Les tribunaux de l’Alberta ont récemment été aux prises avec des questions concernant la priorité des impôts fonciers municipaux en vertu de l’article 348 de la Municipal Government Act dans le contexte des instances fondées sur la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. En juin 2017, la Cour du Banc de la Reine, a conclu, dans la décision non publiée rendue dans l’affaire Bank of Nova Scotia et. al. v Virginia Hills Oil Corp et. al., que les impôts fonciers [TRADUCTION] « linéaires » sont une créance ordinaire plutôt qu’une créance garantie par le bien foncier. Cette décision doit être entendue en appel le 12 juin 2018. Plus récemment, à la fin février 2018, le juge Graesser a rendu une décision dans l’affaire Royal Bank of Canada v Reid-Built Homes Ltd. et. al. qui accordait à la ville d’Edmonton un rang prioritaire pour ses impôts fonciers par rapport aux honoraires et dépenses d’emprunt du séquestre. Étant donné l’actuel modèle albertain d’ordonnance de mise sous séquestre (Alberta Template Receivership Order) qui comporte des parties qui accordent aux honoraires et dépenses d’emprunt d’un séquestre un rang de priorité absolu sur tous les autres créanciers, cette décision, bien qu’elle ait elle aussi fait l’objet d’un appel, suggère qu’il existe des circonstances dans lesquelles la priorité absolue d’un séquestre peut être subordonnée à l’impôt foncier municipal. Les auteurs sont des juristes qui ont rédigé les observations au nom de la ville d’Edmonton et ce qui suit mettra en lumière les points juridiques présents dans la décision Reid-Built qui s’appliquent plus précisément à Edmonton et ce que cela pourrait signifier quant à la façon dont les mises sous séquestre et les impôts fonciers municipaux se recoupent en Alberta, voire dans d’autres provinces.
Dans la décision Reid-Built, la Banque royale du Canada avait présenté avec succès une demande de nomination d’un séquestre pour tous les actifs des nombreuses entités qui constituaient le groupe Reid-built Group. L’ordonnance de mise sous séquestre était largement construite sur le modèle albertain d’ordonnance de mise sous séquestre et, en tant que telle, elle comportait des sections sur l’octroi au séquestre d’une vaste priorité absolue sur tous les créanciers à l’égard de ses honoraires et dépenses d’emprunt connexes à l’amélioration ou à la conservation des biens. Dans le cadre d’une demande de modification de l’ordonnance, deux créanciers se sont opposés, entre autres, à la priorité absolue du séquestre. Edmonton, au départ, n’a pas remis en question la priorité absolue du séquestre, mais a décidé de le faire une fois qu’il s’est clairement avéré que le séquestre avait interprété l’ordonnance de mise sous séquestre comme lui accordant une priorité d’un rang supérieur à celui de la ville, malgré l’alinéa 348c) de la Municipal Government Act. Selon les représentants d’Edmonton, cet alinéa place la ville à un rang de priorité supérieur à celui de tous les autres créanciers, sauf la Couronne, en ce qui concerne ses impôts fonciers. Cependant, au moment où Edmonton a déposé sa demande, l’Alberta n’avait aucune jurisprudence sur la question connexe à la priorité absolue d’un séquestre. Dans ce contexte, Edmonton a déposé une demande devant la Cour pour que soit clarifiée l’ordonnance de mise sous séquestre et pour que la créance constituée par les impôts fonciers soit déclarée jouir d’un rang supérieur à celle constituée par les honoraires et dépenses d’emprunt du séquestre.
Dans l’affaire Reid-Built, le séquestre avait fondé sa position sur plusieurs arguments : (1) le critère énoncé par la décision Robert F. Kowal Investments Ltd. v Deeder Electric Ltd. appuie la priorité absolue du séquestre, (2) le modèle albertain d’ordonnance de mise sous séquestre, qui est similaire à celui de l’Ontario, inclut une priorité absolue pour les honoraires et dépenses d’emprunt; (3) la capacité reconnue au séquestre par l’ordonnance lui est accordée par la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et, par conséquent prime sur celle découlant de la Municipal Government Act, (4) la priorité accordée à sa capacité d’emprunt est nécessaire pour préserver et améliorer les actifs visés par la mise sous séquestre, (5) la priorité absolue est nécessaire dans tous les cas de mise sous séquestre afin d’éviter tout effet paralysant sur les motivations poussant les séquestres à assumer cette fonction.
Edmonton s’est fondée sur des décisions rendues en Ontario, y compris par la Cour d’appel, qui semblaient appuyer l’argument selon lequel les impôts fonciers municipaux ne sont pas des créances d’un rang inférieur aux honoraires et dépenses d’emprunt d’un séquestre. Le libellé du paragraphe 349 (3) de la Loi de 2001 sur les municipalités de l’Ontario est similaire à celui de l’alinéa 348c) de la loi de l’Alberta, qui accorde un privilège d’un rang supérieur aux impôts fonciers par rapport aux créances de tous les créanciers, hormis celles de la Couronne. Les affaires Hamilton Wentworth Credit Union Ltd. (Liquidator of) v Courtcliffe Parks Ltd. et Toronto Dominion Bank v Usarco Ltd. affirment respectivement que le mécanisme législatif interdit l’octroi d’une priorité absolue au séquestre par rapport aux impôts fonciers municipaux et qu’il incombe au séquestre, entre autres tâches, de payer les impôts en question.
La Cour a décidé, dans l’affaire Reid-Built, que le dossier d’Edmonton était différent étant donné qu’aucune des affaires citées ne réglait la question du rang de priorité des impôts fonciers municipaux par rapport à celui d’une ordonnance de priorité rendue en vertu de la LFI. Le juge Graesser a conclu que les dispositions de la LFI et l’exercice de la compétence du tribunal en découlant ont préséances sur la législation provinciale en matière de rang de priorité. Cependant, le juge Graesser, à la lumière des faits particuliers de l’espèce, a exercé sa compétence découlant de la LFI pour conclure que les impôts fonciers d’Edmonton n’avaient pas un rang de priorité inférieur à celui de la créance du séquestre. L’article 31 et le paragraphe 243(6) de la LFI accordent à la Cour le pouvoir discrétionnaire d’accorder au séquestre une garantie sous forme de sûreté à l’égard de ses honoraires et capacités d’emprunt. L’analyse de la Cour a placé un accent particulier sur la mise en œuvre des objectifs de politique sociale de la LFI et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, de réorganisation et restructuration des sociétés pour [traduction] « éviter les répercussions sociales de l’échec d’une entreprise » (paragraphe 45). Dans ce contexte, une distinction a été opérée entre le mécanisme de la mise sous séquestre qui vise à restructurer et celui qui tend à liquider les actifs. Puisque l’affaire Reid-Built se déroule dans le contexte de la liquidation des actifs, la Cour ne pouvait concevoir l’avantage, pour la ville, de ne pas être payée, puisque l’absence de paiement des impôts fonciers ne se traduirait que par un accroissement des pénalités. Selon la Cour :
[TRADUCTION]
157 Dans le contexte d’une mise sous séquestre visant à liquider les actifs, il me semble qu’il soit approprié que l’apport de l’entité fiscale à la mise sous séquestre soit le retard potentiel à recevoir le versement des impôts, pénalités et intérêts en souffrance. Il est manifeste, à la lumière de mon analyse, que je ne vois aucune raison pour laquelle la créance d’Edmonton devrait jouir d’un rang inférieur à celui de tout emprunt.
La décision Reid-Built a fait l’objet d’un appel. Elle pourrait malgré tout fournir des indices aux juristes chargés de dossiers de mise sous séquestre dans lesquels le rang de priorité des impôts fonciers municipaux est en litige et dans lesquels il s’agit d’un processus de liquidation plutôt que de restructuration ou de réorganisation de l’entreprise. Cela sert également de rappel que, le cas échéant, les modèles d’ordonnance de mise sous séquestre peuvent être modifiés.
Allan Delgado et Carly Androschuk exercent dans le service du contentieux de la ville d’Edmonton