Lorsque le processus d’examen d’une fusion débute, la dernière chose que souhaite l’avocat, c’est recevoir une demande de renseignements supplémentaires (DRS). Mais qu’il le veuille ou non, cela se produit dans environ 6 %1 des cas. Et répondre à une DRS peut être un exercice aussi contraignant qu’onéreux. Les Lignes directrices concernant le processus d’examen des fusions du Bureau de la concurrence2 représentent une source utile pour quiconque doit répondre à une DRS et se plier aux exigences techniques associées. Mais selon notre expérience, il existe aussi des trucs d’ordre plus « général » pour mieux s’en sortir.
I - Bonnes pratiques
1. Gérer les attentes.
Un client qui n’a encore jamais reçu de DRS ne réalise pas toujours l’ampleur de la tâche qui s’annonce. Afin de lui éviter une mauvaise surprise (voire de la frustration), vous devriez lui brosser un portrait complet de ce à quoi il doit s’attendre.
Il y a lieu tout d’abord de lui préparer une trousse de départ contenant un exemple de DRS (extrait ou document caviardé) ainsi qu’une liste de contrôle présentant chaque étape du processus (du dialogue préalable à l’attestation, en passant par la désignation des personnes visées), et survoler les documents avec lui. En effet, le client pourrait ne pas réaliser dès le départ que la manière dont les termes définis sont utilisés dans la DRS est importante, ou que la demande peut aussi viser des documents qui n’ont pas été générés dans le cadre de l’opération examinée.
De plus, il est bon d’inviter au plus vite le client à déterminer s’il y aurait des raisons valables de limiter la portée de la DRS, et de creuser la réflexion avant que ne s’amorce le dialogue préalable. Il se peut par exemple que certains renseignements demandés selon les directives ne soient pas réellement utiles, ou qu’en raison de la manière dont ils sont consignés, certains documents contiennent tellement de données qu’il sera irréaliste de les traiter dans le cadre de l’examen.
2. Bâtir une équipe
Tout est une question de méthode et d’organisation : pour quelqu’un qui s’en charge seul, répondre à une DRS typique demande assez de travail pour devenir un second emploi à temps plein. On comprendra la sagesse, particulièrement lorsque la DRS est de vaste portée, de désigner trois personnes-ressources principales dans l’entreprise du client. La première sera quelqu’un de l’équipe des TI qui sera la référence pour toute question technique, de la création d’images de disques et de fichiers .pst à la participation aux entretiens avec les personnes visées pour répondre aux questions concernant les méthodes de stockage et d’archivage des fichiers en usage chez le client. La deuxième personne-ressource se chargera des données; elle chapeautera la collecte des renseignements demandés. La troisième sera la gestionnaire du projet de réponse à la DRS (il s’agira habituellement de l’avocat à l’interne ou du principal point de contact avec le client), et aura pour tâche de tout superviser à l’interne.
Certains membres du personnel du client seront naturellement doués pour traiter la DRS et se débrouilleront fort bien une fois orientés dans la bonne direction. Mais nous avons appris que lorsqu’une demande s’avère particulièrement épineuse – et que l’équipe du client peut s’en trouver dépassée –, il peut être judicieux de faire appel à un cabinet externe connaissant bien les activités du client pour prendre en charge la logistique.
Le cas échéant, la sélection de l’équipe externe doit se faire avec le plus grand soin pour que tout le volet « documentation » se déroule efficacement et dans le respect des exigences. Certains clients auront retenu à l’avance les services d’une entreprise pour traiter les demandes de ce type dans chaque ressort où ils exercent leurs activités. Il n’y a donc pas de choix à faire. Mais lorsqu’il faut faire une sélection, le critère du moins cher n’est pas toujours – comme c’est souvent le cas dans la vie – le meilleur. Parlez-en à votre équipe de gestion de documents, renseignez-vous, et restez au fait du travail qu’accomplissent les divers cabinets – et des services et programmes intéressants qu’ils offrent – en allant les rencontrer à l’occasion.
3. Préparer des modèles
Pour vous assurer que le client fournit les données qu’on lui demande dans la DRS, nous suggérons de créer un modèle de réponse clair pour chaque directive à cet effet. En plus d’aider les personnes chargées de l’extraction à produire les données exigées sans erreur ni omission du premier coup, nous avons constaté que l’utilisation de modèles permet d’éviter bien des questions de suivi concernant les directives. N’hésitez pas à diviser les feuilles de travail en « petites bouchées » si besoin est... et ne sous-estimez jamais l’incroyable utilité d’étiqueter avec soin leurs lignes et colonnes.
4. Obtenir un soutien technique
Lorsque vous chercherez le moyen le plus efficace de colliger les documents, demandez-vous si la technologie pourrait vous être utile. Il existe des logiciels d’examen assisté, qui allient fiabilité et maniabilité et s’adaptent à toutes sortes d’utilisations. S’il n’est peut-être pas bon de tout faire au moyen de ces logiciels, leur utilisation peut vous faire économiser temps et argent – et pas qu’un peu. Demandez au fournisseur chargé d’examiner les documents d’employer ce genre d’outil pour trier les documents en fonction de leur pertinence, ou encore, priez-le d’employer tout autre mécanisme d’apprentissage machine qu’il possède pour rationaliser le processus entier. En plus de filtrer le « bruit », comme des courriels indésirables contenant un mot-clé isolé, pour vous éviter des pertes de temps, cette méthode dégagera les documents qui sont potentiellement les plus importants à porter à votre attention en tant qu’avocat.
5. Sélectionner avec soin les personnes visées
L’un des aspects les plus critiques de la réponse à une DRS consiste à déterminer correctement les « personnes visées » – c’est-à-dire les détenteurs des documents demandés. Lisez attentivement la DRS pour bien comprendre à quelles fonctions s’étend la définition de « cadre supérieur » et combien d’échelons hiérarchiques elle englobe. Demandez au Bureau quel type de renseignements il souhaite obtenir, puis ciblez les membres de l’organisation qui sont les plus susceptibles de les détenir. Par exemple, une entreprise où les prix de détail fluctuent fréquemment aura pu centraliser l’établissement de sa tarification de manière à ce que ce ne soit plus l’affaire du personnel sur le terrain. Ces gens, qui ne font désormais plus de recommandations concernant les prix, ne seraient donc pas à retenir comme personnes visées.
Il est particulièrement délicat de trouver l’équilibre entre une sélection trop restreinte et une sélection trop large. Mais si le dossier repose sur de nombreux documents produits de façon concomitante, et qu’il y a de bonnes chances que l’affaire finisse au Tribunal de la concurrence, il est mieux d’avoir désigné un nombre généreux de personnes visées pour que le client ait une bonne quantité d’éléments de preuve à sa disposition. S’il y a trop peu de personnes visées, il se pourrait que le Bureau s’oppose et demande qu’on en ajoute d’autres. Et dans le pire des cas, le Bureau pourrait juger que la réponse à la DRS est déficiente.
6. Produire les documents de façon continue
Le Bureau apprécie vivement qu’on l’alimente à mesure que les éléments de réponse sont prêts. Non seulement cela peut accélérer l’examen, mais parfois, cela lui permet d’écarter à mi-chemin certains produits ou zones géographiques initialement visés par la DRS. Par exemple, si on lui fournit rapidement les données en réponse à l’une de ses questions, le Bureau pourrait retirer un élément du champ de la DRS avant que l’examen des dossiers ne débute, et vous, l’avocat, pourrez supprimer certains critères de recherche, ce qui entraînera du coup des économies en temps et argent. Assurez-vous que les courriels envoyés au Bureau indiquent clairement ce que comprend et ce que ne comprend pas chaque vague de renseignements (p. ex., signalez-lui d’avance les exclusions qui figureront dans votre attestation) pour éviter tout questionnement quant au fait qu’il reste ou non des informations à venir.
7. Se donner un échéancier réaliste
Répondre à une DRS peut être une entreprise d’envergure insoupçonnée. Or, le client voudra naturellement savoir quand tout sera fini. En moyenne, il faut compter environ deux mois pour répondre à une DRS3, bien que ce délai puisse varier en fonction de la portée de la demande et des ressources de l’avocat ou du client. Un conseil pour évaluer le délai : divisez le travail en « petites bouchées ». Attention de prévoir suffisamment de temps pour l’examen des documents, l’examen des revendications de privilège et le contrôle de la qualité en aval, considérant un rythme de travail raisonnable.
II - Amélioration des processus
Pendant qu’on y est, profitons-en pour présenter quelques suggestions d’amélioration du processus de DRS en général, notamment parce que le Bureau a indiqué que le volume des réponses grimpe parfois à des niveaux insoutenables. Nous savons que le Bureau investit déjà des ressources pour trouver des moyens d’améliorer son processus, mais il nous incombe également, en tant qu’avocats, de réfléchir à la question. Nous espérons que ces suggestions feront mouche.
1. Approfondir le dialogue préalable
Selon notre expérience, malgré le temps considérable qu’il faut pour répondre à une DRS, le dialogue préalable est souvent mené rapidement et surtout pour la forme. Or, il serait bon d’accorder plus d’importance à cette étape. Nous avons entre autres remarqué que lorsque le Bureau examine pour la première fois un domaine complexe, ses directives écrites peuvent parfois porter à confusion et ne pas cibler parfaitement les renseignements qu’il souhaite obtenir. L’objectif, de part et d’autre, devrait être de mettre en commun les efforts et facultés des parties pour maximiser l’efficacité de la DRS et l’efficience du processus de réponse.
Lorsque l’envoi d’une DRS est inévitable, l’avocat devrait sérieusement penser à se mettre à la disposition du Bureau dès le départ pour faciliter le processus – et le Bureau devrait profiter de son offre.
L’approfondissement du dialogue préalable peut également ouvrir des voies intéressantes pouvant mener à l’évitement d’une DRS. Prenons le cas d’une opération pour laquelle le Bureau prévoit remettre une demande de portée plutôt réduite : il pourrait ressortir d’une discussion approfondie que l’une et l’autre partie se satisferaient d’une demande d’information à titre volontaire, combinée au retrait et à la nouvelle soumission des avis.
2. Plus de « sur mesure » et moins de « prêt-à-porter »
Nous croyons que les DRS pourraient être mieux adaptées à la question examinée. En particulier, les modèles de demandes de données qui sont jointes aux DRS seraient à revoir avant chaque envoi. En effet, il arrive souvent que des données demandées soient incompatibles avec la nature du produit ou du secteur visé (p. ex., il n’est pas universellement pertinent ou applicable de demander un « numéro de connaissement »), ce qui peut porter à confusion et demander un travail inutile pour le client.
3. Cours 101 sur le domaine
L’avocat et son client devraient s’employer à informer le Bureau sur l’industrie dont il est question. L’avocat a beau arguer tant qu’il veut qu’une opération donnée ne présente aucun problème relatif à la concurrence… il risque de ne pas faire avancer son cas si le Bureau en est encore à comprendre comment les choses fonctionnent dans son domaine. Ce manque de connaissance peut d’ailleurs transparaître dans l’ébauche de la DRS. C’est lorsqu’il en est aux étapes préalables à l’envoi de sa demande que le Bureau profiterait au maximum d’un tour guidé de l’industrie.
Bien que cela puisse aussi faire partie de la présentation initiale concernant les effets sur la concurrence, l’avocat devrait envisager de faire donner, par des membres aguerris de l’entreprise, un petit cours introductif sur le domaine (en personne ou par téléconférence) pendant que la demande est en préparation. Le fait d’inculquer les mêmes bases à tout le monde devrait apporter son lot d’effets salutaires, comme une communication plus ouverte (p. ex., le dialogue préalable s’ouvrira plus tôt et sera plus constructif) ou la production d’une DRS mieux adaptée aux réalités opérationnelles.
Notes de bas de page
1 D’après les données du Rapport sur la mesure du rendement et les statistiques du Bureau de la concurrence pour la période se terminant le 31 mars 2018 (https://www.bureaudelaconcurrence.gc.ca/eic/site/cb-bc.nsf/fra/04300.html). Cette source montre que 965 revues des fusions ont été commencées de 2014-2015 à 2017-2018 (Tableau 3.0.1), et que 61 demandes de renseignements supplémentaires (DRS) ont été envoyées pendant la même période (Tableau 3.3.3), ce qui correspond à 6,3 % des revues. Il est à noter toutefois que seuls les cas où il y a eu préavis de fusion en application de la partie IX de la Loi sur la concurrence ouvrent à la possibilité d’une DRS. Quant aux cas où il n’y a pas eu de DRS, mais où il y eu recours à d’autres mesures d’application officielles (p. ex., une ordonnance rendue en vertu de l’article 11 de la Loi), ceux-ci n’ont pas fait l’objet d’un suivi dans le rapport susmentionné.
2 Lignes directrices concernant le processus d’examen des fusions, en ligne : https://www.bureaudelaconcurrence.gc.ca/eic/site/cb-bc.nsf/fra/03423.html.
3 Selon les renseignements fournis par l’Unité des avis de fusion; le tout concorde avec notre propre expérience.