Vue d’ensemble
La communauté internationale antitrust a constaté une récente expansion des accords de coopération de soi-disant deuxième génération passés entre des instances nationales spécialisées dans la concurrence. La principale caractéristique qui distingue ces accords de ceux de la première génération est qu’ils autorisent les signataires à échanger des renseignements confidentiels sans avoir à obtenir préalablement le consentement de leurs sources. De façon générale, l’Australie et les États-Unis sont les premiers pays qui ont conclu ces accords, en 1999. Les pays scandinaves ont suivi en 2001. En 2013, le nombre de ces accords s’est accru avec la signature d’accords entre la Nouvelle-Zélande et l’Australie, et l’Union européenne et la Suisse. L’Australie et le Japon ont signé un accord en 20151.
Le Canada cherche aussi à instaurer une coopération de deuxième génération. Le Commissaire de la concurrence (le commissaire) a signé deux de ces ententes, l’une avec la New Zealand Commerce Commission (Commission du commerce de la Nouvelle-Zélande) (NZCC) le 12 avril 20162, et l’autre avec la Japan Fair Trade Commission (Commission japonaise des pratiques commerciales loyales) (JFTC) le 11 mai 20173. Il a en outre annoncé que les négociations avec les instances européennes en vue d’une coopération de deuxième génération se poursuivent4. Dans son Plan annuel 2017-2018, le Bureau de la concurrence (le Bureau) présentait la recherche de ces accords comme une priorité5. Selon le commissaire, il tire son pouvoir de communication de renseignements sans le consentement de leur source de l’article 29 de la Loi qui l’autorise à communiquer des renseignements « dans le cadre de l’application ou du contrôle d’application » de la Loi6.
Il importe de comparer les modalités des deux accords de deuxième génération contractés par le commissaire.
Les accords avec la NZCC et avec la JFTC
Renseignements fournis par les demandeurs d’immunité ou de clémence
En règle générale, les accords avec la NZCC et la JFTC autorisent le commissaire à communiquer à l’autre entité « tout renseignement en sa possession ou sous son contrôle » sans obtenir le consentement de la source de ces renseignements.
L’accord avec la JFTC quant à lui, interdit expressément aux instances de communiquer « les renseignements obtenus dans le cadre d’une demande d’immunité ou de clémence » sans le consentement du demandeur d’immunité ou de clémence. Alors que cette dérogation expresse encourage les demandeurs d’immunité ou de clémence, elle brille par son absence dans l’accord avec la NZCC. Elle est néanmoins probablement implicite puisque l’accord avec la NZCC exige du commissaire qu’il communique les renseignements conformément à ses « politiques, lignes directrices ou pratiques ». Parce que les lignes directrices du Bureau indiquent que les renseignements fournis par un demandeur d’immunité ou de clémence ne seront pas divulgués à une instance étrangère sans le consentement du demandeur, on ne s’attendrait pas à une communication à la NZCC des renseignements concernant un demandeur en l’absence de renonciation.
Les raisons pour lesquelles les deux accords sont différents à cet égard ne sont pas claires. Cependant, l’inclusion de la dérogation expresse dans les futurs accords améliorerait la certitude et la prévisibilité pour les personnes qui envisageraient de déposer une demande en vertu des programmes. Qui plus est, dans tout document de programme mis à jour publié par le Bureau à l’issue de son examen de ses programmes d’immunité et de clémence, on s’attend à ce que le Bureau doive clarifier sa politique concernant les renonciations à la confidentialité à la lumière des accords de deuxième génération existants et à venir.
Renseignements protégés par un privilège
Les accords signés par le commissaire diffèrent également sur un autre point important. Alors que celui signé avec la NZCC contient des mesures de protection expresses des renseignements protégés par un privilège, ce n’est pas le cas de l’accord conclu avec la JFTC. Plus précisément, l’accord passé avec la NZCC prévoit que lors de la communication de renseignements protégés, l’instance qui les divulgue ne sera pas réputée avoir renoncé à ce privilège (une clause de non-renonciation) et le bénéficiaire de la communication recevra les renseignements sous le sceau de la confidentialité et (dans toute la mesure du possible) s’abstiendra de les communiquer sans le consentement de l’instance qui les lui a divulgués. L’accord conclu avec la JFTC ne contient pas de clause équivalente.
Alors que le droit de la confidentialité peut ne pas être le même en Nouvelle-Zélande et au Japon, tout accord futur qui régira la communication de renseignements par le commissaire (renseignements qui pourraient être protégés au Canada contre une communication à des tiers au motif de la confidentialité d’intérêt public) à des instances étrangères devrait inclure une clause de non-renonciation. Même si les protections de la non-renonciation sont tacites, leur inclusion expresse accroîtrait le degré de confort des personnes qui envisageraient de coopérer en vertu des programmes d’immunité et de clémence du Bureau.
À l’avenir
Bien que pour les instances les accords de coopération de deuxième génération constituent un ajout utile à l’arsenal existant des méthodes de coordination et de collecte des renseignements en collaboration avec des homologues étrangères, certaines questions importantes devraient faire l’objet d’un examen. Du point de vue pratique, la plus récente initiative de deuxième génération survient à un moment où le commissaire envisage par ailleurs d’apporter de considérables modifications aux programmes d’immunité et de clémence. Il est manifeste que l’interaction entre ces programmes (et plus particulièrement le traitement des renseignements confidentiels et l’utilisation des renonciations) et la coopération de deuxième génération devraient être examinées. En outre, les accords de deuxième génération diffèrent sur le fond, ce qui implique la nécessité d’un examen des modalités particulières de chacun d’entre eux, comme le prouvent les différences entre les accords respectifs conclus par le commissaire avec la NZCC et la JFTC. À une époque où les intervenants sont très préoccupés par le maintien de l’intérêt suscité par les programmes d’immunité et de clémence du Bureau, il demeure essentiel de se pencher sur ces questions.
Subrata Bhattacharjee et Gregory McLean sont avocats dans le cabinet de Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., s.r.l.
Notes de bas de page
1 Consulter Agreement between the Government of Australia and the Government of the United States of America on Mutual Antitrust Enforcement Assistance (27 avril 1999), Agreement between Denmark, Iceland, Norway and Sweden concerning cooperation in matters of competition (16 mars 2001), Co-operation Arrangement between the New Zealand Commerce Commission and the Australian Competition and Consumer Commission in relation to the provision of compulsorily-acquired information and investigative assistance (avril 2013), Accord entre l'Union européenne et la Confédération suisse concernant la coopération en matière d'application de leurs droits de la concurrence (17 mai 2013), Cooperation Arrangement between the Australian Competition and Consumer Commission and the Fair Trade Commission of Japan (29 avril 2015), Organisation de coopération et de développement économiques, OECD inventory of international cooperation agreements on competition, en ligne : http://www.oecd.org/fr/concurrence/inventory-competition-agreements.htm (information disponible uniquement en anglais).
2 Entente de coopération entre le commissaire de la concurrence du Canada et la Commission du commerce de la Nouvelle-Zélande relativement à la transmission de renseignements et à la fourniture d'aide en matière d'enquêtes (12 avril 2016), en ligne : http://www.bureaudelaconcurrence.gc.ca/eic/site/cb-bc.nsf/fra/04050.html.
3 Arrangement de coopération entre le Commissaire de la concurrence, Bureau de la concurrence du gouvernement du Canada et la Commission du commerce loyal du Japon concernant la communication de renseignements dans le cadre de mesures d'application (11 mai 2017), en ligne : http://www.bureaudelaconcurrence.gc.ca/eic/site/cb-bc.nsf/fra/04243.html.
4 Lire les Notes pour une allocution de John Pecman, commissaire de la concurrence (21 mai 2015), en ligne : http://www.bureaudelaconcurrence.gc.ca/eic/site/cb-bc.nsf/fra/03940.html.
5 Bureau de la concurrence, Plan annuel 2017-2018 (18 mai 2017), en ligne : http://www.bureaudelaconcurrence.gc.ca/eic/site/cb-bc.nsf/fra/04241.html.
6 Consulter Bureau de la concurrence, Bulletin d'information sur la communication de renseignements confidentiels aux termes de la Loi sur la concurrence (30 septembre 2013), section 4.2, en ligne : http://www.bureaudelaconcurrence.gc.ca/eic/site/cb-bc.nsf/fra/03597.html. L'interprétation de l'article 29 faite par le commissaire ne fait pas l'unanimité. Les tribunaux canadiens ne se sont pas encore prononcés directement sur la question.