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Une décision de la Cour provinciale du Nouveau-Brunswick du printemps dernier a fait couler beaucoup d’encre. Dans l’affaire R. c. Comeau, le juge Leblanc infirme une cause centenaire de la Cour Suprême du Canada et conclut que la poursuite contre M. Comeau en violation de la Loi sur la règlementation des alcools doit être rejetée. M. Comeau avait été arrêté après avoir acheté plus de 15 caisses de bières à la régie des alcools au Québec pour les ramener chez lui à Tracadie. La décision de la cour provinciale surprend à plusieurs égards. Des arguments semblables avaient été invoqués par le passé au Nouveau-Brunswick sans succès, et la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Gold Seal avait été appliquée à maintes reprises dans d’autres jugements.
Néanmoins, le juge Leblanc a statué que la portée de l’article 121 de la Loi constitutionnelle de 1867 régissant le commerce interprovincial visait plus que la simple élimination des frais de douanes entre les provinces comme la Cour suprême l’avait conclu en 1921. Le juge Leblanc est parvenu à une conclusion différente à partir des opinions d’experts qui lui ont été présentées, à savoir que ces expertises constituent une nouvelle preuve lui permettant de contourner la règle de stare decisis et de ne pas suivre le précédent de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Gold Seal.
Certains commentateurs accueillent cette décision comme étant une brèche importante de la jurisprudence constitutionnelle dite progressiste et y voient même une porte d’entrée vers un courant « originiste » bien défendu aux États-Unis. Or, le juge Leblanc ne dit rien de la sorte.
Il passe en revue les règles permettant à une cour inférieure de contourner la règle de stare decisis et il conclut qu’il n’y a ni argument juridique nouveau, ni changement de circonstances donnant voie au réexamen de la cause. Toutefois, il en arrive à conclure que la preuve devant lui est nouvelle et contraignante au point de lui permettre de passer outre la décision antérieure. Se fondant sur la preuve d’experts concernant le « moment constitutionnel » et se penchant sur le texte même de la Loi constitutionnelle de 1867, le juge Leblanc arrive à une conclusion tout autre que celle formulée par la Cour suprême en 1921. Il considère une preuve alléguée d’interférence politique dans le délibéré de la Cour suprême dans l’arrêt Gold Seal, mais il la rejette.
Or, la preuve d’une telle interférence politique, eut-elle été acceptée, aurait été plus apte à fonder une exception à la règle de stare decisis au moyen d’une preuve nouvelle. Ayant rejeté cette preuve la Cour provinciale aurait pu mieux motiver l’exception à la règle en démontrant un changement de circonstances. Les courants en faveur du libre-échange sont sans doute beaucoup plus forts qu’il y a cent ans, tandis que le discours contre la vente d’alcool a presque été abandonné. Il y aurait certes là un fondement sur lequel pourraient reposer des motifs pour remettre en cause une décision qui date de cent ans.
Toujours est-il que la décision Comeau, peu importe sa marque sur la doctrine en matière d’interprétation des textes constitutionnels, demeure un rappel important du rôle des tribunaux, et même des tribunaux inférieurs dans le maintien de la Constitution, et ce, non seulement au regard de la Charte des droits et libertés.
Christian Whalen est conseiller juridique principal au Bureau du défenseur des enfants et de la jeunesse de la Province du Nouveau-Brunswick.