l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec, 2016 CSC 20, ont souligné l’importance du secret professionnel de l’avocat, non seulement au sein du système judiciaire, mais aussi du système juridique. Selon l’arrêt Chambres des notaires et l’arrêt Canada (Revenu national) c. Thompson 2016 CSC 21, publiés en même temps, la Cour a affirmé que le droit au secret professionnel prévaut sur le besoin du gouvernement de pouvoir obtenir les livres comptables des conseillers juridiques dans la mesure où ils concernent leurs clients.
L’arrêt Chambre des notaires porte sur des faits relativement simples. L’Agence du revenu du Canada avait fait parvenir des « demandes péremptoires » aux notaires du Québec aux termes de l’art. 231.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) leur intimant de produire des renseignements et documents dont l’Agence affirmait qu’ils tombaient sous le coup de l’exception concernant les renseignements et documents protégés par le secret professionnel de l’avocat en vertu du par. 232(1), soit les relevés comptables. Le défaut de conformité des notaires en question avec les exigences pourrait être sanctionné par une amende ou un emprisonnement, ou les deux.
La Cour a énoncé les enjeux constitutionnels concernant la question de savoir si les dispositions pertinentes de la LIR enfreignent les articles 7 ou 8 de la Charte, ou les deux. Dans l’affirmative, ces dispositions pouvaient-elles être sauvegardées en application de l’article premier?
Dans les paragraphes d’introduction, les juges Wagner et Gascon ont souligné l’importance vitale jouée par le secret professionnel dans la structure de notre système juridique.
[5] La Cour a déjà reconnu que le secret professionnel est un principe de justice fondamentale au sens de l’art. 7 (Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 61, [2002] 3 R.C.S. 209, par. 49). C’est aussi un droit civil de la plus haute importance dans le système de justice canadien. Le secret professionnel doit donc demeurer aussi absolu que possible, et les tribunaux doivent adopter des normes rigoureuses afin d’en assurer la protection.
Ils ont en outre affirmé que les « demandes péremptoires » de la LIR constituent des saisies aux termes de l’article 8 de la Charte, déclarant :
L’article 8 de la Charte ne protège pas explicitement le secret professionnel. Cet article fournit plutôt une protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. Pour déterminer si une action gouvernementale est contraire à l’art. 8, il faut répondre à deux questions. La première est de savoir si l’action gouvernementale empiète sur une attente raisonnable au respect de la vie privée d’un particulier. Dans l’affirmative, elle constitue une saisie au sens de l’art. 8. La seconde consiste à déterminer si la saisie représente une atteinte abusive à ce droit à la vie privée (R. c. Edwards, [1996] 1 R.C.S. 128, par. 33; Lavallee, par. 35). En l’espèce, la première étape ne pose pas réellement problème, puisque dans R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, la Cour a jugé que la demande péremptoire régie par le par.231(3) de la LIR (maintenant le par. 231.2(1)) constitue une saisie au sens de l’art. 8 (p. 641-642).
Faisant remarquer que le secret professionnel était, à l’origine, une simple règle de preuve, les éminents juges ont affirmé qu’il s’est transformé en une « règle de fond » et qu’il a été reconnu avoir « une grande importance et une place exceptionnelle dans notre système juridique » [par. 28]. D’ailleurs, il est si fondamental pour notre système judiciaire, qu’il a été déclaré être un « principe de justice fondamentale » au sens de l’art. 7 et devoir demeurer « aussi absolu que possible » [par. 28].
Dans Lavallee, la Cour réaffirme que le droit au secret professionnel est maintenant devenu un droit civil important et que le secret professionnel de l’avocat ou du notaire est un principe de justice fondamentale au sens de l’art. 7 de la Charte (par. 49). Il est, au surplus, généralement considéré comme une règle de droit « fondamentale et substantielle » (R. c. National Post, 2010 CSC 16, [2010] 1 R.C.S. 477, par. 39). En raison de son statut important, la Cour a souvent indiqué qu’on ne doit y porter atteinte que dans la mesure où cela est absolument nécessaire, étant donné que le secret professionnel doit demeurer aussi absolu que possible (Lavallee, par. 36-37; McClure, par. 35; R. c. Brown, 2002 CSC 32, [2002] 2 R.C.S. 185, par. 27; Goodis c. Ontario (Ministère des Services correctionnels), 2006 CSC 31, [2006] 2 R.C.S. 32, par. 15).
Les juges Wagner et Gascon ont affirmé que les clients des conseillers juridiques (notant expressément qu’en l’espèce il n’existait aucune distinction entre les notaires au Québec et les avocats au Québec et ailleurs au Canada) ont une attente raisonnable au respect du caractère confidentiel des renseignements et documents en la possession de leurs conseillers juridiques visés par une demande péremptoire [par. 35]. Ils se sont ensuite demandé si les demandes péremptoires constituaient des « atteintes abusives » aux droits des clients à la vie privée, et ont répondu dans l’affirmative.
Un certain nombre de motifs ont été avancés pour justifier cette conclusion. Tout d’abord, la LIR n’exige pas que les clients reçoivent un avis les informant de la remise d’une demande péremptoire à leurs conseillers juridiques. Ensuite, il incombe exclusivement au conseiller juridique en question de déterminer s’il va produire les renseignements et documents exigés. En troisième lieu, le gouvernement n’a pas établi que le fait d’obliger les conseillers juridiques à divulguer les renseignements et documents était strictement nécessaire. Enfin, ils ont conclu qu’aucune mesure n’avait été prise pour atténuer l’atteinte au secret professionnel de l’avocat (ils ont comparé l’approche adoptée dans la LIR à celle prise par Revenu Québec qui prévoyait l’envoi d’un avis au client et l’examen, par un juge, de la nécessité de la production des documents).
Les éminents juges ont affirmé qu’en l’espèce, il serait préférable de déclarer simplement que les dispositions prévoyant l’utilisation des demandes péremptoires ne sont pas applicables aux conseillers juridiques dans la mesure où elles concernent les renseignements et documents de leurs clients et que le par. 232(1) devrait être réputé inconstitutionnel dans la mesure où il s’agit de l’exception visant les relevés comptables des conseillers juridiques.
En bref, la Cour a de nouveau défendu le principe de justice fondamental qu’est le secret professionnel de l’avocat, se fondant maintenant sur les attentes de confidentialité protégées par l’art. 8 de la Charte comme autre moyen de protection.
Arthur Grant est associé chez Grant Kovacs Norell à Vancouver.