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Affaire Eco Oro : la CVMO prévaut sur la Bourse de Toronto et s’avère prête à décortiquer les opérations

12 mars 2018

Le 16 juin 2017, la CVMO a publié les motifs de sa décision du mois d’avril qui annulait un placement privé stratégique dans le contexte d’une course aux procurations touchant Eco Oro Minerals Corp1. Les motifs de la CVMO révèlent sa détermination à annuler une décision de la Bourse de Toronto et à interrompre l’échange de certaines actions d’Eco Oro récemment émises.

L’ordonnance annule l’approbation conditionnelle donnée par la Bourse de Toronto pour l’émission de nouvelles actions par Eco Oro en lien avec la conversion, effectuée par la société en vertu de son droit exclusif, de billets convertibles non garantis détenus par certains de ses investisseurs.

La course aux procurations et la conversion

Les actionnaires dissidents d’Eco Oro ont exigé que soit tenue une assemblée des actionnaires pour reconstituer le conseil d’administration de la société. Après la demande d’assemblée, Eco Oro a déposé une demande à la Bourse de Toronto pour que l’émission de nouvelles actions soit approuvée sans délai. À une date proche de celle de l’assemblée, Eco Oro a également obtenu, auprès de certains actionnaires qui allaient ultérieurement recevoir les nouvelles actions, des lettres de soutien concernant son conseil d’administration tel qu’il existait alors.

Conformément à son manuel, la Bourse de Toronto exigera généralement l’approbation des actionnaires comme condition de l’acceptation de placements privés lorsqu’une telle opération entre autres [traduction] « a des incidences importantes sur le contrôle » de l’émetteur. Cependant, dans sa lettre d’accompagnement adressée à l’avocat d’Eco Oro, la Bourse de Toronto a déclaré : [traduction] « Nous confirmons votre opinion selon laquelle l’opération n’aura pas d’incidences importantes sur le contrôle d’[Eco Oro] ». Aucune approbation des actionnaires n’était donc exigée. La Bourse de Toronto a approuvé conditionnellement l’émission des nouvelles actions.

Huit jours avant la date de clôture des registres en vue de l’assemblée des actionnaires, Eco Oro a effectué l’émission des nouvelles actions sous forme de conversion de certaines obligations.

Les motifs de l’ordonnance

La CVMO est compétente pour examiner les décisions d’une bourse reconnue telle que la Bourse de Toronto, sur demande d’une personne directement touchée par une décision de la bourse. Il a été conclu que les actionnaires dissidents avaient qualité pour agir et demander un contrôle des décisions de la Bourse de Toronto étant donné que l’émission des nouvelles actions pouvait avoir des incidences sur leur capacité à reconnaître le conseil d’administration d’Eco Oro.

La CVMO hésite généralement à intervenir à l’égard d’une décision de la Bourse de Toronto eu égard au fait que cette dernière est hautement compétente pour examiner les demandes. La  CVMO n’interviendra que si, entre autres facteurs, elle est convaincue que la Bourse de Toronto pourrait avoir omis d’examiner certaines preuves fondamentales ou que leurs perceptions de l’intérêt public sont conflictuelles.

En l’espèce, la CVMO a conclu qu’elle avait maintes raisons d’intervenir, y compris le fait que l’approbation conditionnelle accordée par la Bourse de Toronto pour l’émission des nouvelles actions ne tenait pas compte (i) de la course aux procurations en cours, (ii) de l’imminence de la date de clôture des registres en vue de l’assemblée exigée et (iii) du fait que les lettres de soutien avaient été demandées par la direction et fournies par certains actionnaires bénéficiaires des nouvelles actions.

En outre, la CVMO a conclu que la Bourse de Toronto avait utilisé une définition restrictive de l’expression [traduction] « a des incidences importantes sur le contrôle », limitant ainsi son analyse à la question de savoir si un nouvel actionnaire à 20 p. 100 ou une nouvelle fiducie ayant droit de vote avait été créé. De l’avis de la CVMO, [traduction] « l’intérêt public exige que soit évaluée la question de savoir si une émission d’actions par un émetteur inscrit a pour objet de sécuriser la position de la direction dans le contexte d’une course aux procurations portant atteinte aux attentes justifiées des actionnaires qui font confiance à un système fondé à bon escient sur la promotion de la démocratie au niveau des actionnaires et de la responsabilisation du conseil d’administration ».

La CVMO a ensuite conclu que l’émission des nouvelles actions permettrait aux actionnaires qui appuient l’équipe de direction d’Eco Oro de faire passer leur contrôle accumulé des votes d’environ 41 p. 100 à 46 p. 100, ce qui [traduction] « pourrait raisonnablement faire pencher la balance en faveur de la direction » et que « même si l’objectif d’amélioration du bilan justifiait les opérations, il n’existait aucun objectif commercial impérieux obligeant à clore l’opération avant la [date de clôture des registres en vue de l’assemblée exigée] pour réfuter la stratégie visant à faire pencher le résultat du scrutin en faveur de la direction ».

Par conséquent, la CVMO a substitué sa propre décision à celle de la Bourse de Toronto, concluant que l’émission des nouvelles actions avait en réalité des incidences importantes sur le contrôle d’Eco Oro et que l’approbation de l’émission par les actionnaires était requise, en application du manuel des sociétés de la Bourse de Toronto. Étant donné que les actions étaient déjà émises et pour éviter qu’il soit passé outre à son exigence d’approbation par les actionnaires, la CVMO s’est ensuite fondée sur le pouvoir dont elle dispose dans l’intérêt public d’interrompre l’échange des nouvelles actions et d’empêcher Eco Oro de tenir compte des votes associés aux nouvelles actions à moins que leur émission ne soit ratifiée par les actionnaires d’Eco Oro.

L’avenir jurisprudentiel de l’ordonnance

Lorsqu’il demande à la Bourse de Toronto d’approuver l’émission d’actions, un émetteur inscrit devrait tenir compte de l’approche contextuelle adoptée par la CVMO pour interpréter l’expression [traduction] « a des incidences importantes sur le contrôle ». Il n’existe aucun critère de ligne de démarcation nette quant aux nouveaux actionnaires à 20 p. 100. De plus, comme on pourrait s’imaginer que c’est déjà évident, les émetteurs devraient veiller à inclure des renseignements complets dans leurs demandes en vertu du règlement puisque des renseignements incomplets quant au contexte pourraient donner à la CVMO une justification pour intervenir dans des opérations en apparence terminées.

Qui plus est, la CVMO a indiqué sans aucune ambiguïté que la course aux procurations met en jeu les mêmes considérations d’intérêt public que celles qui président à une offre publique d’achat puisqu’il s’agit dans les faits de moyens détournés pour effectuer un changement de contrôle. Par conséquent, même si l’approbation des actionnaires n’est pas exigée pour une opération particulière, ou même en l’absence de tout point spécifique à la Bourse de Toronto pouvant être contesté, la CVMO a laissé la porte ouverte à une contestation distincte de l’émission effectuée pendant une course aux procurations conformément à la compétence de la CVMO fondée sur l’intérêt public. Comme pour les décisions rendues par la CVMO portant sur des placements privés face à une offre, comme l’a récemment illustré la décision Re Hecla Mining, l’équité pour les actionnaires et l’intégrité des marchés seront des éléments fondamentaux de ces contestations fondées sur l’intérêt public.

Daniel Everall et Liam Tracey-Raymont sont avocats et Jonathan Yantzi était stagiaire d’été dans le cabinet Aird & Berlis

Note

  1. Re Eco Oro Minerals Corp., 2017 ONSEC 23 (disponible uniquement en anglais).