Introduction
Dans les décisions Hôtels Fairmont Inc. (2016 CSC 56) et Groupe Jean Coutu (PJC) inc. (2016 CSC 55), la Cour suprême du Canada a clarifié le droit de la rectification; clarification du reste fort nécessaire. Bien que le résultat puisse être décevant tant pour les contribuables que pour les juristes fiscalistes, ces arrêts remettent l’Ontario sur un pied d’égalité avec le reste du pays en affirmant qu’une demande de rectification doit être appuyée par une intention détaillée.
Fairmont
Les faits de l’affaire Fairmont sont comme suit. En 2002-2003, Fairmont s’est engagée dans une opération de couverture en devises étrangères. En 2006, elle est acquise et privatisée. Grâce à une planification fiscale, elle a évité une perte sur les opérations de change bien que le traitement de la possible exposition de ses filiales ait été remis à plus tard. En 2007, Fairmont a pris des dispositions pour mettre fin à l’opération de couverture afin de vendre deux hôtels. Cependant, ses conseillers fiscaux, s’étant mal souvenus du plan fiscal de 2006, ont accidentellement déclenché des gains sur les opérations de change, qui ont été découverts lors d’un audit réalisé par l’ARC.
La Cour supérieure et la Cour d’appel de l’Ontario ont toutes deux accordé une rectification à Fairmont, se fondant sur l’arrêt Juliar ((2000, 50 OR (3d) 728, demande d’autorisation de pourvoi devant la CSC rejetée, [2000] SCCA No. 621). Dans l’arrêt Juliar, il a été établi que la rectification est possible lorsque les parties (i) avaient [traduction] « une intention commune constante » qu’une opération ne soit pas immédiatement sujette à l’imposition, et (ii) avaient choisi le mauvais moyen pour atteindre ce résultat. Puisque Fairmont avait une intention commune constante de procéder « sans incidences fiscales ou comptables », les tribunaux inférieurs ont permis la rectification afin de corriger le choix du moyen pour le faire.
Le juge Brown de la CSC, a commencé par examiner la rectification et a conclu qu’elle pouvait être utilisée pour corriger un instrument juridique afin de le faire correspondre au véritable accord entre les parties. La CSC a ensuite examiné l’arrêt Juliar rendu par la Cour d’appel de l’Ontario et a souligné que le raisonnement dans cette affaire « présente plusieurs difficultés », a considérablement élargi la portée des cas où la rectification peut être sollicitée en Ontario et « autorisé une planification fiscale rétroactive inadmissible ».
En infirmant la décision Juliar, la CSC a affirmé qu’il ne suffit pas d’avoir une intention générale constante de neutralité fiscale pour justifier la rectification. La partie qui veut effectuer une rectification est tenue d’établir à la fois une erreur dans la consignation de l’accord dans un instrument juridique (tel qu’un contrat) et la façon dont l’instrument devrait être rectifié pour consigner correctement ce que les parties avaient l’intention de faire.
La CSC a affirmé que la rectification ne peut être accordée lorsque l’accord entre les parties constituait une intention générale imprécise. À cet égard, elle a cité Lord Denning : [traduction] « la rectification concerne les contrats et les documents, et non les intentions ».
Appliquant le droit aux faits, la CSC a conclu que la demande de rectification de Fairmont « aurait dû être rejetée, puisqu’elles n’ont pu démontrer qu’elles avaient conclu une entente antérieure dont les modalités étaient déterminées et déterminables ».
Groupe Jean Coutu
Dans le deuxième arrêt, Groupe Jean Coutu, l’appelante était une société québécoise qui souhaitait geler la valeur de sa filiale américaine à des fins comptables, tout en réduisant les conséquences fiscales négatives. Après avoir obtenu des conseils auprès de professionnels, la société a signé une série de transactions planifiées. Malheureusement, les conseillers de la société avaient oublié de tenir compte du revenu étranger accumulé, tiré de biens, ce qui s’est traduit par une inclusion de revenu imprévue. Recevant un avis de cotisation aux fins de l’impôt sur le revenu d’un montant très élevé, la société a demandé l’équivalent en droit civil de la « rectification » à la Cour supérieure du Québec, se fondant sur l’article 1425 du Code civil du Québec qui prévoit que l’interprétation contractuelle devrait être axée sur l’intention commune des contractants, et non sur l’expression littérale de ladite intention.
La Cour supérieure du Québec a accueilli la requête de l’appelante, mais la Cour d’appel du Québec a infirmé la décision et affirmé que les parties cherchaient à réécrire l’histoire fiscale. La Cour d’appel a conclu que l’intention de la société que la transaction soit neutre du point de vue fiscal « n’était pas suffisamment déterminée pour justifier la modification d’une entente » convenue pour éviter les conséquences fiscales imprévues.
Le juge Wagner de la CSC a examiné les dispositions du droit civil en matière de rectification et conclu : « une intention générale de neutralité fiscale ne peut, en l’absence d’une opération juridique précise et d’une prestation, ou de prestations, déterminée ou déterminable, donner lieu à une intention commune [...] et justifier la modification des documents écrits constatant cette entente ».
La CSC a appliqué le critère de droit civil à la rectification aux faits de l’espèce et a décrit la malencontreuse situation de la société comme une dans laquelle « l’erreur réside dans les transactions dont les parties ont convenu, non dans la façon dont elles ont été exprimées ». Selon la CSC, étant donné que les documents écrits exprimaient correctement les transactions particulières convenues, aucune modification n’était possible en vertu de l’article 1425.
Il importe de souligner que le juge Wagner a discuté la façon dont la décision de la CSC dans l’affaire Groupe Jean Coutu correspondait à la politique fiscale. À cet égard, il a indiqué (i) selon l’un des principes fondamentaux du régime fiscal canadien « les conséquences fiscales découlent des rapports juridiques établis par les contribuables ou des transactions juridiques dont ils ont convenu », (ii) selon le principe établi par l’arrêt Duke of Westminster, « les contribuables ont le droit d’organiser leurs affaires de manière à réduire le plus possible l’impôt qu’ils ont à payer » et (iii) à la lumière de ces principes, les contribuables qui n’organisent pas correctement leurs affaires pourraient payer plus d’impôts.
En dernière analyse, le message conféré par l’arrêt Groupe Jean Coutu est le suivant, la rectification ne sera généralement pas à la disposition des contribuables qui ont convenu d’un plan fiscal particulier puis font face à une conséquence fiscale imprévue. Les conséquences fiscales découlent des décisions prises par les contribuables, et non de leurs intentions, motivations ou objectifs.
Commentaire
Ces affaires clarifient la portée de la rectification, plus particulièrement en Ontario où la Cour supérieure devait appliquer la jurisprudence Juliar de la Cour d’appel. Nous savons maintenant qu’une intention générale d’éviter l’impôt ne suffira pas pour obtenir une autorisation de rectification. Par conséquent, nous nous attendons à une diminution du nombre d’affaires sur ce sujet, particulièrement en Ontario, mais aussi à un accroissement des litiges portés devant la Cour canadienne de l’impôt. À tout le moins, il deviendra plus essentiel d’avoir gain de cause devant cette dernière sur les aspects techniques d’un dossier puisque les contribuables ne pourront plus se fonder sur les principes de l’arrêt Juliar pour réclamer une rectification.
Les juristes fiscalistes devraient ne pas oublier que malgré son rejet de la rectification dans l’affaire Groupe Jean Coutu, la CSC a confirmé que la rectification peut comporter l’insertion de transactions supplémentaires, même si elles avaient été convenues à l’origine, mais omises par erreur pour une raison quelconque au moment de la mise en œuvre. Cet aspect de la décision de la CSC pourrait s’avérer utile à l’avenir dans les affaires comportant des éléments excédant la simple « correction ».
Robert G. Kreklewetz est associé et John G. Bassindale est avocat dans le cabinet Millar Kreklewetz LLP