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Les créanciers garantis sont-ils responsables de la dette de TPS/TVH des acheteurs au détail?

17 octobre 2018

Pour aider l’ARC à percevoir la TPS/TVH qui ne lui a pas été remise, l’article 222 de la Loi sur la taxe d’accise crée une fiducie réputée au profit de l’État à l’égard du montant en question. Ces dispositions sur la fiducie réputée établissent, au profit de l’État, une priorité absolue couvrant l’ensemble des biens du débiteur fiscal, y compris ceux qui sont en la possession d’un créancier garanti.

Dans l’arrêt Canada c. Banque Toronto-Dominion, 2018 CF 538, la Cour fédérale du Canada a affirmé que ces dispositions sur la fiducie réputée s’étendent aux recettes générées par la vente volontaire d’un bien du débiteur fiscal (en l’occurrence, une maison) et le paiement subséquent versé à un créancier garanti (la banque bénéficiaire de l’hypothèque). La Cour a en outre conclu que la banque, en qualité de créancière garantie, ne pouvait se fonder sur le moyen de défense en equity fondé sur la notion d’acquéreur de bonne foi et à titre onéreux pour réfuter la fiducie réputée de l’article 222. En somme, cet arrêt pourrait avoir de graves répercussions sur la façon dont les créanciers garantis, tels que les banques, considèrent les hypothèques et autres opérations de prêt lorsque les emprunteurs pourraient avoir des dettes fiscales préexistantes.

En l’espèce, le débiteur, qui exploitait une entreprise d’aménagement paysager à titre d’entreprise individuelle, avait perçu 67 854 $ au titre de la TPS en 2007 et 2008, mais ne les avait pas reversés au receveur général. En 2010, la Banque TD, ignorant la dette fiscale du débiteur, lui a accordé, ainsi qu’à son épouse, une marge de crédit hypothécaire ainsi qu’un prêt hypothécaire. Ces prêts étaient garantis par la maison et le droit de la Banque TD a été dûment enregistré. En 2011, le débiteur a vendu sa maison et utilisé le produit de la vente pour s’acquitter de ses dettes envers la Banque TD, tant celle découlant de l’hypothèque que celle liée à la marge de crédit hypothécaire. Ce remboursement s’est traduit par une mainlevée des garanties enregistrées.

L’ARC a ultérieurement envoyé à la Banque TD une mise en demeure exigeant le remboursement de la dette fiscale de 67 854 $ justifiée par son interprétation des dispositions de l’article 222 de la LTA portant sur les fiducies réputées selon laquelle il s’applique à la vente de biens et exige que la Banque TD rembourse les paiements effectués par le débiteur au moyen du bien qui était réputé détenu en fiducie. En désaccord, la Banque TD s’appuyait notamment sur l’argument selon lequel elle avait le droit d’invoquer le moyen de défense en equity fondé sur la notion d’acquéreur de bonne foi et à titre onéreux, aux termes duquel si un acquéreur d’un bien détenu en fiducie fournit une contrepartie alors qu’il ignore que le transfert constitue un manquement à une obligation fiduciaire, la réclamation du bénéficiaire de la fiducie peut être rejetée.

Après avoir examiné le libellé de l’article 222 de la LTA et la jurisprudence pertinente, la Cour a affirmé que les fonds versés par le débiteur fiscal à la Banque TD constituaient un « produit » du bien du débiteur et faisaient l’objet d’une fiducie réputée. Plus précisément, elle a conclu que l’expression « le produit découlant de ces biens est payé au receveur général » inscrite dans le paragraphe 222(3) recouvre le produit découlant de la vente volontaire d’un bien du débiteur fiscal. Advenant une telle vente, un débiteur fiscal a par conséquent l’obligation de payer le produit au receveur général. Si, au lieu de le faire, il rembourse un créancier garanti, ce dernier est légalement tenu de reverser l’argent à l’État.

Concernant le moyen de défense en equity fondé sur la notion d’acquéreur de bonne foi et à titre onéreux invoqué par la Banque TD, la Cour a affirmé que si ce moyen de défense en equity peut être invoqué par des créanciers non garantis, elle ne peut être invoquée par un créancier garanti pour se soustraire à l’application de la notion de fiducie réputée mise en place par l’article 222. Affirmer le contraire serait, de l’avis de la Cour, priver de toute signification les dispositions de l’article 222 portant sur la fiducie réputée et serait contraire aux antécédents législatifs de ces dispositions qui démontrent une intention du législateur de séparer les créanciers garantis des autres et de les traiter différemment.

La Cour a reconnu que ses conclusions pourraient sembler « sévères pour les créanciers garantis, tout particulièrement lorsqu’ils octroient des prêts à des particuliers plutôt qu’à des entreprises ». Cependant, elle les a motivées par le fait que le paragraphe 222(4), qui prévoit qu’aux fins des dispositions sur la fiducie réputée « n’est pas un droit en garantie celui qui est visé par règlement », suggère que « le législateur s’est déjà penché sur les éventuelles conséquences sévères de la fiducie réputée sur les prêteurs et a tracé une ligne précise quant à ce qui est exempté ».

La décision rendue dans l’affaire Banque TD pourrait avoir des incidences graves sur la façon dont les créanciers garantis, tels que les banques, conçoivent les hypothèques visant des logements et autres prêts garantis (p. ex., les prêts pour l’achat de véhicules automobiles) accordés à des acheteurs possédant des entreprises qui ne sont pas constituées en sociétés. Cela s’explique par le fait qu’essentiellement, elle valide l’hypothèse selon laquelle si un créancier accorde un prêt garanti à un acheteur sans savoir que ce dernier exploite une entreprise qui n’est pas constituée en société titulaire d’une dette fiscale, le prêt, à toutes fins utiles, devient la propriété de l’État et le prêt garanti ne peut être remboursé qu’après l’extinction de la dette fiscale en souffrance. Circonstance aggravante : si le prêt garanti est remboursé avant l’extinction de la dette fiscale, le créancier garanti devient personnellement responsable de la dette fiscale de l’acheteur même s’il ignorait son existence lors du remboursement du prêt garanti.

Cet arrêt pourrait certainement compliquer les choses pour les entreprises, en particulier les entreprises exploitées à titre individuel, qui souhaitent obtenir des hypothèques ou des prêts bancaires car, contrairement aux privilèges de construction, il n’existe actuellement aucun mécanisme de recherche dont pourrait se servir un créancier garanti pour déterminer l’existence d’une fiducie réputée en vertu de l’article 222 avant d’accorder les fonds. Étant donné les considérables ramifications de cet arrêt, nous ne serions pas surpris s’il était infirmé par la Cour d’appel fédérale qui en a été saisie par voie d’appel.

Robert G. Kreklewetz et Steven Raphael sont avocats dans le cabinet Millar Kreklewetz LLP